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27 octobre 2013

Les héros sont morts ce soir

Nos héros sont morts ce soir

Tomber les masques ?

En France, à Paris, au début des années 1960. Simon (Jean-Pierre Martins), catcheur, porte le masque blanc, sur le ring il est « Le Spectre ». Il propose à son ami Victor (Denis Ménochet), de retour de la guerre d'Algérie, d’être son adversaire au masque noir : « L'Équarrisseur de Belleville ». Il le présente alors à Ferdinand (excellent Philippe Nahon) qui entraîne les catcheurs et organise des combats, voués à enrichir le mystérieux et troublant Tom (Yann Collette, impeccable)  toujours précédé de son homme de main, "Le Finlandais" (Ferdinand Pascal Demolon, parfaitement immonde).

Mais pour Victor, encore fragile, le rôle du méchant toujours haï et hué paraît bientôt trop lourd à porter : pour une fois dans sa vie, il aimerait être dans la peau de celui qu'on applaudit. Simon suggère alors à son ami d'échanger les masques.

Mais on ne trompe pas ce milieu là impunément…

Pas facile, cette semaine, de trouver parmi les sorties en salle, un autre film que "Gravity" susceptible d'éveiller l'intérêt. Incontestablement, le premier long métrage de David Perrault y parvient haut la main.

C'est un film d’époque sans reconstitution ostentatoire, qui cherche sa vérité dans un équilibre constant entre réalisme et onirismePour construire son film, David Perrault est parti d’une problématique : "Dans un monde où l’image de soi devient plus importante que soi, est-il nécessaire d’avancer masqué pour survivre ?" Sujet passionnant.

Nos héros sont morts ce soir - bis

La transposition du film dans les années 1960 paraissait comme une évidence pour le réalisateur. Il apprécie notamment la société de cette époque capable d’accepter des spectacles aussi naïfs – les gentils catcheurs contre les méchants – que des choses plus modernes : "La France d’après-guerre laisse place à une France plus pop. Cette dualité s’incarne parfaitement dans les deux personnages féminins (incarné par Constance Dollé et Alice Barnole). C’est aussi une période charnière entre le "cinéma de papa" et la Nouvelle Vague. Mais je fais comme si cette "guerre" entre ces deux cinémas n’avait jamais eu lieu. Je voulais prendre le réalisme fantastique, la Nouvelle Vague ou même les films noirs de série B américaine et faire ma propre histoire parallèle du cinéma."

C’est une photo qui est à l’origine de "Nos héros sont morts ce soir". Elle représentait un homme masqué, un verre de vin rouge à la main accoudé à un bar de bistrot pendant les années 1960. Pour le metteur en scène, cette photo a fait office de déclic : "Après quelques recherches, je me suis rendu compte qu’il s’agissait là de l’Ange Blanc, catcheur extrêmement populaire à l’époque. Je découvrais alors tout un univers avec ses héros, ses méchants. Tous ces catcheurs ont été oubliés depuis. Et c’est là quelque chose qui me fascine : les mondes qui s’effacent, disparaissent et n’existent plus. Les années 60 et le catch me permettaient aussi de rêver autour de certains motifs qui m’obsèdent comme la frontière entre la vie et le spectacle, les masques, les troubles de l’identité... le tout porté par une forme de mythologie française."

Ce titre mélancolique, "Nos héros sont morts ce soir", est inspiré par l’un des films favoris de David Perrault, "Nous avons gagné ce soir" de Robert Wise : "Un des meilleurs films de la RKO, d’ailleurs. Ce titre sonne effectivement comme un adieu, comme dans cette scène où la statue de James Cagney se met à fondre. Mais pour autant, la fin du film est suffisamment flamboyante pour qu’on dépasse la nostalgie." Cette référence à James Cagney a été très incitative pour moi, puisque je considère qu'il est L'acteur par excellence, au même titre que Lilian Gish est L'actrice. Et je regrette que ses 50 ans de carrière et ses plus de 70 films soient à ce point méconnus. À la fin du film, lorsque la statue de cire le représentant fond, j'ai eu le coeur serré.

Un des "personnages" principaux du film est incontestablement la musique. Pour éviter le pastiche ou le côté "vieux Paris pittoresque de l'époque", le réalisateur a dirigé avec beaucoup d'attention et de précision Julien Gester et Olivier Gonord à la bande-originale pour qu'ils insufflent un vent nouveau à cette œuvre transposée dans les années 1960 : "La musique de Julien et Olivier mélange des sons qui se rapprochent de la voix humaine et d’autres plus électroniques. Elle ajoute à la dimension onirique du film. Elle accompagne les décrochages stylistiques dont est ponctué le récit : scènes de rêve, ralentis... Je voulais justement qu’elle sonne comme dans une église, qu’elle apporte une dimension quasi-mystique à l’ensemble. Sons électroniques, musique religieuse, toujours l’idée de faire le grand écart entre tradition et modernité." Cette musique presque envoûtante, jointe au superbe noir et blanc du directeur de la photographie Christophe Duchange, avec aussi l'utilisation très réussie du ralenti, produisent, quand il le faut, une atmosphère onirique que j'ai rarement vue aussi réussie au cinéma.

Jean-Pierre Martins - Héros

"Masque blanc" et masque noir" de catch, dans des affrontements "spectaculaires" et donc pré-écrits et très scénarisés, métaphores du bon et du méchant, il fallait de bons acteurs, plutôt physiques, pour les incarner. Ce sont donc Denis Ménochet et Jean-Pierre Martins que David Perrault, deux "baraqués" à choisis. C'est la troisième fois qu'ils se retrouvent ensemble à l'écran, après le navet exécrable "La Môme" d'Olivier Dahan en 2007 et le très bon "Pieds nus sur les limaces" - que je recommande - de Fabienne Berthaud en 2009. Si Jean-Pierre Martins, plus avantagé physiquement, propose un jeu assez semblable à celui d'un Lino Ventura, dans la plus pure tradition d'un cinéma français, Olivier Ménochet, propose, lui, un jeu beaucoup plus complexe, qui ancre le film, même s'il est transposé dans les années 1960, beaucoup plus novateur.

Denis Ménochet - Héros

Voilà déjà plus de 10 ans que Denis Ménochet nous est de plus en plus familier. Après de nombreux petits rôles, "Deux jours à tuer" de Jean Becker (2008) ; "Les Oubliés" de Mélanie Laurent (2010) ; "Le Skylab" de Julie Delpy (2011) ; et les récents "Le Temps de l'aventure" de Jérôme Bonnell et "Grand Central" de Rebecca Zlotowski (2013) l'auront je pense inscrit durablement dans le paysage cinématographique français. Il a par ailleurs obtenu des rôles aux USA, d'abord dans "Inglorious Basterds" de Quentin Tarentino puis dans "Robin des Bois" de Ridley Scott. Qu'il ait eu la chance de jouer aux côté d'Olivier Gourmet dans "Grand Central" me laisse supposer que c'est dans cette veine d'acteurs qu'il entend s'inscrire. Et son rôle dans "Nos héros sont morts ce soir" tend à le prouver. Il a conquis une gamme de jeu qui repose autant sur la virilité que sur la fragilité, domaine où excellent les Gourmet et Recoing. On ne saurait que l'encourager dans cette voie, qui semble aussi être celle choisie par Grégory Gadebois, vu récemment dans le très beau "Mon âme par toi guérie".

Constance Dollé - Héros

Difficile, dans cet univers particulièrement viril, aux femmes d'exister. Pari tenu par Alice Barnole qui incarne Anna, la petite amie de Simon, qui à elle seule incarne la période de transition que fut l'après-guerre d'Algérie, et où la jeunesse se déploierait enfin, tenu aussi par l'excellente Constance Dollé (photo ci-contre) dans le rôle de Jeanne, l'ex de Simon, mais aussi la patronne du café où se retrouvent les catcheurs. De la même façon que Denis Ménochet, voilà plus de 10 ans qu'elle nous est une actrice de plus en plus familière, d'abord via des séries TV telles "Un Village Français" et "Les Revenants", ensuite par de bons téléfilms tels "Cet été-là", "La part des anges" et "Ma vie au grand air", enfin via le cinéma : "Mère et fille : mode d'emploi" et "Quelques mots d'amour" de Thierry Bimistin, puis "Les Témoins" d'André Téchiné (2007), "Je ne dis pas non" de Iliana Lolic (2008), "Clémentine" de Pierre Granier-Deferre et "Huit fois debout" de Yabi Molia (2009). Elle propose un jeu quelque part entre Noémie Lvovsky et Corinne Masiero, un jeu très intéressant, oscillant de la gouaille aux oeillades, à la façon de ces femmes, comme Paulette Dubost qui jouent la camériste Lisette dans "La Règle du Jeu" de Jean Renoir. Excusez du peu.

J'ai beaucoup (et plus encore) aimé ce film, et je trouve ses nominations, tant pour la Caméra d'Or à Cannes, tant à la Semaine Internationale de la Critique pour le "Grand Prix" et le "Prix Meilleure Révélation" pleinement justifiées.

David Perrault est un cinéaste naissant, plein de promesses, sur lequel je suis prêt à miser gros pour les prochaines années.

"Nos héros sont morts ce soir" est un hommage original, en très beau noir et blanc, aux polars des années 1960 et au sport roi de l’époque, le catch. A la fois ultra-référentiel et en même temps totalement original, ce premier film de David Perrault a le mérite de sortir radicalement des sentiers battus (et des poncifs !) d’un certain cinéma français. Ni passéiste ni superficielle, cette galerie de portraits gouailleurs et tragiques illustre une vision du cinéma sincère et résolument passionnée – une vision communicative. Et si les héros de ce cinéma-là sont morts bien avant ce soir, sa volonté de leur accorder une petite prolongation fantomatique est un geste de cinéma romantique, attachant et touchant.

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