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La Vie ChonChon
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22 décembre 2011

Le Havre

Le_HavreL'engagement des hurluberlus.

Marcel Marx, ex-écrivain et bohème renommé, s’est exilé volontairement dans la ville portuaire du Havre où son métier honorable mais non rémunérateur de cireur de chaussures lui donne le sentiment d’être plus proche du peuple en le servant. Il a fait le deuil de son ambition littéraire et mène une vie satisfaisante dans le triangle constitué par le bistrot du coin, son travail et sa femme Arletty, quand le destin met brusquement sur son chemin un enfant immigré originaire d’Afrique noire. 
Quand au même moment, Arletty tombe gravement malade et doit s’aliter, Marcel doit à nouveau combattre le mur froid de l’indifférence humaine avec pour seules armes, son optimisme inné et la solidarité têtue des habitants de son quartier. Il affronte la mécanique aveugle d’un Etat de droit occidental, représenté par l’étau de la police qui se resserre de plus en plus sur le jeune garçon réfugié. 
Il est temps pour Marcel de cirer ses chaussures et de montrer les dents.

Entrer dans un film de Aki Kaurismäki (réalisateur finlandais, frère de Mika Kaurismäki), c'est entrer dans un univers particulier, auquel nous somme familiarisés depuis plus de vingt ans : "Ombres au Parais" (1987), "Leningrad Cowboys go America" (1989) qui m'avait enchanté et fait découvrir le réalisateur, "La Vie de Bohème" (1991), "Tiens ton foulard, Tatiana" (1993), "Au loin s'en vont les nuages" (1996), "L'Homme sans passé" (2002) une merveille, "Les lumières du faubourg" (2006) entre autres.

"Le Havre" est son deuxième film en France, et son premier film en langue française. C'est un mélange savant et bien dosé entre la comédie déjantée et le drame, ici moins désespéré que d'habitude. Aki Kaurismäki fait le choix de l'irréalisme pour montrer une histoire de dégradation politique et la situation des réfugiés, une histoire très étroitement liée donc aux faits d'actualité. Choisir le prisme des hurluberlus de notre monde (c'était aussi le point de vue de Eugène Green dans "Le Pont des Arts" en 2005, de John Cameron Mitchell, dans "Shortbus" en 2005, de Alain Resnais en 2008 dans "Les Herbes Folles", de Alain Guiraudie dans tous ses films, entre autres) fait de la marginalité un point de vue essentiel, car autant politique que cinématographique.

Aki Kaurismäki choisit donc de décrire le monde réel tel qu'il ne va pas, et de filmer des personnages qui luttent contre l'adversité et le fatalisme ambiant. C'est une espèce de "Welcome" surréaliste, touchant par là à l'universel. De plus, c'est très drôle !

La ville du Havre est un des personnage du film, son bord de mer, son port, sa lumière... comme cela a déjà été le cas dans "La Fée" de Fiona Gordon, Dominique Abel, et Bruno Romy, lui aussi sélectionné à Cannes 2011, non dans le cadre de la compétition officielle, mais dans celui de la Quinzaine des Réalisateurs. A ce propos, "Le Havre" est un peu l'anomalie de ce Festival de Cannes, car s'il eut 4 nominations il n'a eu, très injustement, aucun prix, pas plus qu'il n'en reçut au "European Films Awards" avec 4 nomination, ou au Festival du Film de Sarlat avec 3 nominations. Il n'y aura eu que Prix Louis Delluc pour réparer cette mystérieuse injustice. Il est aussi nominé aux Oscar, pour le "Meilleur film étranger" pour la Finlande.

Aki Kaurismäki assume ses références et ses hommages à Robert Bresson, à Jean-Pierre Melville, à Jacques Tati et surtout au duo Marcel Carné & Jacques Prévert. Il apporte un soin très particulier à son film : la composition des images et leur beauté sont soignées comme rarement, les détails nous ramène à un temps inconnu, à un imaginaire 1950-1970, avec cependant un Dalloz de 2002 et des billets en € ; les noms et les prénoms des protagonistes sont autant de clins d'oeil avec "Marcel Marx" (comme Carné et Karl, et non pas Groucho), "Arletty", le policier "Monet", la chienne "Laïka" (premier être vivant envoyé dans l'espace).

Les personnages sont poétiques et lunaires, d'une politesse exquise, parlent peu et bien, et leur interprétation par les comédiens est très maîtrisée, et superbe. Et ce sont des comédiens au somment de leur art qui les incarnent.

Andre_WilmsAndré Wilms (Marcel Marx) est éblouissant, et qu'il n'ait pas eu un prix d'interprétation reste un mystère. Devenu populaire avec son rôle de Monsieur Le Quesnoy dans "La vie est un long fleuve tranquille" de Etienne Chatiliez en 1988, c'est sa troisième intrusion dans l'univers de Aki Kaurismäki. Il a joué aussi pour François Dupeyron ("Drôle d'endroit pour une rencontre" en 1988), pour Patrice Leconte ("Monsieur Hire" en 1989), pour Claude Chabrol ("L'Enfer" en 1994), pour François Ozon ("Ricky" en 2009), pour Amos Gitaï ("Roses à crédit" en 2009), pour Renaud Fély ("Pauline et François" en 2010). Et nous l'avons vu cette année dans le très bon "Robert Mitchum est mort" de Olivier Babinet et fred Kihn donnant la réplique à Olivier Gourmet.

Kati Outinen (Arletty, l'épouse de Marcel Marx)en est a sa douzième collaboration (téléfilms inclus) avec le réalisateur. Selon ses instructions, elle "ne joue pas", et réussit à émouvoir ou faire rire les spectateurs tout en affichant une image raide et presque autoritaire, tout en affichant une attitude hiératique caractéristique des personnages de Aki Kaurismäki. En 2002, elle avait décroché le Prix d'Interprétation à Cannes, ô combien mérité, pour son travail magnifique dans "L"homme du Passé".

Evelyne_DidiViennent ensuite Blondin Miquel (Idrissa, l'adolescent africain arrivé dans un conteneur au port du Havre) ; Jean-Pierre Darroussin (le policier-enquêteur Monet) qui se faufile brillamment dans cet univers ; Elina Salo (Claire, la patronne du bistrot) pour sa cinquième collaboration avec le réalisateur ; Quoc Dung Nguyen (Chang, l'assistant cireur de chaussures de Marcel) découvert dans "Mon frère se marie" de Jean-Stéphane Bron en 2007 ; Pierre Etaix (le Docteur Becker) encore et toujours parfait ; Jean-Pierre Léaud (le voisin dénonciateur) en forme de clin d'oeil lui qui fit "Les 400 coups" ; Little Bob (Roberto Piazza) que le réalisateur qualifie "L'Elvis de ce royaume". Yvette, la voisine boulangère, est incarnée par Evelyne Didi (photo) dont c'est la deuxième collaboration avec Aki Kaurismäki après "La vie de bohème" en 1991, une espèce de Rolls-Royce des seconds rôles du cinéma français, qui a joué pour Michel Deville, Jean Becker, Claude Chabrol, Jérôme Boivin ("Baxter"), Philippe Garrel, Etienne Chatiliez, et récemment chez Alix Delaporte dans "Angèle et Tony" où elle était formidable.

Je sais que ce film pourrait ne pas convenir à tous les spectateurs, parce que l'univers de Aki Kaurismäki est très particulier, aux confins du surréalisme, et ne s'intéresse pas au bling-bling, au consumérisme, à l'esprit bourgeois... Pour moi, "Le Havre" est une ode à la liberté et à la solidarité des modestes, aussi tendre que drôle et engagé, délivrant un beau "message" d'humanisme : c'est en aidant les autres qu'il peut nous arriver des choses formidables. J'ai quitté "Le Havre" heureux.

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