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17 mars 2013

Camille Claudel 1915

Camille Claudel 1915

Du génie à la folie...

Hiver 1915.

Internée par sa famille dans un asile du sud de la France – là où elle ne sculptera plus – chronique de la vie recluse de Camille Claudel, dans l’attente d’une visite de son frère, Paul Claudel.

Le film est librement inspiré des œuvres et de la correspondance de l'écrivain Paul Claudel avec sa sœur Camille, ainsi que des archives médicales retrouvées à la suite de son internement en hôpital psychiatrique.

Je dois le dire d'entrée, je tiens Bruno Dumont pour l'un des réalisateurs contemporains majeurs, et j'ai aimé tous ses films : "La vie de Jésus" en 1997, "L'Humanité" en 1999, "Twenty Nine Palms" en 2003, "Flandres" en 2006, "Hadewijch" en 2009 et "Hors Satan" en 2011. Cela peut paraître surprenant à certains que je le place à la hauteur de James Gray, Terrence Malick, Wong Kar-Wai, Mike Leighn, Takeshi Kitano, Alexandre Sokourov, Apichatpong Weerasethsakul, les Frères Dardenne, Martin Scorsese, David Lynch, David Cronenberg, Eugène Green, Ken Loach... mais puisqu'il suscite chez moi le même type d'interrogations, de troubles, de doutes... je ne vois là aucune incohérence. Et j'assume.

CC décors

Pour donner un cachet réaliste à son récit, le réalisateur Bruno Dumont voulait absolument tourner son film dans un hôpital psychiatrique, cherchant à coller au mieux à l'environnement qui a vu les derniers jours de Camille Claudel. Avec l'accord des autorités médicales, il a également souhaité faire jouer les patients dans son film, dans des rôles aussi bien silencieux que parlants. Pour éviter tout débordement ou toute improvisation inattendue, il leur a demandé d'appeler Julette Binoche par le nom de son personnage, Camille. Les infirmières ont aussi grandement aidé à canaliser les malades, et le réalisateur a eu la bonne idée de les incorporer dans le scénario : ce sont elles qui interprètent les nonnes. Dans un souci de réalisme, et pour faciliter les interactions entre les patients et les infirmières, Bruno Dumont a donné aux nonnes le prénom de chacune de leurs interprètes.

CC folie

Le réalisateur n'a pas cherché à inventer des personnages pour entourer le quotidien de Camille à l'hôpital : il avait des personnes réelles à portée d'objectif, des malades mentaux plus vrais que nature qu'il a filmés à l'état brut : "Jessica, c’est Jessica, je n’ai pas de commentaire à faire sur elle. Je n’ai pas de directions à lui donner. Quand je filme Rachel, Jessica, Christiane, je n’ai rien à faire, je pose ma caméra et je fais tourner… Je fais ça simplement, il n’y a pas de tralala, car elles donnent quelque chose qui est inimaginable, qu’aucun comédien ne peut faire, c’est impossible, et ça j’en ai besoin pour justement tenter d’exprimer cet environnement dans lequel Camille Claudel s’est trouvée. [Ce sont] des malades mentales contemporaines, qui disent quelque chose (...) qui est toujours là, devant lequel il n’y a pas beaucoup de commentaires à faire et de choses à dire. Il n’y a rien à dire."

La plupart du temps, on passe outre les aspects "techniques" d'un film - sauf évidemment quand il s'agit de béer devant des effets spéciaux - de la même façon qu'aux laborieuses cérémonie des César on soupire devant les prix qui leurs sont destinés. Devant "Camille Claudel 1915", c'est impossible : la photographie de Guillaume Deffontaines est parfaite (on dirait du Sokourov) et les cadrages sont somptueux ; l'ingénieur du son Philippe Lecoeur fait un travail remarquable (sans musique) depuis le chant des oiseaux, une patate qui boue sur le poêle, une cuiller qui racle une assiette, des pas dans la rocaille, des grognements étouffés par les murs épais et séculaires, des rires gutturaux, etc... ; les costumes d'Alexandra Charles et Brigitte Massay-Sersours, aux étoffes lourdes ; tout contribue à la perfection.

CC Binoche 1

CC Binoche 2

Patients et infirmières apportent leur naturel à un tableau d'une splendeur formelle époustouflante. L'impression d'impuissance que ressent l'héroïne nous envahit progressivement, tandis que sa détresse apparaît dans les yeux d'une actrice à son meilleur. L'expérience s'avère plus que concluante, offrant à Juliette Binoche l'un de ses plus beaux rôles, peut-être le plus beau de tous. Consumée, exsangue, absente d'elle-même, toute sa rage et sa désespérance réfugiées dans son regard, Juliette Binoche est extraordinaire, comme elle sait l'être. 

 

CC Jean-Luc Vincent

Je ne peux énumérer toute la distribution, essentiellement composée, comme j'ai l'ai déjà écrit, par des non professionnels. C'est Robert Leroy qui incarne le médecin, c'est Emmanuel Kauffman qui interprète le prête, et j'ai eu le plaisir de découvrir Jean-Luc Vincent dans le rôle de Paul Claudel, le frère de Camille, dont elle attend la visite presque tout au long du film. Dans ce rôle particulièrement difficile (l'auteur de "Tête d'Or", "L'annonce faite à Marie", "Le père humilié", "Jeanne d'Arc au bûcher", "Le Soulier de Satin", etc... n'étant aisé à jouer à cause de sa complexité et de son mysticisme), il est admirable. Il aborde sa scène face au prêtre, et surtout sa scène face à sa soeur, à la façon d'un Fabrice Luchini (à qui il ressemble un peu physiquement) qui aurait cessé de cabotiner afin d'incarner son texte plutôt que de se valoriser soi-même.

Quant à l'enjeu dramaturgique du film, il témoigne d'une audace qui n'est pas moindre. Bruno Dumont oppose le scalpel de son style épuré, plans secs, sans lyrisme, au coeur de la crudité, de la cruauté et de la nudité d'une humanité souffrante, sans doute la plus proche de Dieu.

Toute la force paisible de "Camille Claudel 1915", qui renvoie la grande majorité du cinéma français à de la simple illustration, est de croire en la magie du champ-contrechamp. Sans effet de manches, avec humilité, Dumont réalise son film le plus bouleversant, le plus en empathie avec ses personnages. Et nous touche au plus profond de notre être. "Camille Claudel 1915" est un film d'art.

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