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19 août 2013

Les Apaches

Les Apaches

Alors que les vacanciers venus de métropole s'amusent, cinq jeunes corses sont en proie à une extrême violence... 

Pendant que des milliers de touristes envahissent les plages, les campings et les clubs, cinq adolescents de Porto-Vecchio, quatre garçons (François-Jo, Aziz, Hamza et Jo) et une fille (Maryne) traînent leur ennui et leur désarroi. Un soir, Aziz conduit les quatre autres dans une luxueuse villa inoccupée dans laquelle il aide son père à faire l’entretien, en attendant l’arrivée en vacances des propriétaires métropolitains... 

La bande y passe clandestinement la nuit. Avant de partir, ils volent quelques objets sans valeur et deux fusils de collection. Quand Pascale (Andréa Brusque), la propriétaire de la maison débarque de Paris, elle se plaint du cambriolage à un petit caïd local de sa connaissance, plutôt que les policiers ou les gendarmes…

Si Thierry de Peretti a choisi d’appeler son premier film « Les Apaches », c’est d’une part parce que cela fait immédiatement référence à la notion de territoire, « on pense forcément aux westerns », et d’autre part « ça fait référence à la façon dont le préfet de police appelait autrefois les jeunes hors-la-loi de Paris à Belleville, les mauvais garçons ». 

Les Apaches - garçons

« Les Apaches » est le premier long métrage de Thierry de Peretti. Il a cependant déjà réalisé un moyen-métrage en 2009, « Sleepwalkers », et s’est illustré comme metteur en scène de théâtre avec la pièce de Bernard-Marie Koltès, "Le Retour au désert" pour laquelle il a reçu plusieurs prix. Il ne débute pas non plus au cinéma puisqu’il a notamment joué dans « Ceux qui m’aiment prendront le train » de Patrice Chéreau en 1998, dans « Les Enfants du Siècle «  de Diane Kuris en 1999, dans  « De la Guerre » de Bertrand Bonello en 2007. Notons qu’en 2004 il a joué dans « Le silence » de Orso Miret, film également tourné en Corse, où il menaçait Mathieu Demy afin qu’il ne révèle pas le meurtre dont il a été témoin. 

Pour écrire le scénario du film, Thierry de Peretti et Benjamin Laroche se sont inspirés d’un fait divers sanglant qui a défrayé la chronique en Corse. Après avoir volé des fusils dans une maison de Porto Vecchio, trois jeunes sans histoire en ont tué un autre et l’ont enterré dans la forêt, persuadés qu’il allait les dénoncer. Une histoire qui a permis au réalisateur de se confronter à des questions essentielles de la Corse contemporaine : celle du rapport à la violence, de la question du meurtre. Et par extension celle de la notion de territoire, celle de l’héritage. De quoi hérite-t-on quand on naît dans tel ou tel endroit, avec telle ou telle histoire ?" 

Si le réalisateur a décidé de réaliser son premier long-métrage en Corse (principalement dans la région de Porto Vecchio), c’est avant tout parce qu’il y a grandi et donc connaît très bien l’île. Mais c’est également parce que peu de films montrent la Corse d’aujourd’hui. Selon lui, elle apparaît le plus souvent au cinéma comme un repère d’assassins ou comme une magnifique carte postale. Le cinéaste a voulu au contraire "saisir la réalité de la Corse". Et comme le font les plus grands réalisateurs filmant un homme, il filme ici la Corde « de dos », c’est à dire comme on ne la regarde jamais, ou comme on refuse de la regarder. Il faut souligner ici l’excellent travail de la directrice de la photographie Hélène Louvart (qui a travaillé pour Wim Wenders, Agnès Varda, Christophe Honoré, Jacques Doillon, Nicolas Klotz, Nadir Moknèche, Christain Voncent, Sandrine Veysset, Dominique Cabrera, Marc Recha…), aussi à l’aise devant les beaux paysages que dans la banlieue de Porte Vecchio. Et c’est son travail qui fait que la Corse est un des personnages principaux du film.

Les Apaches - casting

Thierry de Peretti a commencé à recruter ses comédiens avant même d'avoir fini d'écrire son scénario. Si la plupart d’entre eux ont passé un casting de façon habituelle, Joseph Ebrarb qui tient le rôle de Jo a été repéré un soir dans la rue à Porto Vecchio et comme presque tous les acteurs du film, il n'avait jamais joué au cinéma ni au théâtre. Le réalisateur, qui a essentiellement rencontré des jeunes connaissant déjà le fait divers, a eu rapidement une idée de ce qu'il recherchait : "Il n’était pas question de rejouer ou de reconstituer quoi que ce soit de toute façon, mais de tenter d’ajuster ensemble par le travail notre conscience de ce qui s’était joué, au sens le plus large et spirituel du terme presque. Le plus important, c’était de trouver des acteurs capables de cette conscience, de cette gravité-là, et aussi d’incarner avec le plus de liberté possible." 

Je dois ici prendre le soin de citer tous ces jeunes acteurs qui font un travail remarquable : François-Joseph Culioli (François-Jo, qui est en quelque sorte le meneur) ; Aziz El Haddachi (Aziz, celui qui sera finalement exécuté par Jo), Hamza Meziani (Hamza, le plus colérique, celui qui tuera), Joseph Ebrarb (Jo, le bon copain, celui qui comprend très vite le drape qui se noue) et Maryne Cayon (Maryne, la petite copine de François-Jo, plus en retrait).

Les Apaches - Hamza

Il a voulu filmer la scène du meurtre, aussi choquante soit-elle, afin d’illustrer la violence de ce fait divers mais également celle de l’île dans laquelle il a vécu : "Tous les gens de mon âge qui ont grandi en Corse ont assisté à un nombre extrême d’actes violents de cette nature, ils la comprennent de façon intime. On a souvent, entre amis venant du même endroit, cette discussion macabre et un peu désespérante sur le nombre d’exécutions, de cadavres qu’on a pu voir depuis l’enfance, de gens qu’on a connus qui se sont fait tuer…". Le hasard a voulu que Aziz El Haddachi, qui joue le jeune qui va se faire tuer, vit précisément dans le quartier dans lequel vivait la victime du meurtre. Le tournage a eu lieu dans les véritables lieux des évènements, d’abord pour plus de réalisme, mais également car en réalisant un tel film, le réalisateur s’est senti comme investi d’un « devoir de mémoire ». 

Les Apaches - Aziz et Hamza

Même si ce n’est pas le sujet principal du film, l’évocation des problèmes rencontrés par la communauté marocaine en Corse est très présente, et très politique aussi. Deux des jeunes impliqués dans le meurtre en sont issus. La question de l’immigration touche le réalisateur : "La communauté marocaine est une de celles qui a le plus souffert en Corse, tant en raison des conditions de travail que les hommes trouvaient en débarquant sur l’île de la fin des années 1960 au milieu des années 1970, que par le sentiment de rejet dont elle a fait l’objet. Mais les Marocains ont contribué à construire la Corse telle qu’elle est aujourd’hui. Ils appartiennent légitimement à cette île et cette île leur appartient. Comme à tous ceux qui y vivent et y travaillent. Sa jeunesse est pour moi certainement un espoir." Et la sène où les jeunes Corses traversent en voiture, le soir Porto-Vecchio "endiablée" par les touristes, comme la scène de fin où François-Jo retourne à la maison où tout à commencé (car il voudrait y rapporter les fusils de collection dérobés), et observe les jeunes métropolitains faire la fête autour de la piscine, en le regardant avec un insoutenable mépris, sont très significatives de la thématique de "l'invasion", de la perte de territoire.

Les Apaches - Maryne et François-Jo

« Les Apaches » n’est pas seulement un drame social qui puise sa substantifique moelle dans le racisme toujours à fleur de peau en Corse et une vue en coupe l’île, c’est aussi un beau et tranchant teen-movie, analysant très bien les affres de l’adolescence et d’une jeunesse confrontée à la violence, porté par des acteurs débutants mais tous remarquables. Par ailleurs, le film ne manque pas de style dans sa mise en scène, avec une remarquable scène d’ « exécution », et une exceptionnelle inventivité nocturne. Impossible, dans la façon de filmer ces jeunes hommes, de ne pas penser à Larry Clark (notamment à son magnifique film "Bully" sorti en 2001 ainsi qu'à "Wassup Rockers" sorti en 2004), de ne pas penser à Gus Van Sant, de ne pas penser aux Frères Dardenne. Des "références" qui forcent le respect.

Magnétisé par d'attachants acteurs amateurs pleins de vitalité et de sensualité, au bagout musical et au physique très contemporain, ce « teen movie » corse atteint de beaux degrés d'incandescence qui brûlera quelque chose en vous..

Ce film est à la Corse ce que le cinéma des Frères Dardenne est à la Belgique, un manifeste naturaliste puissant dont on ne ressort pas indemne.

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