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29 octobre 2011

L'exercice de l'Etat

L_exercice_de_l__tatLes arcanes et le prix du pouvoir.

Le Ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean, est réveillé en pleine nuit par son directeur de cabinet. Un car a basculé dans un ravin. Il y va, il n’a pas le choix. Ainsi commence l’odyssée d’un homme d’Etat dans un monde toujours plus complexe et hostile. Vitesse, lutte de pouvoirs, chaos, crise économique… Tout s’enchaîne et se percute. Une urgence chasse l’autre. A quels sacrifices les hommes sont-ils prêts ? Jusqu’où tiendront-ils, dans un Etat qui dévore ceux qui le servent ?

J'attendais depuis longtemps la sortie de ce film. D'une part parce qu'il est de Pierre Schoeller, d'autre part pour y retrouver Olivier Gourmet et Michel Blanc.

Pierre Schoeller est un touche-à-tout, compositeur, scénariste, dialoguiste, adaptateur, et réalisateur. Nous lui devons "Versailles" sorti en 2008, film âpre et passionnant sur les SDF, avec Guillaume Depardieu, Aure Atika, Brigitte Sy, Franc Bruneau et Michel Descamps, acteur que j'apprécie vivement. Un réalisateur qui compte Michel Descamps dans la distribution de son film retient mon attention : Lucas Belvaux avec "La raison du plus faible", Joachim Lafosse avec "Nue Propriété", Xavier Giannoli avec "A l'origine", Alix Delaporte avec "Angèle et Tony".

Je tien à noter que "L'exercice de l'État" est produit par les Frères Dardenne. Voilà qui nous amène à Olivier Gourmet, un de leurs acteurs fétiches avec Jérémie Rénier - et aussi l'un de mes acteurs préférés - qui figurait aux génériques de "La Promesse" en 1996, "Rosetta" en 1999, "Le Fils" en 2002, "L'Enfant" en 2005, "Le silence de Lorna" en 2008, "Le gamin au vélo" en 2011.

Outre ses collaborations avec les Frères Dardenne, sa présence et son investissement dans un cinéma exigeant m'a toujours impressionné, autant que son talent d'interprète : "Ceux qui m'aiment prendront le train" de Patrice Chéreau ; "Nationale 7" de Jean-Pierre Sinapi ; "Le lait de la tendresse humaine" de Dominique Cabrera ; "Sur mes lèvres" de Jacques Audiard ; "Une part du ciel" de Bénédicte Liénard ; "Le temps du loup" de Michael Haneke ; "Le Pont des Arts" (génial !) d'Eugène Green ; "Sauf le respect que je vous dois" de Fabienne Godet ; "Home" de Jean-François Richet ; "Bancs Publics" de Bruno Podalydès ; "Robert Mitchum est mort" de Babinet & Kihn... auxquels il faut ajouter un certain nombre de films plus "grand public".

Pierre Schoeller s'ingénie avec brio et inventivité (apparition plein écran de certains SMS reçus par le Ministre ou sa directrice de la communication) à démonter les mécanisme de l'État et du pouvoir pour que le spectateur accède enfin à une réalité qui lui échappe, sans toutefois se poser en donneur de leçon. Les dialogues sont intenses, le rythme est incessant, la nervosité est constante. Le réalisateur, à sa façon, dénonce les ambitions insatiables de ceux qui nous gouvernent, et il le fait de façon très exigeante, exempte de tout manichéisme, dénonce aussi les luttes intestines entre Ministères.

Il fallait un acteur de la trempe d'Olivier Gourmet pour incarner Bertrand Saint-Jean ; et pour lui apporter un contrepoint très fort, en la personne de Gilles, son fidèle directeur de cabinet, incarné par Michel Blanc. Ce dernier est impeccable dans son rôle de serviteur de l'État, au sens noble du terme, exonéré de toute vilenie, droit, intègre, asexué, presque symbole du don de soi à son pays. Michel Blanc est admirable dans sa partition.

Olivier Gourmet incarne, au sens littéral. Il est chair et sang : il mange, il boit, il bande, il baise, il saigne, il vomit, il défèque. Son interprétation est magistrale, empotant tout sur son passage.

Chacun à sa façon, Michel Blanc piquant un cent mètres dans une rue de paris pour remettre un rapport, Olivier Gourmet se penchant sur son chauffant mort dans un accident, ou serrant le premier dans ses bras, offrent aussi des moments d'émotion remarquables.

Le tandem que forment ici Bertrand et Gilles est passionnant. Les deux comédiens parviennent à lui insuffler bien davantage que ce qui constitue un "duo", puisqu'il s'agit presque d'un "couple" d'amis basé sur une fraternité réciproque qui confine à la plus parfaite complémentarité, assise sur les mêmes idéaux. Cette "relation" est un des intérêts majeurs du films, et les deux comédiens y placent tous les regards, tous les sourires, toutes les respirations qu'il faut, avec un art consumé de la discrétion. 

Pour étoffer la distribution, on retrouve Zabout Breitman jouant Pauline la responsable de communication du Ministre (système de communication vertement dénoncé par le réalisateur). Elle qui fait du cinéma depuis 30 ans trouve ici un de ses plus beaux rôles, après ses rôles dans "Le premier jour du rete de ta vie" de Rémi Bezançon en 2008, et dans "No et moi" qu'elle a elle-même réalisé en 2010. Plus en retrait, on retrouve l'épatant Laurent Stocker (38 ans, sociétaire de la Comédie Française) qui a beaucoup joué pour la télévision, et que l'on a vu dans "Ensemble c'est tout" de Claude Berri où sa prestation laissait Audrey Tautou et Guillaume Canet, pourtant têtes d'affiche, loin derrière lui, puis dans "L'Art d'aimer" du très talentueux Emmanuel Mouret. Il campe impeccablement un "technocrate" enjoué et appliqué au service de son Ministre.

On découvre, dans un rôle essentiel, celui de Martin Kuypers, un chômeur de longue durée qui devient chauffeur stagiaire auprès du Ministre, Sylvain Dublé, une vraie gueule de cinéma. Outre le Ministre, c'est le seul personnage du film à avoir un prénom ET un nom. Encore une astuce de Pierre Schoeller. C'est Anne Azoulay qui joue son épouse, Josépha, qui est dans le film, dans une scène remarquable, la "porte parole" des citoyens les plus modestes.

Quel film ! Depuis la scène onirique du début jusqu'à la fin, c'est exalté, passionné et passionnant, complexe, violent... Le spectateur n'a presque aucun répit dans cette fièvre du pouvoir, décrite, certes d'une façon très différente, avec le même niveau d'excellence que dans "Pater" de Alain Cavalier. Il faut voir ce film magistral, sur lequel je n'ai aucune réserve à exprimer.

Et de voir Olivier Gourmet, encore une fois, tout emporter derrière son travail de comédien exceptionnel, sinon unique.

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