La Dame de Trèfle

Les enfants terribles.

Aurélien et Argine n'ont jamais réussi à se quitter. Frère et soeur, ils vivent ensemble depuis toujours. Aurélien arrondit secrètement leurs fins de mois en fourguant du métal volé. Argine n'y voit que du feu. Une nuit, survient Simon, complice d'Aurélien. Traqué par la police, il réclame de l'argent et se révèle vite menaçant. Pour Aurélien c'est l'engrenage. Ou la rencontre avec sa propre violence.

Jérôme Bonnell est un réalisateur (né en 1977), formé à l'Université Paris 8/Saint-Denis, dont voici le 4ème long métrage, après 'Le chignon d'Olga" en 2002, "Les yeux clairs" en 2005, "J'attends quelqu'un" en 2007.

Ici, il avance au plus près de ses personnages, les scrutants, les fouillants psychologiquement, pour les regarder avancer dans ce polar et ce drame familial, dont l"ambiance est toute en tension.

Cette avancée dans le trouble, le sordide, la noirceur, sans pour autant se départir d'un certain réalisme, est envoûtante, cruelle et captivante. Sans cesse, on reste tendu, le souffle presque coupé, devant ce bijou de sensibilité entre un frère et une soeur dont les rapports sont fusionnels et les enchaînent.

Le seconds rôles sont très justes, parfaitement distribués : Jean-Pierre Darroussin, Marc Barbé, Nathalie Boutefeu, Marc Citti se sortent haut la main d'une interprétation difficile de personnages presque impressionnistes.

Pour incarner ce duo fusionnel, Jérôme Bonnell a complètement réussi son choix, avec Florence Loiret-Caille et Malik Zidi. Ce sont deux jeunes acteurs armés de filmographies impressionnantes, bien que plutôt discrètes, et surtout exigeantes.

Florence Loiret-Caille a déjà travaillé avec Jérôme Bonnell, mais aussi avec Michael Haneke à deux reprise, Claire Denis, Aurélia Georges, Xavier Giannoli... J'avais particulièrement aimé "L'ennemi naturel" de Pierre-Erwan Guillaume et "Au voleur" de Sarah Leonor avec Guillaume Depardieu. Je ne peux que lui souhaiter un rôle à sa mesure, qui lui offrirait davantage de visibilité. Nombreux sont les réalisateurs qui devraient penser à elle !

Malik Zidi, lui, ne cesse presque pas de tourner depuis plus de 10 ans, construisant une carrière déjà impressionnante, avec son air irlandais aux origines alégro-bretonnes. Je citerai plus volontiers, parmi d'autres : "Les corps ouverts" de Sébastien Lifshit en 1997 ; "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes" de François Ozon en 2000 ; "Les Temps qui changent" d'André Téchiné en 2004 ; "Les amitiés maléfiques" d'Emmanuelle Bourdieu en 2006. Il n'hésita pas non plus à s'investir pour la télévision, toujours sur le service public : "Les rois maudits", "Les camarades", et très récemment "Douce France". C'est un acteur que j'apprécie, qui sait incarner la colère retenue et entretenir un certain mystère, non feint. Et de plus, j'ai les mêmes affinités politiques.

De mon point de vue, "La Dame de Trèfle" est un très bon film, proposant une tension psychologique rare et forte, captivante. C'est une des très bonnes surprises de ce début d'année. Et j'aime cette fin, cette nécessité du drame pour enfin quitter une enfance à deux, et pour entrer dans une vie d'adultes qui offrira des chemins plus ouverts que la claustration.