Arrête où je continue

La lente dégradation de notre amour...

Pomme (Emmanuelle Devos) et Pierre (Mathieu Amlaric) sont ensemble depuis longtemps. Il sont seuls depuis que Romain (Nelson Delapalme), le fils de Pomme, vit dans un studio avec sa petite amie Simone (Julia Roy).
Ils sont pris dans cette espèce de combine qu’est devenu leur couple, ce discret désastre, pris dans ce numéro qui se joue presque malgré eux.
 
"Arrête ou je continue" l’un comme l’autre pourrait le dire.

Pomme dispose de beaucoup de temps pour cogiter sur l'état de son couple depuis qu'elle est en arrêt maladie suite à un accident, arrêt qu'elle ne veut pas écourter malgré l'insistance de son patron, Marouani (Laurent Poitrenaux), et les difficultés de son entreprise qui risque la fermeture.

Ils ont l’habitude de faire du sport ensemble avec leur coach John (David Walker), et de longues randonnées en forêt. Au cours de l’une d’elle, Pomme refuse de rentrer. Non. Juste non. Qu’il lui file le kway, qu’il lui file le pull, qu’il lui file le sac, elle reste… 

Elle disparaît dans les taillis. Sans fracas, injoignable sur son portable… Elle prend de décider si oui ou non son couple doit perdurer.

Nous devons à Sophie Fillières quatre longs-métrages de fiction, "Grande petite" (1994), "Aïe" (2000), "Gentille" (2005), et "Un chat un chat" (2009), mais elle est surtout connue pour avoir écrits de très bon scénarios pour d'autres réalisateurs, et non des moindres : Xavier Beauvois, Benoît Jacquot, Noémie Lvovsky, les Frères Larrieu, Jean-Marc Moutout...

Emmanuelle Devos est une actrice qui connaît très bien le travail de Sophie Fillières, puisqu'elle figure aux génériquex de "Aïe" et de "Gentille". La réalisatrice salue toujours les qualités de l'actrice : "Elle a quelque chose d’éminemment vivant, une solidité qu’elle tient de la force de son jeu, elle se love dans les personnages, ne les débordant jamais malgré sa forte personnalité". Dans les précédents longs-métrages de la réalisatrice, Emmanuelle Devos incarnait une mère, une amante, ou les deux. Mais c'est la première fois qu'elle sera à la fois femme, épouse et mère.

C'est la sixième fois qu'Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric incarnent un couple à l'écran : "Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle)" (1996), "Rois & Reine" (2004), La Moustache" (2005), "Les Herbes Folles" (2008)n "Un conte de Noël" (2008), et "Bancs Publics (Versailles rive droite)" (2009). La complicité des deux comédiens est d'évidence un des grands atouts du film, parce qu'au-delà des dialogues, ils parviennent à incarner ce couple avec des regards, des sourires, des soupirs...

L'action se passe à Lyon ainsi que dans la région Rhône-Alpes (le film étant d'ailleurs coproduit par Rhône-Alpes Cinéma). Le choix de cette ville n'est pas le fait du hasard, puisque l'architecture de la ville décrit aussi l'errement des pensées de Pomme. "Le côté labyrinthe de Lyon correspond bien à l'histoire, les escaliers, les traboules, les choses cachées, les chemins qu'on prend, ça marche bien avec l'histoire", explique Emmanuelle Devos.

La réalisatrice accorde une très grande importance à la forêt dans son film, jusqu'à en devenir bien davantage qu'un décor, presque un personnage qui serait la confidente à laquelle Pomme livre ses pensées. C'est d'autant bien fait que la musique est comme la voix de cette forêt. C'est le chanteur Christophe, alias Daniel Bevilacqua, qui a composé la musique originale de "Arrête ou je continue".

La force du film tient au fait que la réalisatrice ne s'en tient pas à un scénario strictement en adéquation avec son propos, un couple qui se délite, en y introduisant du comique de situation, le plaisir du gag, le sens du burlesque (montée dans un autobus, champagne manquant, pique-nique au tarama ,  imposture intrusive dans un séminaire musical...) qui viennent ajouter à la subtilité des dialogues, un soupçon de pitrerie opportun. Quand les extrêmes se touchent, la cinéaste conjugue finesse et bouffonnerie dans une fable de couple truculente et astucieusement ludique.

En somme, entre Pierre et Pomme, ça va si mal que souvent il leur arrive de rire quand tout les porte à pleurer. Tout, c'est-à-dire essentiellement la lassitude qu'ils éprouvent l'un de l'autre, dont Sophie Fillières fait son miel, au gré de dialogues souvent brillants, servis avec éclat par Mathieu Amalric et Emmanuelle Devos, tous deux plus que parfaits. Ce rire étrange qui survient parfois lors d'un enterrement.

Entre les mains de la cinéaste, les corps et âmes d’Emmanuelle Devos et Mathieu Amalric deviennent des instruments de musique d’une minutie fascinante. Jusque dans les couacs du couple qu’ils incarnent, leur duo d’acteurs si justement complices et désunis, produit une harmonie supérieure dont on ne voit pas d’exemple récent. Un véritable match de ping-pong verbal où, sous la facétie habituelle de Sophie Fillières, pointe une aigreur nouvelle et une audace bienvenue. La réalisatrice signe un petit précis sur la fin de l’amour.

Hilarant et secrètement tragique.