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La Vie ChonChon
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22 août 2012

Keep the Lights On

Keep the lights on

Erik & Paul : dix ans d'errances sentimentales à New York.

Erik est réalisateur de documentaires. Paul est avocat.
Tous deux sont homosexuels, l’un assumant, l’autre pas. Ils se rencontrent un soir, par le biais d'un réseau téléphonique, pour une aventure sans lendemain mais, très vite, ils décident de se revoir.
À mesure que se développe leur relation, chacun, de son côté, continue de combattre ses propres pulsions et addictions.

Ira Sachs s'est ici inspiré de son vécu, une histoire d'amour qu'il a entretenue de 1998 à 2008. Pour autant, le film n'est pas autobiographique, et il s'agit bien d'une fiction, de la description d'une histoire d'amour qui tient sa part d'universalité.

La passion et l'amour semblent devoir être ses sujets de prédilection, puisque nous lui devons le très réussi "Forty Shades of Blue" en 2005, puis "Married Life" en 2007. Et dans son premier film, "Le Delta" (1996), il s'était déjà penché sur la sexualité, et plus précisément de l'identité sexuelle, à travers l'histoire de Lincoln, un adolescent aisé très troublé par John, un jeune homme d'origine vietnamienne et ouvrière, dans le cadre du delta du Mississippi.

Le film affirme, revendique même, son dépouillement qui ne tient ni à l'inexpérience ni à la timidité. Il s'agit pour Ira Sachs d'une volonté évidente de parvenir à la vérité de l'amour à travers l'expression physique de la passion. Et, alors que c'est presque paradoxal, il y parvient avec beaucoup de pudeur et de délicatesse.

C'est aussi un film historique : c'est tout le Manhattan de la fin des années 1990 et du début des années 2000, placé sous le joug d'une double épidémie, celle du sida (qui pourrait toucher Erik), celle du crack (qui ravage Paul). Concernant le sida, presque une seule scène, particulièrement réussie et douloureuse, où Erik essaie de savoir de son médecin, par téléphone dans un lieu public, s'il est séropositif ou non. Concernant le crack, davantage de scènes, où l'on voit tout le cérémonial de Paul pour satisfaire son addiction au crack.

Lindhardt et Booth

Les acteurs, leurs visages comme leurs corps sont particulièrement bien filmés, et pas seulement de façon érotique et/ou sexuelle. La caméra scrute les regards, les sourires, les mains et leur caresses, les étreintes, toujours avec des cadrages très réussis, et une palette de couleurs particulière, qui tend vers l'ocre ou l'orangé, comme sur l'affiche.

On voit dans ces scènes, la prédilection et l'évident talent de Ira Sachs pour la direction d'acteurs, car souvent les émotions exprimés ne tiennent qu'à une position, une mimique, une tension, un regard, un souffle. Toute une gamme d'émotions, pour autant de nuances dans la relation d'Erik et Paul.

Ira Sachs cite ses sources d'inspiration, et j'ai été heureux et surpris d'y voir l'autobiographie de Jacques Nolot ("Before I Forget"), un réalisateur et acteur que j'aime beaucoup. Je continue de considérer son film "La chatte à deux têtes" comme un film de référence, un film "culte" comme on dit. Il cite aussi "Un clin d'oeil pour un adieu" de Bill Sherwood sorti en 1986, et "Tout va bien, the kids are allright" de Lisa Cholodenko sorti en 2010, avec Annette Bening et Julianne Moore.

Il fallait évidemment des acteurs très "fluides" pour interpréter de tels rôles.

Thure Lindhardt

Erik est incarné par Thure Lindhardt. Je l'ai découvert en 2004 dans "Parfum d'Absinthe" de Achim von Borries, un film allemand très réussi dont la sortie fut pourtant très confidentielle. Vinrent ensuite, notamment, "Into the Wild" de Sean Penn en 2007, "Les Soldats de l'Ombre" de Ole Christian Madsen en 2008, "Anges et Démons" de Ron Howard en 2009. Sa carrière semble lancée, puisqu'il a tourné près de 10 films entre 2011 et 2012, que nous verrons peu à peu sortir sur les écrans.

Thure Lindhardt joue avec une très grande sobriété, alors même qu'entre sa relation amoureuse et son travail, il ne vit que difficultés et tumultes. Il est important que le documentaire qu'il réalise est au sujet de Avery Willard, un cinéaste gay underground de New York qui réalisa des films érotiques clandestinement dès les années 1940. Erik peine à mener à bien ce projet comme il peine à entrer dans l'âge adulte, et Thure Linhardt parvient très bien à jouer cette adolescence qui n'en finit pas, cette peine à entrer dans l'âge adulte, sans pour autant que son personnage ne paraisse immature.

Zachary Booth

C'est à Zachary Booth qu'incombe le rôle de Paul. Il est connu pour son rôle récurrent dans la série TV "Damages" avec Glenn Close. Il a joué dans le film plutôt réussi de Jodie Foster avec Mel Gibson, "Le Complexe du Castor". Et nous le retrouverons dès ce 29 août 2012 dans "Dark Horse" de Todd Solondz (cinéaste intéressant à qui l'on doit "Bienvenue dans l'âge ingrat" en 1995, le magnifique "Happiness" en 1998, "Palindromes" en 2004, "Life During Wartime" en 2009). Le rôle de Paul est très difficile, parce que le réalisateur n'a pas voulu filmer l'addiction au crack de façon dramatique visuellement. Pas de scènes de manque pénible, pas de scènes de nervosité ou d'hystérie... tout est pourtant rendu parfaitement par le jeu très subtile de Zachary Booth.

Notons la présence de Paprika Steen dans le rôle de Karen, une actrice formidable, qui avait déjà joué sous la direction de Ira Sachs dans "Forty Shades of Dark". Je ne résiste pas au plaisir de citer les réalisateurs pour lesquels elle a travaillés : Lars Von Trier ("Les Idiots" en 1997, "Dance in the Dark" en 2000) ; Thomas Vinterberg ("Festen" en 1998, "Les Héros" en 1998), Suzanne Bier ("Open Hearts" en 2002, "All you need is love" à sortir prochainement) ; Anders Thomas Jensen ("Adam's Apples", superbe, en 2005) ; Ode Bornedal ('"The Substitude" en 2007) : impressionnant !

La musique est signée Arthur Russel. C'est un compositeur-violoncelliste-chanteur qui a collaboré notamment avec Philip Glass et David Byrne, excusez du peu. Dans "Keep the Lights On" la musique tient une place importante, tant elle illustre bien toute la mélancolie qui imprègne le film. La voix de Arthur Russel a quelque chose de très trouble, entre Leonard Cohen et Antony & Johnsons, de très enivrant.

Keep the lights on 2

 

Voilà, c'est un très beau film, un des meilleurs portant le label (parfois usurpé) 'indépendant" de ces dernières années.

L'histoire est parfois douloureuse, puisqu'il s'agit quand même d'une amour qui ne se démentit jamais, mais aussi de la description de la lente dégradation vivre ensemble jusqu'à l'impossible, mais le réalisateur respecte tellement ses personnages, laisse tant de temps à ses acteurs pour réussir une parfaite restitution des sentiments, qu'on sort de là avec ce plaisir exquis propre au cinéma, celui d'avoir vu vivre et d'avoir vécu avec.

A voir, sans aucune réserve de ma part.

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