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13 mai 2012

Barbara

BarbaraPartir pour être libre ? Rester pour aimer ?

Eté 1980. Barbara est chirurgien-pédiatre dans un hôpital de Berlin-Est. Soupçonnée de vouloir passer à l’Ouest, elle est mutée par les autorités dans une clinique de province, au milieu de nulle part. Tandis que son amant Jörg, qui vit à l’Ouest, prépare son évasion, Barbara est troublée par l’attention que lui porte André, le médecin-chef de l’hôpital. La confiance professionnelle qu’il lui accorde, ses attentions, son sourire... Est-il amoureux d’elle ? Est-il chargé de l’espionner ?

Le renouveau du cinéma allemand ne cesse de s'affirmer. Christian Petzold qui a signé des courts métrages, des téléfilms et des documentaires, en est une des figures de proue depuis 10 ans, avec "Contrôle d'identité" en 2002, "Gespenter" en 2005, "Yella en 2009, "Jerichow" en 2010.

"Barbara" propose un film historique sur les tristes heures de la scission entre les deux Berlin, au suspense classique autour d'une évasion et au climat permanent de suspicion suscité par la Stasi. Mais la force du film tient au fait que le réalisateur y inclut une histoire d'amour, et qu'il le fait de façon très pertinente. En effet, une romance dans ce genre de film a souvent tendance à plomber le scénario, alors qu'ici on assiste à un beau tour de force : équilibre parfait entre le politique et l'amour.

Christian Petzold affirme des références intéressantes : "Le port de l'angoisse" de Hawks, "Marchand des quatre saisons" de Fassbinder, "French Connection" de Friedkin, et pour les scènes romantique, l'oeuvre de Claude Chabrol.

Il se garde bien de manichéisme pour évoquer cette époque de l'Allemagne de l'Est, et évite toute moquerie facile, toute caricature. Il a choisi de tourner "Barbara" de façon chronologique pour obtenir un jeu des acteur plus organique, dans un véritable hôpital des années 1980 pour éviter une "reconstitution", et surtout, il a choisi une forme de communication "non verbale" entre les protagonistes.

La lumière porté sur la campagne environnante, comme sur la forêt, qui ont une grande importance dans le film, est d'une époustouflante beauté, parvenant à graver le climat glaçant qui circonscrit cette histoire dans l'Histoire.

De tout cela ressort un sens de l'économie remarquable, un usage délibéré de la répétition de certaines scènes. C'est méticuleux et épuré, voir dépouillé, et cela participe très efficacement à la description du climat propre à toute société totalitaire. Plutôt que de montrer une nation alors opprimée, Christian Petzold choisit de présenter les effets insidieux qui minent la vie quotidienne et la paranoïa qui gangrène les rapports entre les individus. Et cela a nécessité une interprétation au cordeau.

Nina HossEt là, c'est magnifique. Nina Hoss, qui incarne Barbara, s'affirme comme l'actrice fétiche du réalisateur (elle figure aux génériques de "Yella" et "Jerichow"), après avoir joué dans "Hölderlin, le cavalier de feu" de Nina Grosse en 1998, "Le Volcan" de Ottokar Runze en 1999, "La nuit d'Epstein" de Uns Egger en 2002, "Les particules élémentaires" de Oskar Roehler en 2006 et "Nous sommes la nuit" de Dennis Gansel en 2010. Elle est ici superbe, sachant muer l'économie de dialogues en un jeu plus corporel, tout en expressions délicates.

Ronald Zehrfeld (acteur connu et reconnu en Allemagne pour ses rôles dans de multiples séries TV et téléfilms) incarne André, lui aussi tout en silence. Reiner Bock incarne Klaus Schültz, l'officier de la Stasi, ambigu à souhaits, sans en faire une caricature. C'est un acteur que nous connaissons mieux en France, puisqu'ils figure notamment aux génériques de "Inglourious Basterds" de Tarantino, "Le Ruban Blanc" de Michael Haneke, "Cheval de guerre" de Steven Spielberg. Pas moins de cinq films avec lui vont sortir prochainement. Jörg, l'homme amoureux de Barbara, à l'ouest, et qui met tout en oeuvre pour la faire sortir d'Allemagne de l'Est est incarné par Mark Waschke (connu lui aussi pour ses rôles dans des séries TV, et des film allemands non sortis en France, à l'exception de "Sous toi, la ville" de Christoph Hochläucher en 2010).

Enfin, je voulais souligner la belle présence de Jasna Fritzi Bauer (la jeune Stella, hospitalisée parce qu'elle refuse de se plier aux exigences du régime totalitaire), que j'ai découverte récemment dans "À l'âge d'Ellen" de Pia Marais face à Jeanne Balibar. Elle rappelle un peu la Rosetta des Frères Dardenne. Mario, un autre jeune hospitalisé après une tentative de suicide (ce qui n'est pas "grave" en Allemagne de l'Est, mais plutôt "suspect") est incarné par le jeune Jannik Schümann (lui aussi venu de séries TV), qui pourrait (et devrait) se voir proposer des rôles plus étoffés prochainement.

Dès que j'ai vu la bande annonce, je me suis dit, non sans perfidie ni amusement, "Voilà un film qui va déplaire au magazine Première", et je reconnais volontiers que cela avait contribué à aiguiser davantage mon intérêt. J'ai été clairvoyant, car le film est remarquable en tous points, le scénario est remarquable, la mise en scène et les dialogues épurés suffisent à étayer son propos, l'image est magnifiquement travaillée, et l'interprétation est remarquable. C'est un drame subtil avare de mots, qui propose des portraits d'êtres humains tout en nuances, et qui soulève des question qui dépassent le cadre strict de l'idéologie. 

La multitude de nominations obtenues par "Barbara" à la Berlinale 2012, comme son Ours d'Argent du Meilleur Réalisateur, sont pleinement justifiés. Et Nina Hoss, si elle n'a pas obtenu le Prix d'interprétation, confirme sa grâce, et surtout son exceptionnel talent.

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