Sono monumentale !
Je suis monumental !
Nous quittons le bord de mer pour entrer dans Palerme. Hebus a encore la tête à sa traduction de deux chansons arabes, l'une d'Oum Khaltoum, l'autre de Farid El Atrache, qu'il voudrait enseigner à ses étudiants lors de ses cours de littérature à la rentrée. Il bute sur l'adjectif "grandiose" (فخم) qu'il n'aime pas, parce que selon lui ça ne traduit pas exactement la pensée du texte originel.
"Pas grave, ça te viendra plus tard, après notre promenade !" Nous nous approchons de la Cathédrale de Palerme, et je lui demande de bien vouloir la photographier, parce qu'est c'est un beau monument, qui fera une jolie illustation de ma chronique. "C'est ça, c'est 'monumental' " ! Sans le vouloir, j'ai trouvé le mot qu'il cherchait, après avoir essayé tous les superbe, magnifique, somptueux...
Et là, je n'ai pas le temps de comprendre qu'il a déjà ôté ses godasses et retroussé son pantalon, qu'il s'est rué sur la fontaine, qu'il je jette dedans, et qu'il crie "Marcello ! Marcello !". J'adore, c'est enfantin, c'est cabotin, c'est spontané, c'est fantaisiste. Une version brune et poilue d'Anita Ekberg, passée de Rome à Palerme, tandis que je ne suis qu'un demi-Marcel (c'est mon deuxième prénom) à côté de l'original. C'est la dolce vita.
"Il n'y a qu'un monument à Palerme, c'est toi !". Que voulez-vous que je réponde à ça ?
Nous pouvons donc nous avancer dans les petites rues. C'est nous qui achetons les légumes, et il ne faut pas trop traîner. J'ai compris que je n'aurais pas de photographies des monuments, mais il s'applique à bien cadrer les petites rues. Il a raison, c'est plus intéressant.
Je pense à la Sicile, au Caravage, à "Caravaggio" de Derek Jarman en laissant filer mes pensées au gré du hasard.
Cette partie de la ville est telle que je me l'étais imaginée, avec ses rues étroites, ses Palermitains qui parlent assez fort, presque en chantant. Ça me rappelle un peu Naples, en plus propre et plus calme.
Nous ne parlons l'italien ni l'un ni l'autre, alors pour demander où nous pouvons trouver un maraîcher, c'est toute une affaire. Mais nous y parvenons.
C'est un jeune d'origine tunisienne, interrogé en franco-arabe par Hebus qui nous renseigne. Il s'appelle Nour (lumière), ce qui me fait penser immédiatement à Zaza, car c'est un prénom qu'il aime beaucoup, dans mon souvenir. D'après ce que je comprends, et que Hebus m'expliquera ensuite, Nour prend Hebus pour une sorte de diplomate ou de personne issue d'un milieu très cossu à cause de son arabe particulièrement châtié et élégant.
En tout cas, une chose est certaine, Nour nous a très bien renseignés, et nous nous retrouvons vite devant un étal multicolore où je n'ai qu'à prendre un peu de tout pour faire plaisir à tout le monde. Alors c'est parti pour les melons, les tomates, les courgettes, les poivrons, les aubergines, la salade, le persil, la coriandre...
Paniers remplis, il ne nous reste, puisque nous avons le temps, qu'à trouver une petite trattoria pour déjeuner. Alors ça, c'est très facile. Un "buona trattoria per favore" lancé à la cantonade, et tout le monde vous en indique une, dans toutes les directions. Je laisse Hebus se dépatouiller avec toutes ces charmantes "mamma" pour faire son choix. Pas trop loin, parce que les paniers sont lourds... Du moment que je finis devant une belle assiette de spaghetti aux palourdes, tout va bien !
Et c'est repus que nous nous en retournons à l'embarcadère pour reprendre notre périple au gré des courants marins...
Je me rappelle, particulièrement ému, qu'un instant, j'aurais été le "Marcello !" d'un homme...