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17 février 2014

Abus de Faiblesse

Abus de faiblesse

À en perdre la raison...

Victime d’une hémorragie cérébrale, Maud Schoenberg (Isabelle Huppert, comme d'habitude, parfaite), cinéaste, se réveille un matin dans un corps à moitié mort qui la laisse hémiplégique, face à une solitude inéluctable.
Alitée mais déterminée à poursuivre son projet de film, elle découvre Vilko Piran (Kool Chen, excellent), arnaqueur de célébrités, en regardant un talk-show télévisé. Son arrogance crève l’écran avec superbe : Maud le veut pour son prochain film.
Ils se rencontrent. Il ne la quitte plus. Elle aussi, il l’escroque et lui emprunte des sommes astronomiques. Il lui prend tout mais lui donne une gaieté et une sorte de chaleur familiale.
Ce film raconte l’abus de faiblesse dont Maud est victime.

En 2007, Catherine Breillat écrit le scénario de "Bad Love" à la demande de la top-model Naomi Campbell. Pour cette histoire d'amour sur fond de jet-set qui lie une star de cinéma à un jeune homme lambda, la réalisatrice contacte le bad boy Christophe Rocancourt pour interpréter le rôle de Louis. Plus qu'une collaboration professionnelle, c'est une relation d'amitié qui se créée entre la réalisatrice et l'ancien escroc, qui, profitant de sa faiblesse psychologique à la suite d’un accident vasculaire cérébral, lui soutire plus de 800 000 euros. Le projet de "Bad Love" est avorté, et prend la forme d'un roman sorti en librairie en 2007.

Lors de sa rencontre avec Olivier Nora, à la tête des éditions Fayard et PDG de Grasset, Cathreine Breillat évoque son projet de roman, et également ses envies d'adaptation sur grand écran. La romancière et réalisatrice conserve alors tout naturellement les droits cinématographiques d'"Abus de faiblesse" et se met à l'écriture du scénario : "J’ai mis énormément de temps. J’étais perdue, incapable d’avoir de la distance par rapport à ce que j’avais vécu. Or je tenais absolument à faire de Maud et Vilko de vrais personnages de fiction. J’ai mis plus de deux ans et demi à écrire ce scénario, alors qu’habituellement, j’arrive à une première version au bout de trois semaines. Mais il y a une raison évidente derrière tout cela : j’avais peur de faire ce film."

Isabelle Huppert - Abus de faiblesse

Isabelle Huppert - Maud tombée

"Abus de Faiblesse" marque la première collaboration de la réalisatrice avec l'actrice Isabelle Huppert, qui joue le rôle de Maud, autrement dit celui de la réalisatrice elle-même à l'époque de son usurpation : "Je lui ai téléphoné pour lui expliquer que si elle voulait faire un film avec moi avant ma mort, c’était maintenant ou jamais ! Cela faisait longtemps que j’avais envie de travailler avec elle. Je trouve qu’au-delà de son immense talent, elle a ce double aspect intellectuel et enfantin qui correspondait parfaitement au personnage de Maud." La cinéaste filme ces scènes difficiles avec Isabelle Huppert avec une minutie d'autobiographe, mais avec une distance loin de toute empathie, installant immédiatement une relation trouble entre le spectateur et son personnage : entre pitié et agacement, Maud inspire des sentiments contradictoires, et c'est magnifique.

C'est en hommage à Vilko Filac, le chef opérateur slovène de la réalisatrice sur le téléfilm "Barbe Bleue" (2009) que Catherine Breillat a décidé de nommer Vilko le personnage romancé de Christophe Rocancourt, joué par Kool Chen. Disparu en 2008, ce fut sa dernière collaboration sur un tournage. Il avait notamment été directeur de la photographie sur "Papa est en voyage d'affaires" de Emir Kusturica, Palme d'or en 1985.

Huis clos scandaleux, farce noire qui violente l'idéalisme, mais force l'admiration. Il faut reconnâitre au film toutes les vertus de la fiction. À commencer par le choix des acteurs, qui dénote, si besoin était, que Catherine Breillat a conservé sa prescience et sa justesse artistiques. Elle donne ici la clé de son cinéma : la beauté de ses personnages tient toujours à ce vertige qui s'empare d'eux pour leur permettre de se contempler sombrer dans l'abîme.

"Abus de faiblesse" séduit par une subtilité psychologique qui ne se manifeste pas dès l’abord, mais se découvre petit à petit, une fois le film fini même, avec le recul sur ce qui a pu d’abord laisser froid ou paraître un peu exagéré.

Kool Shen - Abus de faiblesse

La réalisatrice refuse catégoriquement le terme de "biopic" pour cette chronique douloureuse interprétée par une ompériale Isabelle Huppert et un Kool Shen qui n'a rien à envier à Joey Starr, son ex-moitié rap de NTM (il sait être à la fois charmeur et effrayant en Narcisse sous pression) mais il est difficile de ne pas penser au fait-divers en voyant ce film poignant.

Malgré la froideur du film, il y a quelque chose d’émouvant dans la description de cette femme seule qui lutte passivement et se cogne inlassablement contre le même mur invisible sans jamais trouver d’issue. La réalisatrice agence les séquences de cette barbarie intime avec des choix de distances qui commandent le respect, dédaignant la compassion qui abaisse par un vérisme pictural à hauteur de douleur. C’est ce halo de mystère, remarquablement entretenu par la mise en scène, qui confère au film grandeur et étrangeté.

Isabelle Huppert - dernier plan

Une extraordinaire scène finale, plan séquence maintenu dans la durée où le visage de l’actrice s’altère, en temps réel, des marques du désespoir, fait décoller "Abus de faiblesse" vers un inattendu sommet.

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