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15 avril 2013

La Belle Endormie

La Belle Endormie

La vie et la mort, le politique et le religieux, le vrai et le faux.

Le 23 novembre 2008, l'Italie se déchire autour du sort d'Eluana Englaro, une jeune femme plongée dans le coma depuis 17 ans. La justice italienne vient d'autoriser Beppino Englaro, son père, à interrompre l'alimentation artificielle maintenant sa fille en vie.

Dans ce tourbillon politique et médiatique les sensibilités s'enflamment, les croyances et les idéologies s'affrontent. Maria (Alba Rohrwacher), une militante du Mouvement pour la Vie, manifeste devant la clinique dans laquelle est hospitalisée Eluana, alors qu'à Rome, son père sénateur (Toni Servillo, décidément un des plus grands acteurs contemporains, tout en finesse et en sensibilité) hésite à voter le projet de loi s'opposant à cette décision de justice. Ailleurs, une célèbre actrice, la Divina Madre (Isabelle Huppet) croit inlassablement au réveil de sa fille, plongée elle aussi depuis des années dans un coma irréversible. Enfin, Rossa (Maya sansa) veut mettre fin à ses jours mais un jeune médecin plein d'espoir va s'y opposer de toutes ses forces.

Le film s'inspire de la véritable histoire d'Eluana Englaro, une Italienne d'une trentaine d'années plongée dans un état végétatif irréversible pendant dix-sept ans, suite à un accident de voiture. Elle mena le pays à ébullition en demandant, via son père, à ce que son système d'alimentation artificielle soit débranché... Opposant ainsi la communauté scientifique et les sources vaticanes, les tribunaux, les journaux, les défenseurs et les opposants à l'euthanasie. Un des segments du film met en scène le personnage d'Uliano Beffardi (Toni Servillo). Il s'agit d'un rôle d'homme politique en référence directe à Silvio Berlusconi, et au décret de dernière minute qu'il tenta de faire passer pour faire halte au processus d'euthanasie engagé. Sans succès.

Le réalisateur Marco Bellocchio n'a pas souhaité faire un film qui prendrait parti ou imposerait son point de vue sur le bien fondé de l'euthanasie. Ainsi, Eluana Englaro ne figure pas dans le film en tant que personnage. En effet, "La Belle Endormie" est davantage axé sur les histoires respectives de personnages satellites : la Divina Madre, une grande actrice sur le déclin, un homme politique, un médecin, ou encore une droguée. Leurs histoires se déroulent en parallèle des derniers jours d'Eluana Englaro, comme une œuvre à visages multiples orientés sur une même attente.

Plusieurs scènes du film ont été filmées à l'extérieur de la maison médicalisée où Eluana Englaro a séjourné, et où on lui a finalement coupé les vivres pour la laisser partir. Certains figurants dans le film ont été engagés pour jouer leur propre rôle, car ils faisaient partie du groupe de protestataires présents en 2008, lorsque se sont déroulés les évènements.

Notons que l'euthanasie est un sujet de réflexion assez fréquent au cinéma : "La Belle Endormie" est en effet "dans l'air du temps", s'inscrivant dans la lignée de films comme "Million Dollar Baby" de Clint Eastwood, "Amour" de Michael Haneke, "Quelques heures de printemps" de Stéphane Brizé.

Marco Bellochio s'éprend d'un fait de société qui déchira l'Italie et en extrait toute la complexité dans une réflexion sur le droit à la mort au coeur d'un film choral qui confine au sublime, et qui est totalement bouleversant. Chaque situation n'avance que par basculements, coups de folie enchaînés et entrechoqués, gestes en apparence insensés jetés par des personnages que d'autres regardent avec stupeur. "La Belle Endormie" est sans doute moins impressionnant que le précédent film du réalisateur, "Vincere", mais il trouve une autre manière de formuler cette course à la folie. Bellocchio excelle à marier ambiances et tonalités : au mélo grand-bourgeois en huis-clos de la partie de la Divina Madre se superposent l'énergie post-adolescente des amours de Maria, et surtout la réjouissante comédie du pouvoir jouée par les camarades sénateurs d'Uliano.

"La Belle Endormie" mêle avec virtuosité les intrigues, dessine de la classe politique italienne un tableau saisissant. Le regard que Marco Bellocchio n'a cessé de porter sur le monde paraît avoir gagné encore en acuité.

La sensibilité de la mise en scène ne dédaigne aucun personnage, elle invite à percevoir et à recevoir la vie dans sa plénitude. La mise en scène au cordeau sert admirablement ce sujet volcanique qui cible avec puissance les pères de la nation, le cynisme et les fausses croyances. En mettant en scène des cas concernés par l'acharnement thérapeutique, Marco Bellocchio chante un superbe hymne à la liberté et à la vie, évitant le pamphlet sans chercher non plus le consensus.

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