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3 juin 2013

De l'immatérialité.

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Immatériel, vous avez dit immatériel ?

L'immatérialité, selon le dictionnaire, c'est la qualité, l'état de ce qui est immatériel, sans matière, spirituel. Les synonymes sont nombreux : incorporalité, incorporéité, irréalité, désincarnation, spiritualité.

Et aujourd'hui, de plus en plus de "choses" sont immatérielles, en France la gastronomie, en Turquie la lutte du Kirkpinar (voir photo), etc... puisqu'elles sont inscrites au patrimoine immatériel de l'humanité selon l'UNESCO.

L'internet - que l'on nomme aussi toile - semble favoriser l'immatérialité de bien des "choses" : l'information puisqu'il y a de moins en moins de journaux et de plus en plus, en lieu et place, de rumeurs et de buzz ; la musique puisqu'il y a de moins en moins de disques mais de plus en plus de téléchargement de "fichiers" ; le cinéma puisqu'il y a de moins en moins de DVD, la littérature puisqu'il y a de moins en moins de livres ; etc...

Au départ, d'aucuns ont pensé - ou voulu faire croire ? - que cette immatérialité de tout était une bonne chose puisqu'elle permettait la "démocratisation" de l'information, de la musique, du cinéma, de la littérature, etc... Pourtant, alors que ce qui était "matériel" pouvait appartenir à un grand nombre, ce qui est désormais "immatériel", c'est à dire des milliards de fichiers, n'appartient qu'à un petit nombre. Du "tous" propriétaires, on glisse vers le "quelques" propriétaires. La propriété étant en soit démocratiquement contestable, la propriété de quelques-uns disposant de tout, pouvant censurer, tronquer et truquer, l'est encore davantage.

Il y aurait donc bien, intrinsèquement, viscéralement, inscrite dans dans les gênes de l'immatérialité, une forme de totalitarisme, voire le totalitarisme, sans qu'il soit utile d'user de précautions de langages. Au prétexte du partage et de la démocratisation nous prépare-t-on un totalitarisme plus dramatique encore que ceux que nous avons précédemment connu ?

Quand je lis les synonymes que proposent les dictionnaires, c'est la "spiritualité" qui m'interpelle le plus. Elle ne peut m'évoquer en premier que les religions et les églises (églises, au sens de lieux de propagation des religions), instruments d'aliénation des masses s'il en fut. La boucle serait donc bouclée, et le web serait la nouvelle église globale distillant sa religion globale.

Les nouveaux incroyants seraient donc, comme hier ceux qui ont refusé le credo de la spiritualité absolue, ceux qui refusent aujourd'hui l'immatérialité absolue. Télécharger, regarder en streaming, s'attarder davantage aux rumeurs qu'aux informations, se pâmer devant les réactions aux idées plutôt que de fouiller, pour les comprendre, ces idées, etc... La servitude volontaire universelle ?

Le consumérisme effréné aura été une aliénation, qui aura très largement préparé les gens à ingurgiter en masse des immatérialités, aliénation contre laquelle on ne pourrait lutter qu'avec une consommation raisonnée ?

Ce qu'il en est des "choses" - et l'Art a bel et bien été chosifié - en sera-t-il aussi des hommes, de ses sentiments, de ses rêves, de ses pensées ? L'amour et l'amitié ont déjà leur part respective d'actuelle "immatérialité" via Meetic ou AttractiveWorld, via FaceBook ou LinkedIn. La "petite" politique ne peut se prévaloir d'un meilleur statut.

On le voit aussi régulièrement devant le succès des musées et des grandes expositions. Pas question de dresser un portrait trop sombre des possibles conséquences de l'immatérialité absolue puisqu'il semble qu'il y ait aussi des lueurs d'espoir. On l'a vu au Festival de Cannes où les films les plus charnels ont retenu toute l'attention, telles les oeuvres de Nicolas Winding Refn, Alain Guiraudie, François Ozon, Hirokazu Koreeda, Abdelatif Kechiche, Asghar Farhadi, JIA Zhangke, Yann Gonzalez parmi d'autres. La violence, le sexe charnel, les preuves d'amour, les larmes... "Pusher", Valhalla Rising', "Tropical Malady" et "Oncle Boonmee" sont décidément des chefs d'oeuvre à plus d'un titre.

On l'a vu et on continue de le voir dans certains mouvements populaires à but politique (sur des bases sociales et sociétales), hier en Iran, en Tunisie, en Libye, en Égypte... aujourd'hui en Turquie, où les rassemblements, les manifestations, et l'expression d'une fraternité engagée nouvelle n'ont rien d'immatériel. Il s'agit bien d'un partage de pensées, d'idées, de choix politiques qui se fait charnellement.

On me dira que tout ce que je cite n'est que l'arbre qui cache la forêt. Quelques rebelles au milieu de centaines de millions d'aliénés par la religion de l'immatérialité. Je pense au contraire qu'il s'agit de l'arbre qui a poussé à la marge de la forêt, fruit d'une graine indisciplinée et d'un vent bienveillant, afin que demeure l'excentricité. Et on ne saurait réfuter la nécessité et le pouvoir de la marginalité; La revendication de la "matérialité" raisonnée, c'est la revendication de toute sa part au charnel, c'est la revendication de notre humanité, d'où coule toujours notre humanisme.

L'immatérialité absolue, au fond, c'est l'organisation de la propriété illusoire pour tous. Et définitivement non, la gastronomie française et les lutteurs de Kirkpinar n'ont strictement rien d'immatériel.

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