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9 avril 2012

A moi seule

A moi seuleAprès le séquestre...

Gaëlle Faroult est soudain libérée par Vincent Maillard, son ravisseur, après huit années d’enfermement, où chacun a été « tout » pour l’autre.
Cette liberté gagnée jour après jour contre Vincent, Gaëlle doit à nouveau se l’approprier dehors, face à ses parents et au monde qu’elle découvre.

Librement inspiré de l'histoire de Natascha Kampush séquestrée pendant plus de 3000 jours par Wolfgang Priklopil, en Autriche, le film de Frédéric Videau est passionnant. A mon sens, c'est très courageux, très audacieux, de tenter de "fictionner" ce type de fait divers, tant les écueils sont nombreux.

Je rappelle que Frédéric Videau n'est pas tout à fait un inconnu. Il a été acteur chez Alain Guiraudie, scénariste pour Ursula Meier et pour les Frères Larrieu, et a réalisé, en 2003, "Variété Française". Et pour moi, Guiraudie, Meier, et Larrieu sont des noms qui résonnent positivement.

Frédéric Videau, pour se débarrasser de l'emprise du fait divers sur son film, a décidé de le faire commencer par la fin, ce qui est très intelligent. Et déjà le titre, "A moi seule" laisse entrevoir qu'il nous sera difficile d'appréhender l'étendue des conséquences de ce séquestre sur Gaëlle, car elle seule en connaît toute la complexité et les secousses. Réussir à rendre supportable ce sujet, en le traitant pourtant pleinement, et en prenant soin de préserver sa comédienne par une réserve aimante, relève du grand art.

Jamais Gaëlle n'est filmée comme une victime, mais bien davantage comme une guerrière, ce qui évite l'écueil du pathos. C'est très bien construit, le recours aux flash-back est toujours pertinent, et il ressort de cette construction ciselé un trouble qui n'évite pourtant pas de rendre compte de la complexité des rapports entre la séquestrée et son ravisseur.

Le réalisateur choisit une approche d'entomologiste, un peu comme s'il observait des insectes, et il se dégage de ce point de vue, qui refuse de ne jamais pointer le méchant du doigt, une neutralité dérangeante, qui pourra même en choquer certains. Et malgré cette approche "scientifique", la finesse psychologique n'est pas absente du film, et loin de là.

Agathe Bonitzer (Gaëlle) est une enfant de la balle, fille de Pascale Bonitzer, fille de Sophie Fillières (réalisatrice), nièce de Hélène Fillières (actrice et réalisatrice). Elle a donc déjà une carrière cossue derrière elle, et outre évidemmet les films de ses parents : "Un homme, un vrai" des Frères Larrieu en 2003, "Les sentiments" de Noémie Lvovsky en 2003, "La belle personne" de Christophe Honoré en 2008, "Bus Palladium" de Christopher Thompson en 2010, "Le mariage à trois" de Jacques Doillon en 2010, et récemment "Une bouteille à la mer" de Thierry Binisti. C'est sous la houlette de Agnès Jaoui que nous la retrouverons prochainement.

Au sortir de son enfermement, Gaëlle fera face à Noémie Lvovsky (Sabine, sa mère), à Hélène Fillières (la psychologue) toutes deux excellentes. Elle retrouvera aussi Jacques Bonaffé (son père) qui en une seule scène est magistral. J'aime Jacques Bonaffé. Déjà, il compte dans sa filmographie (30 ans de carrière !), selon moi, trois films-culte : "Jeanne et le Garçon Formidable" de Ducastel & Martineau en 1998, "Itinéraires" de Christophe Otzenberger en 2006, "Capitaine Achab" de Philippe Ramos en 2008. Découvert par Jean-Luc Godard, comédien fétiche de Duscatel & Martineau, de René Féret et de Jacques Fansten, il a joué pour Philippe Garrel, Jacques Doillon, Jacques Rivette, Laétitia Masson, Michel Deville, Peter Greenaway, Christophe Ruggia, Yolande Moreau, Dominik Moll, Denis Dercourt, Emmanuel Bourdieu... C'est un des plus grands comédiens français. Et ici, une fois encore, il est confondant. Impossible de rester insensible à cette scène de très haut vol.

Reda KatebEnfin, pour incarner Vincent Maillard, Frédéric Videau a choisi Reda Kateb. Découvert pour son interprétation de Aziz dans la série "Engrenages", sa révélation sur grand écran date de 2002, dans le brillant "Qu'un seul tienne, et les autres suivront" de Léa Fehner en 2009, et depuis, je l'ai revu dans "Un prophète" de Jacques Audiard en 2009, dans "Pieds nus sur les limaces" de Fabienne Berthaud en 2010. Il me tarde de le retrouver dans "Montana" de Stephan Streker, et dans "Les Adorés" de Hélène Fillières. Dans "A moi seule", son charisme animal confère à son rôle de geôlier ambigu un incroyable magnétisme. Reda Kateb est indiscutablement un acteur à suivre de près, très loin des archétypes qui surpeuplent les films fait pour les dimanches-soirs de TF1 et les plateaux télévisuels de talk-show promotionnels, cirant toujours les pompes des "comédies à voir en famille".

Grégory Gadebois (Frank, le collègue de Vincent), toujours impeccable, et Marie Payen (Juliette), complètent la distribution.

Le film est aussi un brûlot contre la famille : le tragique réside davantage dans les retrouvailles de Gaëlle avec sa mère, puis avec son père, que dans son affrontement, durant toute sa captivité, avec son ravisseur. Il y a là un trouble dérangeant - là encore peut-être choquant pour certains - à ce film qui n'en manque pas. Un tel brûlot, si bien troussé, ne pouvait pas me déplaire.

Ajoutons la musique lyrique de Florent Merchet, qui elle aussi, ajoute du trouble aux troubles.

L'absence de tout manichéisme, le scénario parfaitement ciselé, la mise en scène presque clinique, l'interprétation irréprochable de Reda Kateb a valu au film de concourir dans les sections les plus prestigieuses de la Berlinale : Ours d'Or, Ours d'Argent, Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur, Grand Prix du Jury, Mention Spéciale du Jury... On ne peut que regretter qu'il en soit reparti les mains vides, et on ne peut pas compter sur les César de l'auréoler comme il le mériterait.

A voir absolument. Si l'on aime être dérangé, si l'on aime être saisi par le trouble.

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