Immersion dans la France de la peur.

Chose promise, chose due ! Parce que c'est en bas de chez moi, parce que j'ai déjà assisté à un meeting de Jean-Luc Mélenchon et un meeting de François Hollande, je suis allé à la Concorde, mesurer les forces de l'adversaire, écouter sa rhétorique, observer ses partisans et ses sympathisants.

Avant de monter à la tribune, l'actuel locataire de l'Élysée ôte sa montre et la dissimule dans sa poche. 

- Drapeaux bleu-blanc-rouge, pas de drapeaux UMP, quelques drapeaux vendéens, quelques croix occitanes. (Pluralité inenvisageable donc). 
- Mise en scène "impériale", assez impressionnante. 
- Fans sans liesse : 11 fois "Nicolas ! Nicolas !", 5 fois "On va gagner !". 

- Moyenne d'âge : +50 ans, assez peu de jeunes (même avec les touristes, les flâneurs habituels des Champs Élysées et des Tuileries).

- Style : des Barbour et jupes plissées du XVIème (dont on devine les intérêts), jusqu'aux joggings... 

- Références : De Gaulle (5 fois), Voltaire (!), Napoléon, Chateaubriand, Hugo, Césaire, Malaparte, les années 1930. 

- Désignation de l'adversaire : il ne de dit plus "ça" mais François Hollande (10 fois), Mélenchon (3 fois), Syndicats (3 fois). Adjectifs et expression à leur propos : stagnation, déni, recul, démagogie, 35 heures, retraite à 60 ans, burqa, haine. 

- France : environ 67 fois ; Nation : 13 fois ; Peuple : 12 fois. 

- Concepts principaux : christianisme, gènes de la France (!?!), survie d'une civilisation, famille (5 fois), travail, nation (pas patrie, quand même !). 

- Éléments de langage usuels (et usés) : vérité (7 fois), réalité, responsabilité (2 fois), effort, mérite, valeur travail, efforts, courage, propriété, héritage, force (5 fois), les sans-parole et les sans-voix , tabou... 

- Séduction du FN : burqa, traditions, coutumes, immigration, communautarisme, provinces, frontières (6 fois), villages, racines, Europe, BCE (un emprunt évident de dernière minute à François Hollande)... 

- Faire peur : sang, larmes, déclin, survie, tragédie, souffrance, crise (4 fois), colère, douleur, difficulté, ruine, destruction, inquiétude... 

- Tentative de prédiction auto-réalisatrice : je sens une immense vague, avenir, enfants, nouveau modèle français, engagement, mobilisation, courage, force (5 fois), fierté, destin de la France, ère nouvelle, réforme... 

- Scansion plutôt maladroite mais vibrante, syntaxe sans style personnel, phrases très courtes (pour le public, sur le modèle des JT de TF1), mais discours plutôt bien écrit. 

- Musique : une espèce de composition militaro-religieuse, apocalyptique, avec le son du tonnerre comme si l'actuel locataire de l'Élysée était subliminalement un paratonnerre protecteur. 

=> Aucun élément de bilan, discours victimaire (comme si depuis 10 ans c'était la gauche au pouvoir qui nous avait conduits à la situation actuelle !), distillant un sentiment d'effroi (devant le castrisme de la gauche qui nous menace s'il ça n'est pas réélu), désignant les boucs-émissaires habituels... 

=> La campagne aura été presque exclusivement "comptable" (économie, dette, déficits, fiscalité, croissance, immigration...), et donc articulée autour d'éléments quantitatifs. Pourtant le scrutin sanctionnera, à mon sens, ce qui n'est pas "mesurable", ce qui est qualitatif. L'UMP joue à distiller la peur (précisément parce qu'elle a peur de perdre le pouvoir) en jouant sur des émotions, tandis que le PS et le FdG (la gauche en général) canalisent la colère et l'indignation, en essayant d'y répondre avec la raison : davantage de justice, d'égalité.

=> La "nouveauté" de cette campagne est un produit dérivé du concept de "Démocratie Participative", remis au goût du jour par Jean-Luc Mélenchon qui s'inspirant de Jean Jaurès, a su transformer le Pique-Nique Citoyen de Ségolène Royal en autant de meetings en plein air, où, et ce n'est pas qu'un symbole, le citoyen passe de la station assise à la station debout. Au final pourtant, c'est l'avenir qui nous le dira, je perçois une "petite bulle" spéculative Front de Gauche en 2012 (il est surestimé dans les sondages selon moi, et je ne le perçois pas en "troisième homme"), comme y eut, selon moi, une "grosse bulle" spéculative MoDem en 2007 dont on verra l'effet baudruche au soir du premier tour.

- Très faiblard donc, ce meeting de la Maison Bleue, devant des temps de cerveau très très disponibles, regardés, observés, par les yeux circonspects des touristes préférant prendre la Rue Royale pour rejoindre Ladurée et ses macarons... à la rose, évidemment. 

La Madeleine, pourtant bonne fille, avait la mine triste.