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22 septembre 2013

Ma Vie avec Liberace

Ma Vie avec Liberace

Derrière le candélabre...

Avant Elvis, Elton John, Madonna, et tant d'autres, il y a eu Liberace : pianiste virtuose, artiste exubérant, bête de scène et des plateaux télévisés.

Liberace (Michael Douglas) affectionnait la démesure et cultivait l'excès, sur scène et hors scène.

Un jour de l'été 1977, le bel et jeune Scott Thorson (Matt Damon), grâce à Bob Black (Scott Bakula), un ami de la star rencontré dans un bar gay, pénétra dans sa loge et, malgré la différence d'âge et de milieu social, les deux hommes entamèrent une liaison secrète qui allait durer cinq ans.

"Ma Vie avec Liberace" narre, du point de vue de Scott Thorson les coulisses de cette relation orageuse, de leur rencontre au Las Vegas Hilton à leur douloureuse rupture publique, en passant par leur vie quotidienne entre Seymour Heller (Dan Aykroyd) le manager de Liberace, les expériences chirurgicales du Dr Jack Startz (Rob Lowe), les visites de Frances Liberace (Debbie Reynolds), la mère de la star, l'addiction à la drogue de Scott, etc...

La projection de "Ma vie avec Liberace" au dernier Festival de Cannes avait forcément attiré mon attention et attisé ma curiosité, pour différentes raisons : j'aime le Steven Soderbergh de "Kafka" (1991), "Erin Brokovich" (2000), "Traffic" (2000), "Bubble" (2000), "The Informant !" (2009), "Magic Mike" (2012) ; je considère le personnage de l'extravagant et de l'excentrique - au même titre que celui du travelo, de la grande folle, de la putain, du "freak" - comme un des meilleurs prismes pour regarder et analyser la société ; que le fait que le film n'ait pas trouvé de studio pour le financer parce que "trop gay " et ait dû faire appel à HBO ; que les paillettes dissimulent de façon intéressante un certain mal de vivre et une solitude virant à l'isolement ; l'inculture musicale généralisée et le snobisme en France n'a pas permis la connaissance suffisante de Liberace ; la mort officielle par arrêt cardiaque de la star en lieu et place du sida est inhérent aux années 1980 ; etc...

Anormalement, "Ma Vie avec Liberace" est reparti bredouille du Festival de Cannes 2013. Enfin pas tout à fait... puisqu'il a remporté la très convoitée "Palme Dog", décernée à Baby Boy, le très canin "interprète" du caniche aveugle qui a permis le rapprochement entre Scott Thorson et Liberace.

"Ma Vie avec Liberace" a été tourné à Las Vegas, à Palm Spring et à Los Angeles, dans des lieux authentiques, ayant fait partie de la vie de Liberace ou de son amant : son appartement à Los Angeles, le bureau de poste de West Hollywood où Scott Thorson a travaillé après leur séparation, l'église Our Lady of Solitude où eurent lieu les funérailles de Liberace, ou encore la scène et la salle d'exposition du Las Vegas Hilton où le musicien donnait son spectacle. Il en est de même pour plusieurs objets. C'est d'ailleurs le cas de la Rolls-Royce argentée conduite sur scène par Matt Damon, réellement utilisée à l'époque par Liberace lors de son show. Celle-ci, ainsi que de nombreux accessoires, ont été empruntés au Liberace Museum de Las Vegas.

Liberace - Damon et Douglas

C'est la chef costumière Ellen Mirojnick qui a réalisé les costumes du film. Michael  Douglas et Matt Damon en portent plus de 60 dans le film ! Pour reconstituer ces tenues, elle s'est en grande partie inspirée de ceux conservés au Liberace Museum. Les costumes originels étaient très lourds, du fait de leur composition en fourrures et en pierres incrustées. La costumière a donc testé une large gamme de matières et d'ornements, pour pouvoir en recréer de plus légers, et a fait appel aux plus grands spécialistes hollywoodiens pour la reproduction des innombrables bijoux.

Vous en prendrez plein les mirettes, entre les paillettes, les plumes, le strass, l'or, qui vient se glisser partout, évidemment sur scène et sur les costumes (jusqu'aux chaussons !), mais aussi sur le linge de maison, les bibelots, les voitures, etc... Autant de "pépites" qui révèlent une solitude, une peur de vieillir, un effroi du temps qui passe, une peur de manquer, un souvenir de modestie sociale, tous aussi douloureux que très attachants.

Liberace avait une véritable collection de pianos. Tous ceux présents dans le film lui ont appartenu. Il possédait, notamment, deux pianos assortis, qui ont été dégroupés à sa mort - l'un étant conservé au Liberace Museum, l'autre à la salle d'exposition des pianos Baldwin. Ces deux instruments très atypiques ont été à nouveau réunis pour les besoins du film, après trente longues années de séparation, afin de pouvoir tourner la séquence du numéro des "Deux Pianos".

Le film aborde frontalement l'homosexualité. A l'époque, l'homosexualité des artistes célèbres était tenue secrète, leur image publique exigeait qu'ils soient hétérosexuels. Lorsque Scott Thorson réclama une pension au musicien après leur séparation, Liberace nia qu'il était gay et qu'il avait été son amant. "Je voulais faire un film qui montre les progrès de l'espèce humaine, de notre pays, du monde entier, par rapport à cette question. Dans certains endroits, les unions entre personnes du même sexe sont aujourd'hui reconnues et admises. Etre gay n'est plus autant stigmatisé", déclare le producteur Jerry Weintraub.

Le film est avant tout une histoire d'amour, telle que peuvent en vivre beaucoup de couples. "Ce qui m'a plu, dans le livre, c'est que les discussions qui y sont rapportées sont de celles que peuvent avoir tous les couples. Ce qui est moins banal, c'est le cadre dans lequel ces discussions avaient lieu", précise le metteur en scène. D'un côté, un pianiste virtuose, doté de la fibre du spectacle, qui comptait parmi les musiciens les mieux payés au monde ; de l'autre, un jeune garçon adopté et en manque de repère, soumis au monde impitoyable du show business. Et un amour sincère qui n'y a pas résisté.

Liberace - Michael Douglas

Liberace - Douglas Michael

"Ma Vie avec Liberace" marque le retour - et quel retour ! - de Michael Douglas, sorti victorieux de sa bataille contre le cancer. Le comédien s’est montré bouleversé devant les journalistes lors de la conférence de presse du film au Festival de Cannes, très ému de s’être vu offrir un rôle d’une telle ampleur après son combat contre la maladie : "Ce rôle était un grand cadeau. Je serai éternellement reconnaissant à Steven, Matt et à Jerry de m'avoir attendu", a-t-il notamment confié alors.

Ce genre de rôle, que trop peu d'acteurs acceptent, aux USA comme en France, (on se souvient que tout le monde avait décliné les propositions de Ang Lee pour son "Brokeback Mountain"), est une magnifique aubaine, tant il permet une palette de jeu étendue, entre la faille intérieure, l'extravagance, l'auto-dérision, le retrait du monde, etc... Et Michael Douglas honore ce rôle avec un talent qu'il n'a peut-être jamais jusqu'ici eu l'occasion d'exprimer. Il est époustouflant, et savoir qu'il n'est pas reparti de Cannes sans Prix d'Interprétation demeure assez incompréhensible.

Liberace - Damon Matt

Liberace - Matt Damon

C'est pour moi une chose entendue : Matt Damon peut tout jouer. Certes, il n'a pas la beauté des Brad Pitt, George Clooney et Ben Affleck, mais sa capacité à incarner les "Monsieur tout le monde" lui permet d'investir tous ses rôles avec une dimension que les autres n'ont pas. Sublime dans "Gerry" de Gus Van Sant, politiquement très engagé aussi bien dans "Invictus" que dans "Asylium", étant seul parvenu à démoder - et ce définitivement - James Bond en incarnant Jason Bourne, ce type est un comédien d'exception. À la hauteur d'un Colon Firth qui l'a précédé, d'un James Franco qui lui succède, il a l'incroyable talent de chosir ses rôles avec un rare discernement.

Ici, il est à la fois sorti de l'univers de Rainer Werner Fassbinder en jouant un homme d'un milieu social qui aterrit dans un monde qui n'est pas le sien, et qui finira par le rejeter, à la fois sorti de tout ce que le show business peut avoir d'outrancier.

Le film est narré de son point de vue, de son regard au début aussi pataud qu'admiratif, ensuite amoureux, enfin jaloux et halluciné à cause de la drogue, il livre une partition haute en couleur, dont très peu son capables.

L'une des séquences du film offre une vue imprenable sur la marque de bronzage des fesses de Matt Damon. L'acteur s'en explique : "Nous essayions de tourner une scène de dispute, dans laquelle je m'approche du lit, et je termine dans le lit. La caméra de Steven devait se rapprocher peu à peu. J'ai donc dû lui dire que j'avais une ligne de démarcation à cause du bronzage. Il fallait adapter ma tenue pour que ça ne se remarque pas. Et alors Steven a dit 'Mais c'est extraordinaire, on peut le montrer ! Si à la fin de la scène tu faisais tomber tes vêtements, on pourrait voir cette démarcation'."

Liberace - Rob Lowe

Notons, dans le rôle du Docteur Startz, le chirurgien-charcutier esthétique de l'apoque, l'admirable interprétation de Rob Lowe, qui malgré des débuts très prometteurs "Outsiders" un chef d'oeuvre de Coppola (1983), "Hotel Nex Hempshire" de Tony Richardson (1984), n'aura pas tout à fait eu la carrière qu'il méritait.

Ici, alors qu'il est presque méconnaissable, il incarne à lui seul toutes les dérives du show business, d'abord avec sa profession de chirurgien esthétique, ensuite avec son maniérime, sa fausse élégance empruntée, son mauvais goût vulgaire (qui n'a pas le "kitsch" revendiqué de celui de Liberace), enfin parce qu'il dessine une dérive de ce connait (et aime) le Hollywood d'aujourd'hui.

Il vous sera impossible de ne pas rire de son rôle et de son interprétation.

 

"Ma vie avec Liberace" brille, mais pas seulement par sa matière, pas seulement parce qu’il enivre et éblouit. Lorsque tous ses feux sont éteints, il scintille toujours : au-delà de son chatoiement, le film est par lui-même brillant. Sous l'exhibitionnisme formel, la virtuosité prétendument gratuite de Steven Soderbergh, se dissimule non pas un petit maître d'esbroufe, mais un très grand cinéaste. "Ma vie avec Liberace" le prouve - avec éclat, bien sûr.

Ce biopic tragi-comique vaut aussi pour la reconstitution méticuleuse de l'environnement de Liberace, clinquant et kitsch. Le tableau de cette société américaine de la fin des années 1970 n'en finit pas de sidérer. "Ma vie avec Liberace" est aussi un film impitoyable sur la domination sociale. Dosant à la perfection la noirceur et la drôlerie, Steven Soderbergh parvient à dresser le portrait acide d’un absolu tyran.

Une descente virtuose dans l’intimité d’une grande histoire d’amour tragique. Et l’occasion pour Matt Damon et Michael Douglas de signer des performances phénoménales. Une exigence de mise en scène et d’interprétation qui confine au sublime. Ils ont autant le sens de la mesure que de la démesure, et sont sidérants.

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