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26 septembre 2011

L'Apollonide

L_ApollonideSouvenirs de la maison close.

À l'aube du XXème siècle, dans une maison close à Paris, une prostituée a le visage marqué d'une cicatrice qui lui dessine un sourire tragique. Autour de la femme qui rit, la vie des autres filles s’organise, leurs rivalités, leurs craintes, leurs joies, leurs douleurs... Du monde extérieur, on ne sait rien. La maison est close.

Bertrand Bonello est mucisien classique de formation (il a travaillé notamment avec Françoise Hardy et Carole Laure), désormais professeur à la Fémis. Dès le milieu des années 1990, j'avis eu la chance de voir ses trois premiers courts métrages ("Juliette + 2", "Le bus d'Alice", "Qui je suis"), format auquel il est revenu avec "Cindy, the doll is mine" en 2005 et "Where the boys are" en 2009.

J'ai vu l'ensemble de sa filmographie, depuis "Quelque chose d'organique" en 1998 à "De la guerre" en 2008, en passant par "My new picture" en 2007, mais ce sont surtout "Le Pornographe" en 2001, et surtout le sublime "Tirésia" en 2003 qui m'ont bouleversé.

J'avais aussi noté sa présence, en qualité d'acteur, dans deux excellents films, "Les petits-fils" de Ilan Duran Cohen, et surtout "Le Pont des Arts" d'Eugène Green que je considère comme un chef d'oeuvre.

"L'Apollonide" a été présenté au dernier Festival de Cannes, et il est étonnant, et regrettable, qu'il en soit revenu sans prix. Comme en 1984 pour "Another Country", un Prix Spécial de la meilleur contribution artistique aurait été un moyen judicieux de réparer cette injustice.

Ce film est une chronique à la fois réaliste et romanesque de la vie dans une maison close au début du XXème siècle, mais dépasse largement ce cadre. Comme chez Marcel Proust, mais à la façon cinématographique, on y ressent la fin d'une époque, avec tout ce que cela suggère de mélancolie. Et c'est très bien mis en valeur, notamment, par le souffle tragique qui émane du film, comme l'attention et le raffinement apportés aux décors et aux costumes. Il faut le souligner, c'est une oeuvre d'une radicale splendeur, aussi généreuse que cruelle.

Mais le film ne se contente pas de cette "reconstitution", car il est une sorte de manifeste artistique et politique, et tous les souvenirs d'une époque révolue qu'il fait revivre n'en finissent pas de dessiner un tableau du monde d'aujourd'hui, les femmes entre elles et l'homme qui les regarde, qui les observe. Et si c'est un film majeur, c'est parce qu'il tente un choc esthétique, et y réussit, en se révélant être un des plus beaux films sur la chair féminine, sujet qui a toujours passionné le réalisateur.

Madame Marie-France, celle qui tient cette maison close, c'est Noémie Lvovsky, toujours impeccable. Il serait indécent de ne pas nommer l'ensemble des jeunes actrices qui peuplent cette maison close : Céline Salette (Clotilde, virant opiomane en comprenant qu'aun riche client ne la sortira de là), Hafsia Herzi (Samira), Jasmine Trinca (Julie), Adèle Haenel (Léa), Alice Barnole (Madeleine, sublime et tragique "Femme qui rit"), Iliana Lou Lévy (Léa), Anaïs Thomas, Pauline Jacquart, Maia Sandoz, JOanna Grudzinska, Esther Garrel. Il y a, entres les actrices comme entre leurs personnages, une espèce de sororité qu'on voit rarement, bien trop rarement au cinéma, comme n'appartenant qu'aux plus misérables.

Notons aussi le soin apporté aux acteurs qui campent les principaux clients de la maison close : Jacques Nollot (que j'adore, et à qui nous devons le radical et magnifique "La chatte à deux têtes"), Xavier Beauvois, Laurent Lacotte. Ils sont excellents.

Bertrand Bonello s'offre même une incursion dans le surréalisme avec un plan fixe parfait sur Madeleine, pute défigurée qui pleure des larmes de sperme, dans une scène absolument bouleversante.

Par ailleurs, il évite quelques pièges : le film évite la sensualité inutile, renvoie les rêves impossibles des putains qui rêvent encore du prince charmant à ce qu'ils sont, et refuse d'activer artificiellement toute empathie des spectateurs pour ses personnages. C'est d'une incroyable audace.

"L'Apollonide - Souvenirs de la maison close" est un film qui suscite la réflexion, parfois grâce à sa poésie, ce qui demeure une prouesse cinématographique de nos jours. Un film à la fois suave et toxique. Et toute la virtuosité discrète de Bertrand Bonello explose pour nous offrir ce qui s'apparente à un chef d'oeuvre.

Et de reprendre à mon compte cette maxime de Frédéric Taddéi : "Tout artiste est dangereux".
J'ajoute qu'il faut s'en féliciter. 

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