Oh Boy

Errance berlinoise, en quête d'identité.

Niko, Berlinois presque trentenaire, éternel étudiant et rêveur incorrigible, toujours au chômage, s’apprête à vivre les vingt-quatre heures les plus tumultueuses de son existence : sa copine Elli (Katharina Schütter) se lasse de ses indécisions ; son voisin Karl (Justus Von Dohnanyi, particulièrement émouvant) lui raconte pourquoi il est contraint par son épouse de vivre à la cave ; son meilleur ami Matze (Marc Hosemann) est un acteur trop dilettante et insouciant pour lui être d'une quelconque aide pragmatique ; son père Walter (Ulrich Noethen) lui coupe les vivres juste après son golf ayant appris qu'il ne suit plus ses cours à l'université depuis deux ans ; un psychologue (Andreas Schröders, excellent de cynisme) le déclare « émotionnellement instable » ce qui le prive de son permis de conduire ; la copine d'enfance Julika (Frederike Kempter) qu'il croise par hasard ne fait que lui renvoyer l'image de l'adolescent banal et plutôt méchant qu'il était au collège ; Friedriech (Michael Gwisdek, bouleversant) un veil homme au bar à ses côtés lui raconte ses souvenirs de la Nuit de Cristal avant de mourir devant lui sur le trottoir, etc... rien de bien joyeux !

Si seulement Niko pouvait se réconforter avec une bonne tasse de café ! Mais là encore, le sort semble s'acharner contre lui...

"Oh Boy !" a fait l’ouverture du festival du film allemand à Paris. Le film a également été récompensé dans plusieurs autres festivals. Il a reçu le Prix du public et le Prix spécial du jury au festival d’Angers, le Prix du scénario au Festival International de Karlovy Vary en République Tchèque. Tom Schilling, l’acteur interprétant Niko Fisher, a obtenu le Prix d’interprétation au Festival International du film d’Oldenbourg en Allemagne du Nord. Enfin, au Festival International du Film de Marrakech, le film a reçu le Prix du jury.

Jan Ole Gerster a réalisé des films publicitaires et des clips vidéos. Lors du tournage de "Good Bye, Lenin !", il a été l'assistant personnel du réalisateur Wolfgang Becker. Il a aussi été acteur, en 2006, dans "Ein Freund vor mir" de Sebastian Schipper aux côtés de Daniel Brühl et Jürgen Vogel. "Oh Boy !" est son premier long métrage.

"C'est une histoire personnelle, même si je n'en suis pas au point de dévoiler ma vie privée", explique Jan OLe Gerster. En ce qui concerne le choix de tourner en noir et blanc, le réalisateur nous explique ceci : "C'est venu par instinct, et je suis très conscient de ne pas être le premier cinéaste à filmer ainsi une ville ! Mais le noir et blanc instaure une sorte de distance, ce qui m'a encouragé à écrire à partir d'éléments très personnels. Le fait de s'écarter d'un certain naturalisme laisse aussi le choix au spectateur de s'identifier ou non avec le personnage, d'être en position d'observateur ou de partager son expérience."

"Oh Boy !" rappelle les films de la Nouvelle Vague avec, notamment, la jeune fille que l'on voit dans la première scène du film qui a une coupe de cheveux à la garçonne, rappelant l'actrice américaine Jean Seberg dans "À bout de souffle" de Jean-Luc Godard. Par ailleurs, le film fait la part belle à la musique jazz. Le réalisateur ne voulait pas de compositeurs de bandes originales. Il désirait s'entourer de purs musiciens. Un peu à la manière de "Le Lauréat" avec le duo Simon et Garfunkel ou de "Dead Man" avec le chanteur Neil Young. Toutes proportions gardées évidemment, on songe aussi à "Ascenseur pour l'échaffaud" de Louis Malle avec la musique de Miles Davis.

Tom Schilling (à gauche) est impeccable dans le rôle de Niko, alternant drôlerie et mélancolie. Il a joué dans quelques séries TV, puis deux fois sous la houlette de Oskar Roehler, d'abord dans "Une famille allemande" en 2004, puis dans "Les Particules Élémentaires" en 2006. Il est aussi au générique de "JOy Division" de Reg Travis (2006), "La Bande à Baader" de Uli Edel (2008), et nous le reverrons, si le film sort en France, dans "Ludwig II" de Peter Sehr et Marie Noelle.

C'est Marc Hosemann (au milieu) qui campe Matze, le meilleur ami de Niko. Il excelle de légèreté et de nonchalance. Par deux fois, il a joué pour Fatih Akin, dans "L'engrenage" en 1998 puis dans l'excellent "Soul Kitchen" en 2009. Excellent comédien, tout en malice. C'est Frederike Kempter (à droite) qui incarne Julika, jolie jeune femme qui fut autrefois la petite boulotte dont tout le monde se moquait au collège. Elle joue très bien, entre ses complexes passés et son désir de prendre une revanche sur la vie, tantôt agaçante, tantôt audacieuse, tantôt affectueuse.

Ces vingt-quatre heures de rencontres bigarrées que nous conte le cinéaste Jan Ole Gerster dans ce premier donnent un film à la fois beau, désabusé et jazzy. Le résultat, porté tout en légèreté par le comédien Tom Schilling, a le charme d'un Woody Allen d'autrefois. Sans excès démonstratif, cette galerie de portraits contemporains forme un ensemble cohérent qui confirme, en substance, que l’on est toujours potentiellement l’importun ou la béquille d’autrui. De ce mélange frappé nait une agréable surprise. "Oh Boy" est de l’essence des premiers films pétris d’influences où se distingue la patte d’un auteur à suivre.

Une œuvre de jeunesse joliment désabusée qui séduira les amoureux d'un cinéma farouchement indépendant. On en ressort les yeux gorgés d'images et les oreilles bercées de répliques décalées. Ce premier film peut ressembler, par ses aspects comiques, à "After Hours", de Martin Scorsese. D'une course à l'expresso (c'est le running gag du film) à une quête d'identité... un film charmant bricolé par Jan Ole Gerster. C'est d'évidence une pierre de plus apporté au renouveau du cinéma allemand.