Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Vie ChonChon
La Vie ChonChon
Derniers commentaires
Archives
18 avril 2012

Le fils de l'Autre

Le fils de l'AutreTout commença à la maternité...

Alors qu’il s’apprête à intégrer l’armée israélienne pour effectuer son service militaire, Joseph découvre qu’il n’est pas le fils biologique de ses parents et qu’il a été échangé à la naissance avec Yacine, l’enfant d’une famille palestinienne de Cisjordanie. La vie de ces deux familles est brutalement bouleversée par cette révélation qui les oblige à reconsidérer leurs identités respectives, leurs valeurs et leurs convictions.

Lorraine Lévy (la soeur de Marc Lévy) a été plusieurs fois scénariste pour la télévision, et a déjà réalisé deux longs métrages de cinéma, "La première fois que j'ai eu 20 ans" en 2004, et "Mes amis, mes amours" en 2009. Autant le dire tout de suite, elle est pétrie de bon sentiments, et ses films avec elle.

Ici, à partir de ma même trame de départ qu'Étienne Chatiliez dans "La vie est un long fleuve tranquille", l'échange de deux bébés à la maternité, elle propose le portrait de deux familles, l'une israélienne vivant à Tel Aviv, l'autre Palestinienne, vivant à Gaza, confrontée, 18 ans après l'échange, à la rencontre avec "Le fils de l'Autre". Si l'idée de départ ouvrait les portes à une très bonne comédie, elle ne fonctionne pas très bien pour tisser un drame.

Le film n'échappe pas à certains clichés, et est circonscrit aux seules répercussions intimes et familiales de la situation, avec beaucoup beaucoup d'humanisme, pour ne pas dire de sensiblerie, en forme de plaidoyer pour la paix, mais évacuant hélas bien vite le conflit israélo-palestien, la colonisation, la religion. La réalisatrice se réfère au célèbre écrivain israélien Amos Oz, fondateur en 1977 de "La Paix Maintenant" : on entend une interview de lui, et Emmanuel Devos lit un de ses livres, "Imaginer l'autre".

Pourtant, malgré toute ces réserves, j'ai appréciés quelques éléments du film. Je trouve que le Mur de Séparation est presque un personnage du film, qu'il est bien filmé, et que si le scénario ne le fait pas, il parvient à symboliser le conflit. La musique, et notamment les morceaux de Dhafer Youssef, ponctuent bien le film. Et il y a le plaisir d'écouter quatre langues différentes : le français, l'anglais, l'hébreux et l'arabe, ce qui donne au film une pluralité de "tons", symbolisant tous les liens qui peuvent se tisser entre les uns et les autres.

Ensuite, l'interprétation, parfois excellente. La famille de Tel Aviv d'abord : Emmanuelle Devos (Orith, la mère de Joseph) est impeccable, et parvient, dans certaines scènes, d'un regard, d'un toucher, à susciter l'émotion ; Jules Sitruk (Joseph) n'est pas bon, surtout en regard d'autres prestations, sur lesquelles je reviendrais plus bas, et ne parvient pas à se départir de clichés ; Pascal Elbé (Alon, le père de Joseph), peine quant à lui à jouer le désarroi supposé le traverser.

Mahmoud ShalabyLa famille de Gaza ensuite : Areen Omari (Leila, la mère de Yacine) est une excellente actrice ("Private" de Severino Costanzo en 2002, "Attente" de Rashid Masharawi en 2006, "L'anniversaire de Leila" en 2009), et sur son seul visage défilent toute une palette de sentiments retenus, tout en pudeur. Khalifa Natour (Saïd, le père de Yacine) est lui aussi un très bon comédien ("La visite de la fanfare" de Eran Kolirin en 2007, "Le cochon de Gaza" de Sylvain Estibal en 2009) parvient, lui, contrairement à Pascal Elbé, a jouer le trouble, passant par diverses émotions, la colère, le refus, le questionnement, l'acceptation, et ses yeux, très troublants, dégagent une réelle sensibilité. Nous le reverrons bientôt dans "Parmi nous" de Clément Cotigore et dans "Inheritance" de Hiam Abbas, que j'aime beaucoup. Le rôle complexe de Bilal, le frère de Yacine, échoit à Mahmoud Shalaby (voir photo), un comédien excellent, dont la carrière semble décoller : "Jaffa" de Keren Yedaya en 2009, "Les hommes libres" de Ismaël Ferrouki en 2011, et récemment "Une bouteille à la mer" de Thierry Binisti. Sa palette de jeu est aussi étendue que celle de Khalifa Natour. Et lui aussi, de ses yeux magnifiques, peut laisser voir des émotions fortes.

Mehdi DehbiEnfin, il y a un jeune comédien français sur la carrière duquel je suis prêt à parier : Mehdi Dehbi. Déjà, pour commencer, rappelons sa formation théâtrale : le Conservatoire Royal de Bruxelles, puis le Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris (CNSAD), enfin la London Academy of Music and Dramatic Arts (LAMDA), formation qui lui a valu plusieurs beaux rôles sur scène, notamment le Roméo de Shaekespeare.

Ensuite et parallèlement, vint le cinéma : l'excellent film de Abdelkrim Bahloul "Le soleil assassiné" en 2004, sur le poète Jean Sénac, donnant la réplique à Alexis Loret et à Charles Berling impérial ; "La folle histoire d'amour de Simon Eskenazy" de Jean-Jacques Zilberman en 2009, dans le double rôle difficile de Naïm/Angela (un tavesti) faisant chavirer le coeur d'Antoine de Caunes, avec aussi Elsa Zylberstein et les grandes Judith Magre et Catherine Hiegel ; "Sweet Valentine" de Emma Luchini en 2010 ; enfin le très intéressant, mais très méconnu, "Looking for Simon" de Jan Krüger en 2012.

Vous verrez combien son sourire et son aisance à jouer irradient le film, et on comprend immédiatement le trouble viscéral d'Emmanuelle Devos devant ce fils qu'elle rencontre sans l'avoir jamais imaginé. Nous le retrouverons bientôt dans "Alter Ego" de Mehdi Ben Attia (scénariste d'André Téchiné pour "Loin" en 2001 et pour "Impardonnables" en 2011) à qui l'on doit le très troublant "Le Fil" en 2010, qui offrait un très beau rôle à Salim Kechiouche. Mehdi Dehbi est un jeune comédien à suivre... de très près.

Au final, le film manque de folie et d'audace, notamment à propos du conflit israélo-palestien et de la religion, et ne fouille pas suffisamment ses protagonistes. À mon goût, il est trop plein de morale généreuse et de bons sentiments. Mais j'en retiens les plans difficiles et réussis réalisés au pied du Mur de Séparation, les morceaux de Dhafer Youssef, les visages d'Emmanuel Devos et de Areen Omari, l'interprétation délicate de Khalifa Nadour et de Mahmoud Shalaby, enfin la présence radieuse et lumineuse de Mehdi Dehbi.

Publicité
Commentaires
La Vie ChonChon
Publicité
Publicité