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16 septembre 2013

Rock The Casbah

Rock The Casbah

Après la mort du patriarche...

C’est l’été à Tanger, au Maroc. Une famille se réunit sur trois jours dans la maison familiale suite au décès du père, Moulay Hassan (Omar Sharif, parfait en patriarche qui regarde avec amusement sa famille lui survivre), homme très reconnu à Tanger, appartenant à la grande bourgeoisie, pour se remémorer les souvenirs et partager sa perte, comme le veut la tradition musulmane.

Il faut quitter les plages, les maillots de bain pour se vêtir de djellabas, réunir tout le monde et donner à la maison des allures d’enterrement. L’agitation est à son comble d’autant plus que cet homme n’a laissé derrière lui que des femmes. Tout va basculer avec l’arrivée de Sofia (Morjana Alaoui), la dernière des filles, celle qui a fait sa vie ailleurs. Actrice n’interprétant que des rôles de terroristes dans des séries américaines, elle arrive de New York avec son fils, après plusieurs années d’absence.

Son retour va être le moyen de régler ses comptes avec ses sœurs et bouleverser l’ordre établi depuis toujours par ce patriarche. Entre rire et larmes, une hystérie collective va mener chacune de ces femmes à se révéler à elle-même...

Assia Bentria et Lubna Azabal

Sous le regard facétieux de la grand-mère Lalla Zaza (Assia Bentria, épatante, à gauche sur la photo, avec Lubna Azabal), ce sont la mère Aïcha (Hiam Abbas, toujours parfaite) ; ses filles Miriam un peu "pétasse" hantée par la peur de vieillir qui vient de se faire refaire les seins (Nadine Labaki) sous le regard circonspect de son époux Youssef (Lyes Salem, qui joue particulièrement bien la fadeur de son personnage) ; Kenza (Lubna Azabal dans un contre-emploi réussi), très pratiquante, rigide professeur un peu flétrie par sa morne existence ; son beau-frère qui espère rafler l'héritage puisqu'il est le seul homme de la famille ; sa bonne Yacrout (Raouia, bouleversante) qui fut la maîtresse du défunt et qui lui a donné un fils, Zakaria (Adel Bencherif, superbe !) ; chacun devant cette mort pensant aussi à Leïla, le fille tant aimée qui se suicida il y a quelques années pour des raisons jamais clairement dites... chacun devant faire face à des non-dits qu'on appelle communément "secrets de famille".

En 2006, j'ai vu le précent film de Laïla Marrakchi, "MaRock", sur la jeunesse dorée de Casablanca, que j'avais trouvé réussi et intéressant, parce qu'il décrivait un Maroc peu connu, loin des clichés habituels, osant sauter quelques barrières, notamment celle de la bienséance et de la pudibonderie. C'est donc avec un a priori plutôt favorable que je suis allé voir "Rock The Casbah", en dépit d'un sujet usé jusqu'à la corde, notamment en France.

Après "MaRock" donc, qui pointait aussi du doigt un conflit générationnel très marqué, la réalisatrice dénonce ici la condition des femmes arabes et "leurs tiraillements entre tradition et modernité". La mort du père de famille autour de laquelle les gens se rassemblent n’est pas anodine, comme le souligne la cinéaste, puisque "ce décès symbolise la fin d’une époque."

Le film devait originellement se tourner initialement à Casablanca, mais c’est à Tanger que le tournage s'est déroulé pour des raisons techniques. Au final, ce choix appuie le message de liberté que le film cherche à véhiculer, comme le précise l’actrice Lubna Azabal : "Le Tanger de la Belle Époque, cette mémoire d’un Maghreb insouciant, pas encore claustrophobe, quand Paul Bowles et les Rolling Stones y avaient posé leurs valises et que les femmes se promenaient en mini-jupes et fumaient dans la rue. On oublie trop souvent que cette période a existé." Je dois dire que les aléas techniques, les quelques escapades du film dans Tanger m'ayant particulièrement réjoui.

Le tournage n’a duré "que" 33 jours, mais la précision et la volonté de la réalisatrice ont permis de passer outre cette contrainte : "Je voulais revenir à ce cinéma qui m’avait fait rêver, jeune, quand il était possible de prendre le temps de faire de beaux plans, de proposer de longs plans séquences, de raconter une histoire, d’observer les personnages."

La mère et ses trois filles

Les quatre personnages féminins du film constituent une référence au titre "Four Women" de Nina Simone dans laquelle la chanteuse présente quatre femmes aux caractères différents. Sarah, qui souffre et prend sur elle-même, Saffronia, coincée entre deux mondes mais qui l’accepte, Sweet thing, qui mise tout sur son physique, et enfin Peaches, amère, qui se bat. C’est d’ailleurs la chanson "Wild is the Wind" de Nina Simone qui devait à l'origine servir pour la scène d’introduction du film, avant que ROB ne compose la BO.

À propos de la musique du film, il convient de souligner deux scènes particulièrement réussie : l'escapade de Sofia et Zakaria dans Tanger, qui vont deans un cabaret où la chanteuse, après des chansons traditionnelles, entame un "Comme d'habitude" en arabe particulièrement réussi ; la scène qui précède l'enterrement, où les lentes mélopées arabes toutes de chagrin sont peu à peu effacées par une magnifique chanson de Antony Hogarty (Antony & The Johnsons) dont je ne vais pas encore une fois souligner ici l'immence talent.

Abel Bencherif

 

Alors que les femmes, et une certaine forme de féminisme, sont incontestablement les héroïnes du film, je voudrais souligner la présence d'un Omar Sharif qu'on est ravi de revoir dans ce rôle si facétieux, et celle du jeune comédien français Adel Bencherif sur lequel on peut placer quelques espoirs. Je l'ai vu dans "Adalucia" de Alain Gomis en 2007 que j'avais trouvé excellent, avec un Samir Guesmi au sommet de son art, dans "Un Prophète" de Jacques Audiard en 2009, dans "Des hommes et des dieux" de Xavier Beauvois en 2010, et très récemment dans "Les Petits Princes" de Vianney Lebasque. Je ne serais pas surpris qu'il puisse construire une carrière intéressante, dans la lignée d'un Sami Bouajila. Dans son rôle de Zakaria, rôle difficile puisqu'il est le fils caché du patriarche avec la bonne, il confirme une belle présence physique, un jeu tout en fougue et en retrait, tout en rancoeurs enfouies.

 

Azabal, Alaoui, Labaki

Ce charmant film au féminin suit les arabesques d’un scénario particulièrement bien écrit. Les actrices, toutes excellentes, dansent ce "Rock the Casbah" sur les notes humoristiques et tragiques des règlements de compte familiaux. Dans un Tanger magnifié, les funérailles d'un self-made-man qui a imposé trop longtemps le silence des femmes chez lui, femmes qui vont enfin prendre la parole.

La phototographie, les cadrages, les décors, les costumes, les objets du quotidiens, les plats, tout cela constitue un très bel hommage à Tanger et à une sorte de paradis passé. Après "MaRock", Laïla Marrakchi signe une allègre et salutaire comédie sur son pays d’origine.

N'attribuez pas au film plus de prétention qu'il n'en a et savourez-le comme on déguste la délicieuse cuisine du Maroc, ici préparée par l'impeccable Raouia, belle et émouvante actrice, dont le personnage rend à lui seul un bel hommage au Jean Renoir de "La Ronde".

 

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