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La Vie ChonChon
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11 février 2013

Crawl

Crawl

Un homme en devenir.

En Cornouaille, dans une Bretagne bordée par l'océan, Martin (Swan Arlaud, une véritable révélation) enchaîne les petits boulots et les maigres larcins. Il sort depuis peu avec Gwen (Nina Meurisse, impressionnante de spontanéité), une fille solitaire qui va nager chaque jour en haute mer, par tous les temps, espérant pouvoir un jour faire de la compétition.

Quand Gwen annonce à Martin qu'elle est enceinte de lui et qu’elle veut garder l’enfant, il prend peur et disparaît.

Corinne (Anne Marivin, particulièrement délicate dans son interprétation), la sœur de Martin, a du mal elle à faire accepter l’arrivée d’un troisième enfant à Jean (Gilles Cohen, impeccable comme toujours dans son rôle de "beauf" agaçant), son mari, déjà en prise avec des problèmes professionnels, et se retrouve assez seule, pas davantage soutenue par son père alcoolique (Jean-Marie Frin, superbe dans son jeu très intériorisé) qui ne se remet pas de son veuvage depuis que son épouse a été retrouvée noyée.

Alors que Martin puis Jean partent un peu à la dérive, Gwen et Corinne se débattent seules et essayent de redresser la barre. Jusqu'au jour où Martin est accusé de meurtre.

Hervé Lasgouttes(qui signe ici son premier film) et Loïc Delafoulhouze ont écrit ensemble le scénario de "Crawl". Ils se sont inspirés d’auteurs américains tels que Larry Brown et Jim Harrisson pour donner corps à cette histoire forte. Le réalisateur décrit ainsi son film : "A travers ce récit, basé sur des vies ordinaires, et qui par certains aspects pourraient être les nôtres, le film a l’ambition de nous en faire un récit fort, en mettant en scène des personnages extraordinaires."

Le titre du film, "Crawl", renvoie bien entendu à la nage, puisque le personnage interprété par Nina Meurisse part nager en pleine mer chaque jour, été comme hiver. Mais le titre est également une métaphore sur le fait de se débattre en permanence, par peur de couler, à l’image des quatre personnages du film.

Les prises de vue ont été effectuées de novembre à décembre 2012, surtout en extérieur. A cette période de l’année, la Bretagne souffre d’une météorologie capricieuse et les changements de lumière sont très fréquents. Ainsi, l’équipe a privilégié les plans-séquences pour ne pas risquer de faux-raccords. On ne peut pas de pas songer à l'excellent travail sur la lumière qui avait été fait sur le très beau "Angèle et Toni" de Alix Delaporte avec Clotilde Hesme et Grégory Gadebois.

Le metteur en scène explique au sujet du personnage de Martin (joué par le très prometteur Swann Arlaud) : "Martin est un animal sauvage qui vit au jour le jour, un pêcheur solitaire, difficile à attraper, difficile à garder. C'est un enfant blessé par la perte d'une mère, et pour qui aimer est synonyme de souffrance. L’arrivée d’un enfant est pour lui une menace, la fin d’une liberté pourtant plus proche parfois d’une errance ou d’une dérive… Martin nous emmène dans son élément. Le bord de mer, les mains dans le sable, les pieds dans l'eau. C'est pourtant un élément dangereux pour lui car il ne sait pas nager, contrairement à Gwen. C’est un personnage charismatique qui ne parle pas beaucoup, mais qui fait beaucoup de choses ; il pêche, il braconne, il pique, il vivote de petits boulots… Martin nous met en prise directe avec la vie."

Hervé Lasgouttes signe un premier film social d'une rare justesse, empli de poésie et de pudeur où terre et mer s'unissent pour dénouer les tourments des personnages. Une obsession pour le quotidien, ses matières à la fois inertes et mystérieusement vivantes faisant l'objet d'une sourde évasion. "Crawl" reste un film fascinant dans sa façon d'intégrer les hommes à la faune littorale, à parler en sourdine de chair, de prédation. La chronique sociale d'une région frappée par la crise sonne juste, la lumière de la Cornouaille est belle et les comédiens sont épatants.

Swann Arlaud

Pourquoi ai-je donc insisté sur le sous-titre que j'ai choisi, "Un homme en devenir" ? À mon sens, c'est le grand sujet du film. Je pense par ailleurs que - hélas ! - la formule de Simone de Beauvoir, "On ne naît pas femme, on le devient", est de moins en moins pertinente, en ce sens que de plus en plus, l'adolescence féminine se rétrécit comme peau de chagrin, ce que semblait déjà dire Rosard : "vivez si m'en croyez, n'attendez à demain, cueillez dès aujourd'hui, les roses de la vie". De plus en plus, je croise des "petites femmes" de 12 ans attifées et maquillées comme leurs mères... Et l'expression "adolescent attardé" semble désormais exclusivement dévolue à la gent masculine.

S'il y a encore des "femmes en devenir", ce ne sont plus, sublimes, que les transexuels et les travestis... même si de rares films, tels "La Naissance des Pieuvres" et "Tomboy" proposent des pistes de travail passionnantes.

Mais ici, l"homme en devenir, c'est aussi Swann Arlaud, la grande révélation du film, malgré une carrière déjà touffue, notamment pour la télévision, mais aussi pour le cinéma, "Le temps des porte-plumes" de daniel Duval en 2005, "Un coeur simple" de Marion Laine en 2008, "Réfractaire" de Nicolas Steil en 2009, "Le Bel Âge" de Laurent Perreau en 2009, "Belle Épine" de Rebecca Zlotowski en 2010, "L'Homme qui rit" de Jean-Pierre Améris en 2012. Pour son premier premier rôle, il est parfait, parvenant à jouer quelques scènes sur son seul visage, comme sa rencontre avec Gwen, la jeune femme qu'incarne Nina Meurisse.

Par ailleurs, selon moi, c'est une des rares qualités du cinéma français que d'offrir de nombreux rôles à des "hommes en devenir", ce qui m'avait déjà troublé au début des années 1980 avec Jean-Hugues Anglade dans "L'homme blessé" puis dans "La diagonale du fou". Plus récemment, mais je ne saurais en faire une liste exhaustive, le plaisir de découvrir Grégoire Colon dans "Nénétte et Boni" puis "Beau Travail" ; Jérémie Rénier dans "La Promesse" puis "Les Amants Criminels", puis "Le Pont des Arts" ; Salim Kechiouche dans "À toute vitesse", puis "Les Amants Criminels", puis "Grande École", puis "Le Clan" ; Jérémie Elkaïm dans "Presque rien" puis "Sexy Boys" ; Nicolas Cazalé dans "Les Chemins de l'Oued" puis "Le Clan" ; Grégoire Leprince-Ringuet dans "Les Égarés", puis "Les Chansons d'Amour" puis "La Belle Personne" ; Marc-André Grondin dans "C.R.A.Z.Y" puis dans "Le premier jour du reste de ma vie" ; Vincent Rottiers dans "Les Diables" puis "L'Ennemi intime" ; Johan Libéreau dans "Douches Froides" puis "Les Témoins" ; etc...

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