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La Vie ChonChon
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19 avril 2010

Domaine

DomainePierre, un adolescent de 17 ans, passe tout son temps avec sa tante Nadia, une mathématicienne flamboyante d'une quarantaine d'années. Leur relation est amicale et ambiguë. L'anarchie qui règne dans la vie de Nadia fascine ce jeune homme au seuil de l'âge adulte. Mais Nadia est une femme blessée, dépendante de l'alcool. Petit à petit elle s'abandonne. Pierre pense pouvoir l'aider, la retenir... 

Patric Chiha n'est pas encore connu du grand public, mais ça viendra. C'est un touche-à-tout du cinéma, qui a officié comme réalisateur, scénariste, monteur, directeur de la photographie, ingénieur du son. Il nous avait proposé "Home" en 2008, et a collaboré par deux fois avec Vincent Dieutre, notamment dans "Mon voyage d'hiver", en 2003, une belle histoire de trajectoire déjà, entre un homme et son filleul.

Ici donc, l'élément capital du film est la trajectoire des deux personnages principaux, la tante et son neveu. Et nous sommes les spectateur de cette traversée en terre d'étrangeté. Le film est à la fois brutal quand il regarde froidement et dans les yeux les pas de ses protagonistes, et apaisant lorsqu'il envisage leur émancipation, et leur réconciliation avec le monde.

Les partis-pris de Patric Chiha sont très exigeants, et laisseront des spectateurs sur la route, mais nous sommes devant un réalisateur ambitieux, talentueux, singulier. Il n'est pas facile de filmer, dans une froideur qui n'est qu'apparente, l'intensité des pensées, le désespoir des existences.

Comme pour symboliser ces deux trajectoires, le réalisateur filme leurs promenades dans les parcs et les forêts. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à cette phrase que prononce Kim Novak (Madeleine) dans "Sueurs Froides" d'Alfred Hitchcock : "Il faut être seul pour aller au hasard. Dès qu'on est deux on va toujours quelque part". Car c'est ce que la tante et son neveu essaient de faire : aller au hasard.

Le film présente quelques autres singularités, outre ces promenades : parfois une rare beauté du silence, parfois des fulgurances de textes, sur les mathématiques, l'ordre, la solitude. Une scène magnifique nous est offerte : une danse collective dans une boîte de nuit, sur une musique chaloupée, enivrante, presque hypnotique.

Béatrice Dalle est impériale. Sa carrière, depuis une dizaine d'années, avec "Trouble every day" de Claire Denis en 2001 est ainsi ponctuée de rôles exigeants, qu'elle incarne avec un mystère unique. "Dix-sept fois Cécile Cassard" de Christophe Honoré en 2002 ; "Le Temps du Loup" de Michael Haneke en 2003 ; "Tête d'or" de Gilles Blanchard en 2007 (sublime) ; "New Wave" de Gaël Morel en 2008 lui auront offert des personnages à sa dimension.

On découvre le jeune Isaïe Sultan, dans un rôle plutôt casse-gueule, de jeune homme "qui marche dans les pas de sa tante" pour mieux la comprendre et l'aider, avant d'arriver au seuil d'un "domaine" qui sera le sien propre. Loin des effervescences fébriles de la jeunesse qu'on nous sert régulièrement comme un cliché toujours répété, il parvient à rester tout en retenue, jusque dans l'expression du désir qu'il éprouve pour le jeune homme qu'il croise dans l'autobus. Cela ne fait aucun doute selon moi, nous reverrons Isaïe Sultan dont le magnétisme ne peut pas échapper à d'autres réalisateurs.

On retrouve Alain Libolt qui dans un second rôle qu'il tient comme l'aurait tenu un Jacques Nolot, c'est à dire avec ambiguïté, ajoute à l'atmosphère singulière du film. Il faut dire que cet acteur moulu aux exigences de Eric Rohmer, qui a travaillé avec Jacques Rivette, Albert Dupontel, Pascal Bonitzer, Noémie Lvovsky... sait distiller le trouble.

Ce film m'a harponné et m'a tenu de bout en bout, et j'ai suivi ces deux trajectoires avec intérêt et émotion. Dans le sillage sulfureux de Nadia (Béatrice Dalle), j'ai fait comme son neveu Pierre (Isaïe Sultan), je l'ai suivie, écoutée, soutenue, délivrée. Un peu comme je peux suivre Patrick Modiano dans son romantisme sombre, empreint de périples et de mélancolie.

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