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20 avril 2012

L'enfant d'en haut

L'enfant d'en hautTrop jeune maturité.

Simon, 12 ans, emprunte, l’hiver venu, la petite télécabine qui relie la plaine industrielle où il vit seul avec sa sœur Louise, à l’opulente station de ski qui la surplombe. 
Là-haut, il vole les skis et l’équipement des riches touristes qu’il revend ensuite aux enfants de son immeuble pour en tirer de petits mais réguliers bénéfices. 
Louise, qui vient de perdre son travail, profite des trafics de Simon qui prennent de l’ampleur et devient de plus en plus dépendante de lui...

C'est avec impatience que j'attendais le deuxième film d'Ursula Meier dont "Home" sorti en 2008, avec Olivier Gourmet et Isabelle Huppert, m'avait enthousiasmé. Elle a par ailleurs joué dans deux films de Lionel Baier, "Garçon Stupide" en 2005, et "Un Autre Homme" en 2009, que j'avais beaucoup aimés.

Si "Home" était tout en horizontalité, sur le bord d'une route sans voitures, ce film est tout en verticalité.  Il s'agit d'une "métaphore sociale", car nous sommes aux confins du film social et de la fable. En effet, ce n'est pas tout à fait la réalité, puisqu'il n'y a ni policiers, ni services sociaux. Le film s'inscrit dans la lignée du travail des Frères Dardenne.

Le film évoque cruellement l'impact de l'argent dans les rapport humains. Payer pour être aimé. C'est filmé sans esbroufe, sans pathos, sans misérabilisme, sans psychologisme, sans jugement, "au rasoir" pourrait-on dire, au plus près des personnages, qui sont auscultés avec tendresse et cruauté. Le film est tout en chagrins sans larmes, comme si l'argent annihilait tout, Simon devant même payer pour passer une nuit dans les bras de sa soeur Louise, qui est peut-être davantage que sa soeur tant leur relation est ambiguë... C'est à vous retourner le coeur.

C'est très bien filmé, le montage est d'une grande fluidité, et tout l'aspect théorique ne plombe pas le film. En haut, chez les riches, là où c'est beau, Ursula Meier ne filme pas de paysages, leur préférant des plans serrés sur les protagonistes, tandis qu'en bas, chez les pauvres, là où c'est laid, il y a des plans larges, sur la route triste, sur l'immeuble HLM, sur les friches industrielles.

Excellente direction d'acteurs au service d'une distribution épatante. Kacey Mottey Klein est impressionnant. Nous l'avons vu dans "Home" en 2008, puis dans "Gainsbourg (la vie héroïque)" de Joann Sfarr en 2010, où il incarnait Serge Gainsbourg enfant. Son jeu sans aucune fioriture rappelle certains rôles chez Ken Loach ou les Frères Dardenne. 

Léa Seydoux joue de son corps comme rarement on le lui a demandé, et elle excelle dans son rôle de pin'up désolée de la classe prolétaire. Gillian Anderson (la touriste anglaise), connue pour avoir été la Scully de la série TV "X-Files" est très bien, pleine d'humanité. Jean-François Thévenin, chef cuisinier dans le monde d'en haut, comme d'habitude, est impeccable.

Martin Compston incarne Mike, celui qui organise un trafic de skis entre la France et la Grande Bretagne en utilisant Simon, est remarquable. Il nous cvient de chez Ken Loach ("Sweet Sixteen" en 2002, et "Tickets" en 2007) comptant déjà une dizaine de film à sa carrière (la plupart oubliables) mais comptant aussi 8 films à sortir prochainement. Un comédien à suivre de près.

Dans le rôle de Bruno, un amant éphémère de Louise, on retrouve Yann Tregouët, un des meilleurs comédiens français de sa génération, qui figure parmi les acteurs fétiches de Robert Guédiguian avec qui il a déjà joué cinq fois. Il figure aussi aux génériques de "Bleu" de Kieslowsky, "Le Déménagement" de Denis Dercourt, "Le Petit Voleur" de Eric Zonca, "Fureur" de Karim Dridi, et les superbes "Itinéraires" de Christophe Otzenberger en 2006 (à voir absolument !) et "Nés en 68" de Ducastel & Martineau en 2008.

La musique du film tient une place importance. Elle est de John Parish et P.J. Harvey, tirée de l'album "Dans Hall at Louse Point" dont la chanson "Girl" revient à plusieurs reprises dans le film.

Un film impressionnant, tranchant comme la glace, qui décrit la fracture entre ceux d'en haut et ceux d'en bas, en allant plus loin que le film social pour aller sur le terrain de la fable, du conte initiatique cru et cruel.

"L"enfant d'en haut" est revenu avec la "Mention Spéciale du Jury" de la Berlinale 2012 (dans laquelle le film a été nommé dans presque toutes les catégories majeurs, Ours d'Or, Grand Prix du Jury, Ours d'Argent de la musique, Ours d'Argent du meilleur acteur, Ours d'Argent du réalisateur, Ours d'Argent du scénario), prix amplement mérité !

Ursula Meier considère le spectateur "avec hauteur mais sans jamais le prendre de haut", livrant un film dont on sort impressionné et broyé. Indispensable.

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