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28 avril 2012

Tyrannosaur

TyrannosaurLa part animale de l'homme.

Dans un quartier populaire de Glasgow, Joseph est en proie à de violents tourments à la suite de la disparition de sa femme. Un jour, il rencontre Hannah. Très croyante, elle tente de réconforter cet être sauvage. 
Mais derrière son apparente sérénité se cache un lourd fardeau : elle a sans doute autant besoin de lui, que lui d’elle.

"Tyrannosaur" fait suite au court métrage de Paddy Considine (déjà avec Peter Mullan et Olivia Colman), auréolé du Lion d'Argent à Venise et du Bafta à Londres en 2007. On sent l'ombre tutélaire (non revendiquée par le réalisateur) portée du grand Ken Loach sur ce premier long métrage. Originellement, Paddy Considine est un acteur, qui à joué à deux reprises sous la direction de Pawel Powlikowski, à trois reprises sous celle de Shane Meadows (notamment "Deand Man's Shoes" en 2004 dont il a écrit le scénario), de David Kade, Michael Winterbottom ("24 Hour Party People" en 2004, culte), Jim Sheridan, Ron Howard, Edgar Wright ("Hot Fuzz" en 2007), Paul Greengrass ("La vengeance dans la peau" en 2007), Richard Ayoade ("Submarine" en 2011).

"Tyrannosaur" est une chronique sociale, un drame social même, qui critique les stéréotypes et les jugements hâtifs sur l'apparence, qui essaie de nous montrer ce qui se cache derrière les sourires quotidiens. C'est aussi un thriller psychologique, véritable concentré de violence, de colère, de souffrance qui laisse entrevoir l'espoir indéfectible qu'il faut avoir en l'humanité. En effet, il met aussi l'accent sur la fragilité des personnages, les tensions qui les animent, leur besoin viscéral de contact, de compassion, de tendresse.

Paddy Considine a pourtant refusé de filmer ce contexte social difficile, avec chômage, alcoolisme, violence, absence radicale d'illusions, non pas la caméra à l'épaule, mais avec une technique purement cinématographique pour écrans larges, comme s'il filmait un western. Puisque ses personnages et leurs tensions passent sans cesse de l'ombre à la lumière, il a opposé une technologie grandiose, afin d'éviter un misérabilisme voyeur.

Peter Mullan 2Il lui a fallu s'appuyer sur des acteurs qui dégageraient suffisamment de puissance pour être auscultés au plus près. Peter Mullan (Joseph) est un des seuls acteurs qui pouvait montrer la part animale de l'homme, son corps en furie, son âme en peine. Sa prestation est époustouflante, bien qu'elle ne surprend guère si l'on regarde sa filmographie : découvert par Ken Loach en 1990, sa carrière a explosé avec Danny Boyle dans "Petits meurtres entre amis" en 1995 et "Trainspotting" en 1996. Vinrent ensuite "My name is Joe" de Ken Loach, "Mauvaise passe" de Michel Blanc, "Redemption" de Michael Winterbottom, "Young Adam" de David MacKenzie (passionnant), "Une belle journée" de Gaby Dellal, "Les fils de l'homme" de Alfonso Cuaron, "Boy A" de John Crowley (une pépite).

La façon dont il est filmé rappelle une nouvelle façon de filmer la virilité au cinéma, qu'on a vue chez Bruno Dumont, chez les Frères Dardenne, chez Alain Guiraudie, chez Nicolas Winding Refn dès "Pusher"... et récemment dans "Valhalla Rising", "Drive", "Shame", "Bullhead"...

Olivia ColmanPour faire contrepoint, en quelque sorte, c'est Olivia Colman qui incarne Hannah. Magnifique idée de Paddy Constantine que d'avoir choisi cette actrice qu'il avait croisée sur le tournage de "Hot Fuzz" de Edgar Wright en 2007. Sa palette de jeu est aussi large que celle d'une actrice comme Toni Collette, capable de sa calquer à tous les registres. Olivia Coleman nous vient des séries TV britanniques (notamment "Beautiful People", 2008-2009) avec des incursions cinématographiques : "Trop jeune pour elle" en 2005, "Confetti" en 2006, "Hot Fuzz" que j'ai déjà cité, "La Dame de Fer" en 2012. Elle est magnifique, et reconnaissons-le, elle n'est pas loin de voler la vedette à Peter Mullan, ce qui n'était pas loin de relever du pari impossible.

Eddie MarsanC'est Eddie Marsan qui incarne James, l'époux de Hannah. Son incroyable "gueule d'acteur", totalement polymorphe, et son talent, lui permettent d'être une star des seconds rôles, qui a joué pour les plus grands : David Kane, Martin Scorsese ("Gangs of Nex York"), Inarritu ("21 grammes"), Mike Leigh à deux reprises, Isabel Coixet, Terrence Malick ("Le Nouveau Monde"), Michael Mann, James McTeigue ("V pour Vendetta"), JJ Abrams, Neil Burger, Philip Ridley, Guy Ritchie (à deux reprises), J. Blakeson, William Monahan ("London Boulevard"), etc... Vous serez impressionnés par sa prestation, par la terreur qu'il inspire, par la relation sexuelle qu'il impose à son épouse qui vaut celle qu'on voit dans "Kadosh" de Amos Gitaï. 

Au delà de ce trio, on retrouve Popplewell (Bob, le voisin très "hooligan" de Joseph, avec son chien méchant), un habitué des séries TV qui a aussi joué à deux reprises pour Michel Winterbottom dans "24 Hours Party People" et "The Trip". Là encore, un personnage qui semble en overdose de testostérone, d'une extrême violence.

Ned DennehyJe voudrais aussi retenir l'attention sur Ned Dennehy, à qui échoit le rôle de Tommy, un copain de Joseph, chômeur et drogué, rôle très difficile, mais porteur d'un très bel humanisme, d'un espoir de fraternité. S'il n'a pas l'heur d'être un "second rôle", sa gueule coupée au couteau lui vaut d'être un petit rôle majeur auprès de grands réalisateurs : Joel Schumacher, Agnès Merlet, Guy Ritchie, Ridley Scott, David Yates, Kevin MacDonald, Roland Emmerich.

Il est de la distribution de 5 films à sortir prochainement, dont le très attendu Jane Eyre de Cary Fukumaga. Et si j'insiste sur cet acteur, c'est parce qu'il me semble que les cinéastes sont de plus en plus exigeants lorsqu'ils distribuent leurs rôles, et qu'on revient à un cinéma où le plus grand soin est apporté à ces "petits rôles", et surtout que de plus en plus, ils prêtent attention aux "gueules".

J'ai quelques réserves sur le film, à cause de quelques thématiques annexes devant lesquelles je suis très dubitatif : quelques passages sur la religion sans que semble poindre une critique ; l'autodéfense qui semble être mise en avant ; la vengeance qui semble avoir la primauté sur la justice. Ce sont des petites réserves. Il en est une autre, qui est de la part du réalisateur, l'utilisation d'effets très appuyés, aussi bien dans la violence que dans l'espoir de rédemption. Mais pas de quoi nier les grandes qualités du film, à commencer par son interprétation.

C'est à juste titre que "Tyrannosaur" se retrouve couvert de prix : Prix du Public à Thessalonique ; Meilleur Scénario à Dinard ; Meilleur Réalisateur, Meilleur Acteur et Meilleur Acrice à Sundance ; Meilleur Premier Film aux Bafta (César britanniques) de Londres ; Prix de la Critique et Prix du Jury à Valenciennes ; Meilleur Film, Meilleur Réalisateur et Meilleure Actrice au Festival du Film Indépendant Britannique, etc...

Voilà, c'est un film d'une noirceur implacable, effrayant, fascinant, mais qui essaie d'être apaisant à son terme. 

Un film qui nous rappelle que l'impasse sociale peut réveiller "l'animal intérieur" de chaque homme.

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