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25 mars 2013

Queen of Montreuil

Queen of Montreuil

Faire son deuil en inventant une famille.

C’est le début de l’été et Agathe (Florence Loiret-Caille) est de retour en France, chez elle à Montreuil. Elle doit se remettre à son travail de réalisatrice mais aussi faire le deuil de son mari brutalement décédé. Elle y parviendrait peut-être plus facilement si elle cessait de se trimballer avec l’urne funéraire et savait quoi faire des cendres !

L’arrivée inopinée à son domicile de deux islandais, Anna et Ulfur, une mère et son fils (Didda Jonsdottir et Ulfur Aegisson, le fils de la réalisatrice) , d’une otarie rapportée d'un zoo désaffecté, et de son voisin Caruso (Éric Caruso) toujours désiré mais jamais complètement conquis vont lui donner les pouvoirs de reconquérir sa vie…

En 1998, Solveig Anspach, islandaise expatriée en France, lançait avec le fort et beau "Haut les Coeurs" (avec Karin Viard) sa déclaration d'amour à la France. Se voulant d'un cinéma intime et engagé, elle avait pour thème de coeur la maladie et les histoires humaines rocailleuses et brutes. En 2003, elle nous proposait "Stormy Weather". Et dix ans plus tard, en 2007 elle est revenue sur sa terre natale avec la comédie "Back Soon", basée sur une idée saugrenue, où elle n'avait engagé que des acteurs islandais peu connus.

Galvanisée par la réaction positive du public face à son film tourné en roues libres, elle a décidé pour "Queen of Montreuil" de ramener cette énergie islandaise dans son quartier d'accueil, Montreuil, et d'inscrire le film dans une optique similaire, comme une suite possible à "Back Soon". Ainsi, elle a rassemblé l'actrice Florence Loiret-Caille et les acteurs islandais de son précédent film, notamment l'épatante Didda Jonsdottir : ses deux patries sur un seul écran, dans un récit emmené par le déracinement, la communion de plusieurs destins... un travesti voleur de robes (Thomas Blanchard) et les frasques d'un phoque !

Passionnée de cinéma italien, la réalisatrice a tenu à rendre hommage aux films transalpins en mélangeant le rire et les larmes, la joie et la douleur, et en inscrivant son film dans une tendance plus burlesque qu'à son habitude, notamment par le biais de la présence du phoque. Dans la même veine que l'oie dans "Back Soon", "Queen of Montreuil" se distingue des autres films de Solveig Anspach avec la présence à l'écran d'un phoque, ressort comique, certes, mais aussi symbole du bagage islandais de la réalisatrice. En Islande, la croyance stipule que les phoques sont des réincarnations d'êtres humains, d'où leur regard intelligent et curieux. Là-bas, tuer un phoque équivaudrait à tuer un ancien être humain.

Florence Loiret-Caille

Si "Queen of Montreuil" était filmé avec moins de grâce et de précision, on pourrait presque croire que sa dentelle est le fruit d'une improvisation spontanée. L'illusion prend encore plus de vraisemblance grâce à Florence Loiret-Caille, qui porte à elle seule toute la charge de mélancolie du film. Florence Loiret-Caille trimballe sa douce mélancolie, sa fragilité et son petit grain de folie dans cet univers foutraque et bigarré avec un naturel et une grâce qui confirme un talent la hissant parmi les meilleures de sa génération. Une nouvelle fois, Florence Loiret Caille, en petit Caliméro à la coquille fracassée qui reconstruit peu à peu son nid, prouve qu'elle est vraiment une reine.

Voilà plus de 10 ans que Florence Loiret-Caille enchante le cinéma français : en vrac "Le septième siècle" de Benoît Jacquot en 1997, deux films réalisés par Claire Denis, "Trouble every day" en 2001 puis "L'Intrus" en 2004 ; trois films sous la houlette de Jérôme Bonnell, "Le chignon d'Olga" en 2001, "J'attends quelqu'un" en 2007, ""La Dame de Trèfle" en 2008 ; "Le Temps du Loup" de Michael Haneke en 2002 ; "Cette femme-là" de Guillaime Nicloux en  2003 ; "Une Aventure" de Xavier Gianolli en 2004 ; "Peindre ou faire l'amour" des Frères Larrieu en 2004 ; le superbe "L'ennemi naturel" de Pierre Erwan Guillaume aux côtés de Jalil Lespert et Aurélien Recoing en 2004 ; "Au voleur" de Sarah Leonor en 2008 ; donnant la réplique à Michel Bouquet dans le très beau "La petite chambre" de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond en 2010 ; "L'hiver dernier" de John Shank en 2011. 

Samir Guesmi Queen Montreuil

Le plaisir de retrouver un comédien que j'adore, un des "dieux" du second rôle en France, Samir Guesmi, qui est magnifique fumant des joints avec Didda Jonsdottir dans sa grue surplombant Montreuil et Paris, dans des scènes particulièrement poétiques et amusantes. Et j'invite ceux qui ne le connaissent pas bien, même s'il a acquis une notoriété certaine avec son rôle dans "Camille redouble" de Noémie Lvovsky, à regarder "Andalucia" de Alain Gomis sorti en 2007 dans lequel il tient magistralement le rôle principal. Plaisir aussi de retrouver Thomas Blanchard en travelo voleur de robes, isurtout l'improbable robe de mariée rose d'Anna (Didda Jonsdottir) ! En "torch singer" il est épatant. Comédien trop rare, vu notamment dans "La vie de me fait pas peur" de Noémie Lvovsky, "Le Pornographe" de Bertrand Bonello ; "La Bande du Drugstore" de François Amaret ; le superbe "Pas de temps pour les braves" du génial Alain Guiraudie, "Les Amitiés Maléfiques" d'Emmanuel Bourdieu, "Memory Lane" de Michael Hers. Je ne comprends pas pourquoi le cinéma français ne pas davantage appel à ce comédien très subtil.

Queen of Montreuil casting

Un film décalé à tel point que l'art de l'écart se transforme ici en art tout court. La cinéaste prône la marginalité pour regarder le monde avec plus de distance et de détachement. Voici du cinéma qui nous touche, là où l'intime le dispute au généreux, du cinéma bon enfant qui témoigne d'une société socialement structurée dans laquelle la fraternité n'est pas devenue un vain mot. La modestie sied à la réalisatrice. Sólveig Anpasch livre une fantaisie aussi délicate que poétique, une fable douce et tendre sur le deuil, l'amitié et la vie. Elle nous suggère aussi que notre famille n'a rien à voir avec les liens du sens, mais tout à voir avec ceux avec lesquels on aime partager...

Mélancolique, joyeux et, surtout, libre. Un film que je conseille ardemment.

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