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La Vie ChonChon
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5 novembre 2011

Les Géants

Les_G_antsLa fin de l'insouciance.

Quelque part dans une campagne de Belgique. C’est l’été, Zak et Seth se retrouvent seuls et sans argent dans leur maison de campagne. Les deux frères s’attendent encore une fois à passer des vacances de merde. Mais cette année là, ils rencontrent Danny, un autre ado du coin. Ensemble, à un âge où tout est possible, ils vont commencer la grande et périlleuse aventure de leur vie.

Non, je n'ai aucune envie d'aller voir "Intouchables". Comme cela arrive souvent, les "gros" films qui sortent ne retiennent pas mon intention. Et c'est toujours l'occasion de sortir des "sentiers battus", et de partir à la découverte d'un cinéma plus "original" (pour le dire vite).

Après "Ultranova" en 2005, puis "Eldorado" en 2008, je ne voulais pas manquer le troisième long métrage de Bouli Lanners, que j'aime en sa qualité de réalisateur - pour des raisons sur lesquelles je reviendrai - qu'en sa qualité d'acteur. Depuis "Toto le héros" de Jaco Van Dormael en 1990, je suis séduit pas la présence d'ours de Bouli Lanners. Il évolue dans une "famille de cinéma" à laquelle je suis très attaché, comme le rappelle sa filmographie, notamment avec : "Le Pantalon" d'Yves Boisset en 1997 (TV), "Les Convoyeurs attendent" de Benoît Mariage en 1999, "L'autre" de Benoît Mariage en 2004, "Aaltra" de Benoît Delépine & Gustave Kerven en 2004, "Quand la mer monte" de Yolande Moreau & Gilles Porte en 2005, "Enfermés dehors" de Albert Dupontel en 2006, "Avida" de Delépine et Kerven en 2006, "Cowboy" de Benoît Mariage en 2007, "Louise-Michel" de Delépine & Kerven en 2008, "Le Vilain" de Albert Dupontel en 2009, "Mammuth" de Delépine et Kerven en 2010.

Nous retrouverons prochainement Bouli Lanners sous la direction de Jalil Lespert dans "Des vents contraires", puis de Jacques Audiard dans "De rouille et d'os", que j'attends tous deux avec impatience.

Dans "Les Géants", comme dans "Ultranova" et "Eldorado", Bouli Lanners s'intéresse aux laissés-pour-compte de notre société. D'évidence il est ici inspiré par deux romans de Mark Twain - "Les aventures de Tom Sawyer" en 1876 ; "Les aventures de Huckleberry Finn" en 1884 - et il rend hommage à deux films - "La nuit du chasseur" de Charles Laughton en 1955 ; "Stand by me" de Rob Reiner en 1987 - avec une sincère admiration.

C'est sous la forme d'un conte initiatique, avec la mécanique d'un road-movie (ou plutôt d'un river-morie), qu'il choisit de nous raconter le moment de la fin de l'insouciance, propre à l'enfance, auquel doivent faire face Zak, Seth et Danny. Et comme dans un conte, ils croiseront des monstres et une fée. La photographie et la lumière sont exceptionnelles, et c'est à juste titre que JeanPaul de Zayetijd fut récompensé d'un prix à Namur. Le film est naturaliste et humaniste : c'est une élégie, une exaltation de la nature, mais pour une fois, les protagonistes semblent pouvoir se reconstruire une vie.

C'est aussi une description brillante de la violence sociale, des familles disloquées, des enfants laissés sur le bord de la route, par un monde d'adultes qu'ils encombrent. L'intelligence de Bouli Lanners émaille cette description d'une réelle tendresse, et d'un humour noir qui ne rate jamais sa cible. Quelques scènes aident le spectateur à endurer cette violence : les adolescents mangeant de la pizza recouvertes de harissa pour mieux jouir en se masturbant parce que le cul brûle ; éclatant de rire autour d'un feu de camp ; se bagarrant parce que leur cabane sur pilotis tombe à l'eau, etc...

Les "monstres" qu'ils croisent sont Angel, le frère aîné de Danny, incarné par Karim Leklou, particulièrement violent et halluciné, le couple composé de Le Boeuf et Martha qu'incarnent Didier Toupy et Gwen Berrou, deux personnages totalement décalés, d'une indicible avidité et prêts à "tondre" les trois gamins, en dépit de leur déjà très fructueux trafic d'herbe. Seul le cinéma belge parvient à proposer de tels personnages. Et les trois comédiens maîtrisent brillamment leur partition.

La fée, accompagnée de sa fille trisomique, c'est la belle et ici taiseuse Marthe Keller, qui prend Zak, Seth et Danny en stop, alors qu'ils sont trempés par la pluie sur la chaussée. Scènes éblouissantes toutes en regards aimants et en esquisses de sourires, comme si nous comprenions que les trois adolescent l'ont choisi pour mère. 

Chasseriaud_Nissen_Bartel"Les Géants". Ce sont Zacharie Chasseriaud (Zak) qui a déjà plusieurs fois joué pour la télévision ; Martin Nissen (Seth) qui a joué dans "Oscar et la Dame Rose" de Eric Emmanuel Schmitt en 2009 et que j'ai découvert dans "Un ange à la mer" de Frédéric Dumont en 2010 ; Paul Bartel (II) qui lui aussi a déjà joué à plusieurs reprises pour la télévision. Et nous sommes bien devant des comédiens, et même d'excellents comédiens, que Bouli Lanners semble choyer comme ses fils, lui qui n'a pas d'enfants. Ils vous couperont le souffle et vous pétriront le coeur, sans jamais jouer sur la corde du pathos. Leur Bayard d'Ord collectif du meilleur comédien, obtenu au Festival du Film Francophone de Namur, est pleinement mérité.

Enfin, la Belgique, la campagne belge, sublimée au point qu'on songe à des paysages étasuniens ou canadiens. Et même si on n'oublie jamais que c'est aussi l'univers désolé loin de la ville et de la modernité de Bruno Dumont, le film n'élude aucune cruauté.

Tous les prix qu'ont glanés ce film admirable et son réalisateur, en plus de ceux que j'ai déjà cités, y compris au Festival de Cannes 2011 à la Quinzaine des Réalisateurs (Prix SACD, Art Cinema Award) ou au Festival de Chatenay Malabry (Prix de la Jeunesse) sont justifiés.

C'est un film qui serre le coeur peu à peu, parce qu'en profondeur, c'est un film déchirant. Impossible selon moi de ne pas tomber sous le charme de cette nature sublimée, de cet humanisme vis-à-vis des oubliés, de cet humour noir drôle et cruel à la fois.

J'ai toujours rêvé d'avoir trois fils (j'ignore pourquoi). Idéalement, ils auraient été ces trois "Géants".

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