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La Vie ChonChon
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20 mai 2012

De rouille et d'os.

De rouille et d'osLa résilience, c'est l'amour ?

Ça commence dans le Nord. 
Ali se retrouve avec Sam, 5 ans, sur les bras. C’est son fils, il le connaît à peine. Sans domicile, sans argent et sans amis, Ali trouve refuge chez sa sœur à Antibes. Là-bas, c’est tout de suite mieux, elle les héberge dans le garage de son pavillon, elle s’occupe du petit et il fait beau. 
A la suite d’une bagarre dans une boîte de nuit, son destin croise celui de Stéphanie. Il la ramène chez elle et lui laisse son téléphone.
Il est pauvre ; elle est belle et pleine d’assurance. C’est une princesse. Tout les oppose.
Stéphanie est dresseuse d’orques au Marineland à Antibes. Il faudra que le spectacle tourne au drame pour qu’un coup de téléphone dans la nuit les réunisse à nouveau. 
Quand Ali la retrouve, la princesse est tassée dans un fauteuil roulant : elle a perdu ses jambes et pas mal d’illusions.
Il va l’aider simplement, sans compassion, sans pitié. Elle va revivre.

Le travail de Jacques Audiard est désormais très attendu. Ce fut d'abord en sa qualité de scénariste : "Mortelle Randonnée" de Claude Miller en 1983, "Baxter" de Jérôme Boivin en 1989, "Grosse Fatigue" de Michel Blanc en 1994, "Vénus Beauté (institut) de Tonie Marshall en 1999. Ce fut ensuite en qualité de réalisateur : "Regarde les hommes tomber" en 1994, "Un héros très discret" en 1996, "Sur mes lèvres" en 2001, "De battre, mon coeur s'est arrêté" en 2005, "Un prophète" en 2010.

Il s'attaque ici à une adaptation très libre d'un recueil de nouvelles de Craig Davidson (souvent comparé à Chuck Palahniuk), "Un goût de rouille et d'os" paru en 2005. Adaptation très libre, puisqu'il conserve la tonalité du livre, mais crée ses personnages pour le film.

Difficile de décrire ce film : il s'agit d'une chronique sociale en forme de mélodrame, à laquelle Jacques Audiard donne un style expressionniste, où la forme des images vient servir ledit mélodrame. Il nous propose une réinterprétation du monde à partir de la captation de morceaux de vie qu'il organise avec beaucoup de soin. La mise en scène est impressionnante de maîtrise, chaque scène, chaque plan est impeccablement composé, éclairé, découpé, tout en restant au service du récit et des personnages, donc des acteurs : il scrute leurs corps, leurs phrasés, leurs intéractions, leur regards, leurs palettes de sentiments.

On sent les références brillantes : "Freaks" de Tod Brownig, "La Strada" de Fellini, "Fight Club de David Fincher, et tout le travail des Frères Dardenne. On y voit l'esthétique tranchée, brutale, contrariée des films de foire, où l'extraordinaire étrangeté des propositions visuelles sublime la noirceur du réel.

Pour incarner tout ce tragique baigné de réalisme, il fallait quelques acteurs susceptible de porter une charge très forte. Et il n'est pas étonnant de voir "De rouille et d'os" venir après "Louise Wimmer" de Cyril Mennegun et "Bullhead" de Michael R. Roskman, probablement les deux meilleurs films de ce début d'année 2012, le premier porté par Corinne Masiero, le second porté par Matthias Schoenaerts.

Matthias Schoenaerts bis

 Corinne Masiero bisIl est Ali, elle est sa soeur Anna, tous deux de la même trempe, tous deux aux corps qui écrasent la pellicule, sans même avoir besoin du moindre accompagnement musical. Leurs voix, leurs tons, leurs regards en font les héritiers directs d'un Olivier Gourmet ou d'une Yolande Moreau, susceptibles d'être face aux caméras implacables des Frères Dardenne. Et même si le film, à mon sens, ne propose pas suffisamment de scènes où ils sont face-à-face, celles qui nous sont proposées sont remarquables.

Seule Anna semble comprendre la force tellurique de son frère Ali, que ce dernier arrive à peine à canaliser devant son fils Sam (incarné par le petit Armand Verdure, beau comme une carte postale).

Je ne doute pas que nous reverrons souvent ce duo d'acteurs. C'est certain pour Matthias Schoenaerts puisqu'il est présent au générique de 5 films à sortir prochainement. C'est très probable pour Corinne Masiero, car il serait totalement incompréhensible de laisser échapper un tel talent, même si cela arrive parfois, comme ce fut hélas le cas pour la grandiose Catherine Mouchet.

Je suis plus très circonspect devant devant le jeu de Marion Cotillard, qui pourtant hérite d'un rôle sublime, mais que le réalisateur est presque chaque fois obligé de soutenir par les envolées musicales lyriques de d'Alexandre Desplat. Il aurait sans doute fallu une Emmanuelle Devos pour embrasser pleinement le rôle de Sandrine.

Dans le rôle de Céline, la soeur de Sandrine, on retrouve l'impeccable Céline Sallette, qui a tout d'une grande. Après "L'Apollonide" de Bertrand Bonello, puis "Ici-bas" de Jean-Pierre Denis, elle continue son chemin, avec une délicatesse rare, offrant à son personnage une très belle présence, une sorte de soupape, grâce à son jeu très serein.

Dans le rôle de Martial (celui qui organise les combats, et qui installe les caméras de surveillance vouées à épier les faits et gestes des salariés dans les entreprises, dans le but pour les patron de les licencier aisément) l'acteur-réalisateur Bouli Lanners. Il est épatant dans ce rôle qui sort des partitions qu'on lui donne à jouer habituellement. Il a souvent joué dans des films aux univers particuliers, ceux de Kervern & Delépine ("Aaltra", "Avida", "Louise-Michel", "Mammuth"), de Benoît Mariage ("Les convoyeurs attendent", "L'Autre", "Cowboy" et prochainement "Akwaba"), d'Albert Dupontel ("Enfermés dehors", "Le Vilain"), mais aussi d'Yves Boisset ("Le Pantalon", excellent téléfilm), de Yolande Moreau ("Quand la mer monte"). Il est par ailleur le réalisateur, notamment, de "Eldorado" en 2008 et du très beau "Les Géants" en 2011.

Enfin, dans le rôle de Richard, l'époux d'Anna, on fait la connaissance de Jean-Michel Correia, l'ancien assistant-réalisateur de Jacques Audiard, et dans le rôle de Foued, un ami d'Anna, on retrouve Mourad Frarema, qu'on avait déjà vu dans "Un prophète". Ils sont très bien tous les deux, aidant à parfaire la description de ce monde presque à la marge, tant d'un point de vue économique et social que du point de vue du repli affectif.

"De rouille et d'os" a clairement été conçu pour être un chef d'oeuvre. Jacques Audiard n'y a pas ménagé sa peine, tirant sur de superbe références, assumant le mélodrame qu'il revisite et sublime avec une mise-en-scène magistrale. Il sait puiser toute la "force du nord" de ses interprètes (Schoenaerts, Masiero, Lanners) pour approcher la virtuosité de Bruno Dumont ou des Frères Dardenne, il sait s'approcher au plus près des corps, que ce soit dans les scènes de combat que dans les scènes de sexe, et profite d'effets spéciaux très réussis (on ne perçoit pas les trucages qui suppriment le bas des jambes de Sandrine, et c'est très saisissant).

Il parvient à proposer un très bel hymne à la vulnérabilité, et il ose proposer, à la fin, un optimisme salvateur en forme de pied-de-nez aux coups du sort qui s'acharnent sur les personnages. Il choisit la découverte de la sensibilité par l'amour pour stimuler la résilience de ses deux héros.

Mais je crains que la volonté, l'acharnement presque, de "faire un chef d'oeuvre", empêche précisément d'en faire un malgré soi. Il a fait usage de quelques subterfuges, d'effets, notamment en puisant chez certains plutôt qu'en leur rendant hommage. Il manque parfois de la "véracité" dans le personnage de Sandrine, de cette force incroyable que savent filmer les Frères Dardenne, Bruno Dumont, Robert Guédignian...

C'est la seule réserve que je puisse faire, mais c'est une réserve. Restent et demeurent, il faut le dire et le redire, ces acteurs qui savent aller au-delà des désirs de Jacques Audiard, Matthias Schoenaerts, Corinne Masiero, Céline Sallette, Bouli Lanners, Mourad Frarema, Jean-Michel Correia et le très attachant Armand Verdure, dont le regard à lui seul est une lumière, un espoir.

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