Louise-Michel

Drôles de genres... Quelque part en Picardie, le patron d'une entreprise de cintres vide son usine dans la nuit pour la délocaliser. Le lendemain, les ouvrières se réunissent et mettent le peu d'argent de leurs indemnités dans un projet commun : faire buter le patron par un professionnel. En premier lieu, une scène d'ouverture au crématorium absolument époustouflante, une pépite d'humour absurde, un sommet de belgitude ! Le ton est donné : des visages ouvriers, un décalage parfaitement assumé, et la volonté de faire rire là où on s'abstient de la faire généralement. Ce film de Gustave Kervern & Benoît Delépine, produit par Mathieu Kassovitz, est une comédie noire assez inclassable, comme leur deux précédents films, "Aaltra" et "Avida". Et c'est incontestablement le meilleur. Mené de mains de véritables maîtres par Yolande Moreau (Louise) et Bouli Lanners (Michel), qui forment les deux moitiés d'orange si chères à Jean-Louis Bory. Pour être impertinent jusqu'au bout, le scénario n'oublie pas de nous signifier que Louise est en "réalité" un homme, tandis que Michel est en "réalité" un homme. Et tout est de cet acabit. Il ne faut pas oublier les "guest-stars" : Mathieu Kassovitz soi-même ; Benoît Poelevoorde, qui refait en miniature les attentats du 11 septembre 2001 ; Christophe Salengro en étrange danseur, dont la silhouette est célébrissime ; et le dessinateur Siné, tous les quatre complètement azimutés, dans des scènes à mourir de rire. Il est légitime de se demander ce que serait le film sans le couple-duo Bouli Lanners et Yolande Moreau. Je ne reviendrais pas sur cette dernière, si ce n'est pour dire qu'elle confirme une fois encore qu'elle est unique ! Bouli Lanners, lui, est moins connu du grand public. Pourtant, sa filmographie est déjà très cossue : "Toto le héros", "Les convoyeurs attendent", "Aaltra", "Quand la mer monte", Enfermés dehors", "Eldorado" dont il est aussi le réalisateur, etc. J'espère vivement que son visage vous deviendra aussi familier que celui de Yolande. Il est épatant. Et ici, en Michel/Cathy, contraint de jouer le tueur à gages pour flinguer le big-boss d'une société qui délocalise illicitement, puis percevoir 20.000€, sa composition est merveilleuse, au sens où l'entendait Jean Cocteau. Ce périple des plus petites gens qui n'ont d'autre recours qu'une justice qu'ils assimilent à de la légitime défense est idéal en cette période de Noël, entre chien et loup. C'est à la fois très empreint des plus tristes réalités sociales, et baigné d'une rare poésie. Je n'ai rien à redire à ce film, fait de bric et de broc, en hommage aux exclus magnifiques qui peuplent encore nos contrées oubliées, mais trop rarement nos salles obscures !