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La Vie ChonChon
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1 novembre 2013

Attila Marcel

Attila Marcel

Pouvoir se souvenir, pour grandir, pour devenir...

Paul (Guillaume Gouix) a la trentaine, ne parle jamais, il vit dans un appartement parisien avec ses tantes Annie (Bernadette Lafont, dont cet ici le dernier rôle) et Anna (Hélène Vincent), deux vieilles aristocrates qui l’ont élevé depuis la mort de ses parents Anita (Fanny Touron) et Attila (Guillaume Gouix), à l'âge de deux ans, et qui rêvent de le voir devenir pianiste virtuose, et espèrent le voir gagner un grand concours international. Elles iront jusqu'à consulter Monsieur Kruzinsky (Jean-Claude Dreyfus) le présient du jury de ce concours.

Sa vie se résume à une routine quotidienne, entre le grand piano du salon, les cours de danse de ses tantes où il travaille en tant qu’accompagnateur, ses achats de chouquettes à la boulangerie, les soirées avec les vieux amis de ses tantes, Monsieur Coehlo (Luis Rego, formidable en aveugle accordeur de piano), Monsieur Chassepot de Pissy (Guilhem Pellegrin) et Monsieur Pineton de Chambrun (Jean-Paul Solal).

Totalement isolé du monde extérieur, Paul a vieilli sans jamais avoir vécu...

Jusqu’au jour où il rencontre Madame Proust (Anne Le Ny, éblouissante), sa voisine du quatrième étage. Cette femme excentrique aux allures de bohémienne, qui vit seule avec son chien, qui joue du ukulélé et qui est herboriste grâce au jardin qu'elle cultive en cachette dans son appartement, possède la recette d’une tisane magique aux herbes capable, grâce à la musique, de faire ressurgir les souvenirs les plus profondément enfouis.

 

Avec elle, Paul va découvrir son histoire et trouver la clé pour vivre enfin sa vie...

Habitué aux films d’animation avec le sublime court métrage "La vieille dame aux pigeons" (1998), puis "Les Triplettes de Belleville" (2003) et "L'Illusionniste" (2010), Sylvain Chomet signe son premier long-métrage filmé en prises de vues réelles avec "Attila Marcel". C’est grâce à sa première expérience en la matière sur le film collectif "Paris je t'aime" (2006) (un film que je conseille pour les Frères Coen et Gus Van Sant notamment) que le cinéaste a pris goût à la mise en scène hors films d'animation.

"Attila Marcel" est d’abord une chanson qu’on retrouve dans la bande originale de "Les Triplettes de Belleville" : "Nous étions en 2000, je travaillais sur LES TRIPLETTES et m’est venue cette chanson - « Moi mon homme c’est un vrai / C’est un dur, un balaise / Je vois la mort de près / Dans ses yeux de braise / Il me fait ce que personne n’ose / Il couvre mon corps d’ecchymoses / Il m’assomme, Il m’poche les yeux / Il m’fait la vie en bleu » - ce pastiche d’Edith Piaf qui est effectivement sorti dans la BO des TRIPLETTES."

Vincent & Lafont - Attila Marcel
Vincent & Gouix & Lafont

Les vieilles dames occupent une très grande place dans la filmographie de Sylvain Chomet. Il le montre une fois de plus ici : "Les personnes âgées ont une force et une sagesse qui me rassurent. Et elles ont une énergie que bien des gens de 20 ans n’ont pas. En écrivant "La vieille dame et les pigeons" et "Les Triplettes de Belleville", je pensais à ma grand-mère que j’ai peu connue et sur laquelle j’ai beaucoup fantasmé. Pour les tantes, je me suis inspiré d’un dîner auquel un ami m’avait convié alors que j’étais encore jeune homme. Sa famille venait d’un milieu très aristocratique et j’avais été très frappé par la façon dont ces gens et leurs amis parlaient. À l’origine, je voulais que les personnages des tantes soient interprétés par des jumelles. Puis, quand Bernadette Lafont et Hélène Vincent sont arrivées, j’ai décidé que ce serait simplement deux sœurs. On a tous croisé un jour ce genre de sœurs qui ont passé toute leur vie ensemble, auxquelles on ne connaît pas d’amoureux, qui s’habillent exactement pareil et dont chaque geste semble synchrone avec celui de l’autre."

Guillaume Gouix - Attila Marcel
Gouix - Attila Marcel

Guillaume Gouix, qui incarne ici Paul, mais aussi son père Attila dans les flashs back dûs aux mystérieuses tisanes de Madame Proust, est excellent. En dix ans, il a conquis des rôles de plus en plus étoffés, et, à pas encore trente ans, il compte parmi les acteurs les plus prometteurs de sa génération. "Darling" de Christine Carrière (2007), "Le Bel Âge" de Laurent Perreau (2009), "Copacabana" de Marc Fitoussi (2010), "Belle Épine" de Rebecca Zlotowski (2010), le très bon "Poupoupidou" de Gérald Hustache-Mathieu (2011), le film qui le révèle vraiment "Jimmy Rivière" de Teddy-Lussi-Modeste (2011), "Faux Coupable" de Didier Le Pêcheur (2011), "Mobile Home" de François Pirot où il irradie (2012), et le magnifique "Hors les Murs", que je conseille vivement, de David Lambert, ont tissé un début de carrière très intéressant, presque sans faute. Ici, dans le rôle difficile de Paul puiqu'il ne parle pas, comme dans le rôle de son père Attila Marcel, il alterne le jeune homme replié sur soi qui joue essentiellement avec son visage avec le gouailleur toujours en mouvement. La scène de souveniroù, filmé de dos en Attila Marcel, la caméra subjective placée dans la poussette où est assis Paul, est magnifique.

Anne Le Ny - Attila Marcel
Le Ny Anne - Attila Marcel

Le nom du personnage féminin principal (Madame Proust, initialement dévolu à Yolande Moreau et repris par Anne Le Ny) n’est évidemment pas sans rappeler celui de l’auteur d’ "A la recherche du temps perdu". Un clin d’œil introduit par le cinéaste : "C’est un petit hommage à l’écrivain et à ses madeleines dont on détourne un peu le sens puisqu’il ne s’agit pas ici de la mémoire olfactive mais de la mémoire auditive." Impossible de dire ici tout le bien que je pense d'Anne Le Ny en général, et ici dans son rôle de Madame Proust en particulier : elle est anthologique ! Elle est toute de gouaille, de bonté, de fantaisie, mais aussi de tendresse, de bonté et de mélancolie faisant face comme elle peut au cancer qui la ronge. Vous l'adorerez, comme l'on fait Pierre Jolivet (2 fois), Jacques Fansten, Pascal Thomas (2 fois), Denis Dercourt (2 fois), Agnès Jaoui, Sophie Fillières, Zabou Breitman, Claude Miller, Graham Gruit, Patrice Leconte, Jean-Paul Salomé (2 fois), Valérie Donzelli, Emmanuelle Millet, Gérald Hustache-Mathieu. Sa tonche un peu tordue est une "gueule de cinéma", et le travail qu'elle accomplit ici pourrait (devrait ?) lui valoir un César, ou pour le moins une nomination.

Tout le reste de la distribution est excellent : Bernadette Lafont et Hélène Vincent s'musent comme deux gamines ; Luis Rego est particulièrement touchant ; Cyril Couton (dans le rôle du Docteur qui aurait voulu être taxidermiste) est parfait engoncé dans sa petite vie triste ; Jean-Claude Dreyfus est "ogresque" ; et tous les autres sont au diapason, Fanny Touron, Kea Kaing, Vincent Deniard, Philippe Soutant, Guilhem Pellegrin, Jean-Paul Solal, Jea-Pol Bissart... chacun ayant sa part de poésie.

On devine en le voyant que "Attila Marcel" déplaira à Télérama (au moins pour une part), aux Cahiers du Cinéma et à Critikart, pourtant, son intemporalité, son humour, sa tendresse, son acidité, sa chronique humaine, ne sont pas du même acabit que ce que décrit, par exemple, "Amélie Poulain", à savoir un univers trop nettoyé, presque rance. C'est un film ténu, opalescent, dont il faut admirer la somme gigantesque de travail qu’a impliqué son apparente facilité, et tout ce qui se cache derrière les apparences, derrière les façades. L'enfance de Paul est cachée, l'appartement de Madame Proust est caché, les clients de Madame Proust se cachent, la "vérité" des tantes Annie et Anna sur Attila Marcel, le père de Paul, n'est que mensonges... C'est plutôt très subtil, car au-delà d'un film inscrit dans un passé propret, grâce à Madame Proust, on accède à une critique, fantisiste certes, mais piquante, voire acérée, du conformisme, des "bonnes manières", du trop bien rangé, du trop confortablement assi.

As de l’animation, Sylvain Chomet passe à la prise de vues réelles sans rien renier de son univers. Il flotte dans "Attila Marcel" un parfum doucement transgressif et une poésie sacrément communicative.

Et puis... Anne Le Ny est merveilleuse. Comme la fée multicolore du haschih et du LSD.

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