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11 août 2013

Les Salauds

Les Salauds

Quand la vengeance n'est pas aussi justifiée qu'on ne l'avait cru...

Commandant, à bord d’un supertanker, Marco Silvestri (Vincent Lindon, impeccable) doit rentrer d’urgence à Paris, abandonner le navire.

Sa sœur Sandra (Julie Bataille) est aux abois… son mari suicidé, une entreprise en faillite et sa fille unique, Justine (Lola Creton, formidable) à la dérive. Sandra désigne le coupable : l’homme d’affaires Edouard Laporte (Michel Subor, toujours parfait) qui vit avec sa maïtresse Raphaëlle (Chiara Mastroianni, superbe une fois de plus) et leur fils.

Marco loue alors un appartement dans l’immeuble où vivent Édouard Laporte et Raphaëlle, pour mieux organiser sa vengence. Mais Marco n’avait pas prévu les secrets de Sandra et de Justine, qui brouillent la donne… qui le conduiront vers Guy, un sympathique trafiquant de voitures (Miossec), vers des organisateurs de soirées sexuelles, Xavier et Élysée (Grégoire Colin et Florence Loiret-Caille, talentueux et étranges à souhait), etc...

Vincent Lindon - Les Salauds

J'ai toujours aimé le travail de Claire Denis, et je compte certains de ses films parmi les pépites du cinéma français. J'aime sa façon de travailler, de filmer, de tourner "en famille". Depuis "Chocolat" en 1988 avec Isaach De Bankolé (dont je ne comprends pas qu'il puisse être retenu par Lars Von Trier et Jim Jarmusch, mais que le cinéma français semble bouder alors que c'est un acteur exceptionnel), j'ai vu : "Sen fout la mort" avec Isaach de Banolé et Alex Descas ; "J'ai pas sommeil" avec Béatrice Dalle et Alex Descas ; "Nénette et Boni" avec Grégoire Colin ; "Beau Travail" avec Michel Subor (photo ci-dessous), Denis Lavant et Grégoire Colin (c'est le film que je préfère de Claire Denis) ; "Trouble every day" avec Vincent Gallo et Bétrice Dalle ; "Vendredi soir" avec Valérie Lemercier et Vincent Lindon (photo ci-contre) ; "L'intrus" avec Michel Subor, Grégoire Colin et Florence Loiret-Caille ; "White Material" avec Isabelle Huppert, Isaach de Bankolé et Nicolas Duvauchelle ; "35 Rhums" avec Alex Descas et Grégoire Colin.

Michel Subor - Les Salauds

Voilà, ce n'était nullement pour le plaisir d'écrire une simple liste que j'ai proposé tous les films que j'ai vus de Claire Denis, mais pour montrer ce que j'appelle "tourner en famille", puisque les mêmes noms reviennent, comme autant d'acteurs fétiches.

Pour "Les Salauds", Claire Denis s’est librement inspirée du film "Les salauds dorment en paix" du réalisateur japonais Akira Kurosawa. Encore plus que le thème de la vengeance, c’est avant tout le titre de ce film sorti en 1960 qui a encouragé la cinéaste à écrire son scénario : " Il m’a redonnée du nerf et l’envie de me battre. Je suis partie de là, d’un homme solide et sûr comme Toshiro Mifune, qui dans cette série de films noirs de Kurosawa est à la fois le héros et la victime, en tout cas le jouet de forces qu’il ne maîtrise pas, qu’il ne comprend pas. Vincent Lindon a accepté d’en être ce personnage."

J'imagine que le fait d'être comparé à l'immense Toshiro Mifune, acteur d'exception s'il en est, a été pour Vincent Lindon un des plus beaux compliments de toute sa carrière !

Claire Denis n’avait pas sorti de film au cinéma depuis "White Material" en 2010. Elle vivait depuis une période de creux, n’arrivant pas à se lancer dans un nouveau projet. Il a fallu l’intervention de son ami Vincent Lindon et de Vincent Maraval pour lui forcer la main. Le producteur l’a également incitée à réaliser son long-métrage dans l’urgence. Avec l’aide de son complice Jean-Pol Fargeau, la cinéaste a écrit le scénario de "Les Salauds" en seulement un mois : "Ça, c’est tout à fait opposé à mes habitudes. L’écriture du scénario, pour moi, c’est du temps pour errer, hésiter, défaire et refaire", raconte-t-elle. Le tournage du film s’est enchaîné immédiatement après, encore une fois sous l’impulsion de Vincent Maraval. Si Claire Denis a pu d’abord se sentir quelque peu bousculée, elle reconnaît aujourd’hui qu’une telle rapidité lui a permis de ne pas douter.

Ce sont les Tindersticks ont signé la très belle bande-originale du film. Le groupe de Nottingham a composé la musique de tous les films de Claire Denis depuis "Nénette et Boni" en 1996. Habitué à l’univers noir de la réalisatrice, le chanteur Stuart A. Staples a toutefois été quelque peu décontenancé à la lecture du scénario de son nouveau long-métrage : "Il a pris du temps avant de trouver comment se situer par rapport à lui et commencer à composer. Je lui avais dit que le film commençait dans la pluie, en lui proposant d’y faire écho avec une musique électronique, dissonante", confie Claire Denis. Fidèle à leur rituel depuis maintenant dix-sept ans, elle s’est rendue dans le studio d’enregistrement du musicien dans la Creuse, avant que lui-même vienne chez elle à Paris lui faire écouter ses morceaux.

Lola Creton - Les Salauds

Dés le début du film, une jeune fille totalement nue, perchée sur des talons aiguilles, erre dans les rues de Paris au milieu de la nuit. La réalisatrice tenait particulièrement à cette scène et pensait déjà à l’actrice pour la jouer. La réalisatrice avait en effet repéré Lola Creton (une des jeunes actrices les plus talentueuses) dans "Un amour de jeunesse" de Mia Hansen-Love puis dans "Après Mai" d'Olivier Assayas. "J’ai eu très peur de proposer le rôle à Lola Créton. Elle m’a montré combien elle était forte, capable d’affronter ça. Avec une forme de présence sans culpabilité, en conservant la maîtrise de son corps, qui fait que le film ne la regarde pas comme une victime." Et effectivement, une fois encore, Lola Creton (photo ci-contre) est surprenante.

"Les Salauds" est le premier film que Claire Denis tourne en numérique. Elle a choisi la même caméra que celle déjà utilisée par son ami Leos Carax pour le magistral "Holy Motors". Un tel matériel n’attirait pas la réalisatrice au départ, tant la façon de travailler est différente de ce dont elle avait l’habitude. Les rapports avec le chef opérateur sont en effet totalement modifiés : la caméra se règle comme un ordinateur et nécessite des techniciens supplémentaires. C'est la directrice de la photographie Agnès Godard qui a finalement convaincu la cinéaste qui a accepté de relever le défi. Et le résultat est magnifique.

C’est la première fois que Claire Denis dirige Chiara Mastroinanni. Les deux femmes se sont connues en 2011, lorsqu’elles étaient toutes les deux membres du jury du Festival de Deauville. Une rencontre particulière pour la réalisatrice : "Sans avoir forcément eu des discussions très approfondies, nous avons ressenti une connivence très forte, un accord. Un soir, Chiara m’a vue exploser comme une grenade, je veux dire sans retenue, j’ai senti qu’elle m’avait saisie au vol, j’ai laissé aller. Au retour de Deauville, on a eu envie de partager une voiture et sur le trajet, elle a décidé d’acheter un vélo à son fils qu’on a mis dans le coffre... On a eu la chance d’avoir ce temps, sans gravité, pour nous". Au moment d'écrire le scénario de "Les Saulauds", Claire Denis a immédiatement pensé à Chiara Mastroianni pour incarner Raphaëlle. Un personnage supposé être l’incarnation de la féminité, ce qui est assez inédit pour l'actrice selon ses propres dires. Et qui restera, j'en suis certain, un des plus beaux rôles de Chiara Mastroianni.

Chiara Mastroianni - Les Salauds

Le film adopte la forme d'un cauchemar envoûtant aux contours incertains, une abstraction "lynchienne", irriguée par les éclats de mise en scène de Claire Denis, par sa capacité unique à créer une atmosphère en un seul plan. Une construction fascinante qu’hermétique, obéissant à une (il)logique de rêve, trouble et violent. Le spectateur est captivé par la beauté hiérarchique des images, la sobriété inquiétante de Chiara Mastroianni (photo ci-contre), l'histoire passe presque au second plan, et on ne la saisit que par bribes. C'est un film totalement "magnétique", qui charmera les uns, désarçonnera les autres. Sans hésitation, je compte parmi les "charmés".

C'est une expérience de cinéma singulière où il faut s'abandonner aux volutes de la bande-son et à la beauté radicale des images. Et si du temps est nécessaire pour comprendre les motivations des différents personnages, cela n'a aucune importance. Le couple formé par Vincent Lindon et Chiara Mastroianni électrise complètement la pellicule, et tous les rôles dits "secondaires" sont magistralement servis par Michel Subor, Julie Bataille, Lola Creton, Grégoire Colin, Florence Loiret-Caille, Miossec, Alex Descas, Hélène Fillières (la banquière) et Éric Dupont-Moretti (l'avocat !).

Perfectible ? Assurément ! Mais totalement désenchanté, d'une limpidité formelle éclatante, "Les Salauds" déstabilise et fascine. C'est de l'art. Ça ne plaira donc pas à grand monde...

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