Ma vie de cabinet.

Tiroirs secrets.

Non, il ne s'agit pas de toilettes ni de lavabos ! Il s'agit de structure de vie. À l'heure où les vies sont exposées sur les réseaux sociaux (FaceBook, Twitter, blogs, etc...), où les revendications socio-politiques sont plus de l'ordre des libertés individuelles que de l'ordre de l'intérêt collectif et du vivre ensemble, je continue d'organiser ma vie est davantage structurée comme un cabinet de curiosités des XVIIème et XVIIIème siècle, y compris avec ses petits tiroirs secrets.

En somme, je compartimente. Alors certes, rien n'est étanche, même si les queues d'aronde sont délibérément très serrées (l'aronde désignait autrefois l'hirondelle).

Amours, sexualité, travail, famille, amitiés... c'est presque à chaque élément de vie son tiroir. J'ignore encore un peu la part de volonté inspirée par la protection instinctive et la part de spontanéité de cette façon d'organiser mon existence, mais elle me rassure et me protège.

Je n'aurais pas pu vivre dans un loft sans l'encombrer de paravent, de meubles de séparation. Autant je n'aime pas les murs que l'on construit à l'extérieur pour se protéger d'éventuels ennemis, autant j'aime, parce que je les trouve rassurantes, voire réconfortantes, les cloisons bâties à l'intérieur.

Je suis souvent dérouté par les gens apparemment faits tout d'un bloc, parce que cela me semble nier la nature complexe (à ne pas confondre avec compliquée) de la vie humaine. Je pense qu'avec des efforts, chacun peut (doit ?) n'être presque que paradoxes : secret mais sociable, égoïste mais généreux et fraternel, affirmé et exigeant mais sincèrement compatissant, très réfléchi mais spontané et imprévisible, mélancolique mais toujours souriant, grave mais pétillant, etc...

Je suis un homme de recoins, de petits chemins, de pensées intimes. J'aime être dans l'infiniment ténu et fragile pour envisager le monde dans sa complétude. À l'heure de la globalisation, cela m'évite le repli folklorique ou "régionaliste", cela m'évite de cesser de toujours conserver l'espérance (la légende dit bien qu'elle était tapie au fond de la boîte !) d'une vie collective toujours meilleure, portée par des hommes et des femmes qui se tiennent la main.

"J'ai un dictionnaire tout de par moi fait" écrivait Montaigne plongeant au fond de soi-même, pour mieux dire ensuite à propos de La Boétie "parce que c'était lui, parce que c'était moi". Comme lui, je ne régimente pas, j'organise. Les têtes mal construites me fatiguent, aussi m'efforcé-je toujours, peut-être avec excès, de bien construire la mienne.

Au centre de ce cabinet de curiosités, sans doute y-a-t-il l'amitié, qui se décline à l'infini, à qui l'on concède toujours les brèches nécessaires, et qui communique probablement, au moins un peu, avec tout ce qui l'entoure : les amours, le travail, l'engagement politique, l'activité culturelle, la famille, etc...

Plus je la pense, plus j'apprécie "ma vie de cabinet", avec tous ses petits tiroirs finement ciselés, dans lesquels j'entasse mes petits morceaux de vie.

Et je reste ce que je suis, sachant que j'aurais pu me décrire comme une boule à facettes, la version disco du cabinet, lesquelles facettes ne sont jamais toutes simultanément exposées à la lumière en... en laissant de nombreuses dans l'ombre...