Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Vie ChonChon
La Vie ChonChon
Derniers commentaires
Archives
31 octobre 2011

Poulet aux prunes

Poulet_aux_prunesL'amour et l'Art.

Téhéran, 1958. Depuis que son violon tant aimé a été brisé, Nasser Ali Khan, un des plus célèbres musiciens de son époque, a perdu le goût de vivre. Ne trouvant aucun instrument digne de le remplacer, il décide de se mettre au lit et d'attendre la mort. En espérant qu'elle vienne, il s'enfonce dans de profondes rêveries aussi mélancoliques que joyeuse, qui, tout à la fois, le ramènent à sa jeunesse, le conduisent à parler à Azraël, l'ange de la mort, et nous révèlent l'avenir de ses enfants... Au fur et à mesure que s'assemblent les pièces de ce puzzle, apparaît le secret bouleversant de sa vie : une magnifique histoire d'amour qui a nourri son génie et sa musique...

Après leur très réussi "Persépolis" sorti en 2007, le duo Marjane Satrapi et Vincent Poitrenaud nous propose un second long métrage, plus éloigné de la BD, qui s'apparente plutôt à un "roman visuel", où leur exigence esthétique ne se dément pas.

Il s'agit d'un film enchanteur et pittoresque, une sorte de fable persane, mariant satire et mélodrame, nostalgie et dérision. C'est une histoire sur l'amour et l'art (deux moyens d'accéder à l'éternité), amère sinon sombre, qui parvient à émerveiller et amuser.

C'est visuellement très réussi, et les cadrages, les décors (le carton-pâte est assumé), les costumes sont très étudiés et très réussis, même s'il en résulte un "patchwork visuel" qui manque parfois de cohérence, et qui parfois confine au "kitsch".

Par une série de flash-back, nous revivons, par petites touches, la vie de Nasser-Ali. Il porte en soi un des thèmes chers à Marjane Satrapi : la perte des illusions. S'y greffe une histoire d'amour poignante, qui se dévoile devant nous grâce à un scénario à tiroirs plutôt bien construit.

Incontestablement la distribution du film et l'interprétation des acteurs en sont un des intérêts majeurs.

Mathieu Amalric est parfait en Nasser-Ali décidant qu'il est arrivé au terme de son existence et qui décide de se laisser mourir, rêvant toujours de son amour passé et de son art. Il a toute la dimension poétique qui convient au rôle, et donne à ses répliques, dans un très large spectre de sentiments, toutes les nuances qui conviennent. Qu'il soit drôle, ironique, exaspérant, amoureux, égoïste, lyrique... il est toujours impeccable.

C'est à Maria De Medeiros qu'incombe le difficile rôle de son épouse, celle qu'il a épousée parce que l'amour de sa vie lui était refusée. Comme toujours, elle sait être délicate, portant son regard enamouré avec beaucoup de bienveillance. Leurs enfants Cyrus et Lili sont interprétés par Mathis Bour et Enna Balland, auxquels les réalisateurs évitent les performances de chiens savants.

Abdi, le frère de Nasser-Ali, très aimant bien qu'étant son contraire (ou son complémentaire) est interprété par le parfait Eric Caravaca, lui aussi toujours bienveillant, et comprenant tous les soubresauts de ce frère artiste qui tantôt s'enflamme tantôt se consume, trop vite dans tous les cas. 

Et puisqu'il s'agit d'un conte, on croise Azraël, l'ange de la mort qu'attend Nasser-Ali avec impatience, et qui est aussi le narrateur de cette histoire. Edouard Baer est un conteur magnifique, et comme toujours, sait être caustique, faisant du film autre chose qu'une simple histoire, et le portant sur une réflexion plus large sur la vie, l'amour, l'art, la mort.

On croise Djammel Debbouze (d'abord en Houchang le vendeur du Stradivarius, ensuite dans la peau d'un mendiant que Nasser-Ali croise devant la tombe de sa mère) plus malicieux qu'à son habitude ; Chiara Mastroianni en Lili, la fille devenue femme de Nasser-Ali, et qui doit beaucoup à son père ; Isabella Rossellini, fantasque Pavine, mère de Nasser-Ali, lorsque les flash-back nous ramène à son enfance.

Enfin, Irâne, cet amour impossible qui aura blessé Nasser-Ali toute son existence, et qui aura donné à son art de violoniste toute sa splendeur, est incarné par la sublime Golshifteh Farahani, que nous avions découverte dans le très beau "A propos d'Elly" de Asghar Farhadi en 2007, puis retrouvée dans "Shirin" de Abbas Kiarostami en 2010 et dans "Si tu meurs, je me tue" de Hiner Saleem en mars de cette année. Elle est d'une incroyable douceur, et promène sa beauté et son amour impossible avec toute la délicatesse qui convient.

Même si le film n'a évidemment pas la portée de "Persépolis", il reste réussi, mais selon moi inégal. Même s'il permet de jouer sur toute une palette d'émotions, le scénario à tiroirs est un peu artificiel. Même si l'exigence esthétique est évidente et tenue, elle aboutit à un patchwork qui manque de cohérence.

Reste la très belle histoire d'amour, la qualité de l'interprétation, l'inventivité, la drôlerie de certaines situations, le piquant de certains dialogues qui font que cette fable persane vaut d'être vue.

Attendons le troisième opus du tandem Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud avant de considérer que "Persépolis" n'a été qu'un état de grâce fugitif, et profitons de cet hymne à la vie avec ses joies et ses peines.

Publicité
Commentaires
La Vie ChonChon
Publicité
Publicité