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29 avril 2013

Hannah Arendt

Hannah Arendt

La banalité du mal.

En 1961, la philosophe juive allemande Hannah Arendt (Barbara Sukova, parfaite) est envoyée à Jérusalem par le New Yorker pour couvrir le procès d’Adolf Eichmann, responsable de l'organisation de la déportation de millions de juifs.

Les articles qu’elle publie et sa théorie de “La banalité du mal” déclenchent une controverse sans précédent.

Son obstination et l’exigence de sa pensée se heurtent à l’incompréhension de ses proches et provoquent son isolement.

Je suis allé voir "Hannah Arendt", évidemment pour l'intérêt du sujet du film, pour l'opinion connue de Margarethe Von Trotta sur ce sujet, mais aussi pour des raisons plus personnelles et affectives : si l'essentiel de l'engagement politique de mon père s'est construit autour de la décolonisation (son intérêt pour le FLN, pour le réseau Jeanson, pour l'étude de la frontière parfois ténue entre la résistance et le terrorisme, ce que lui avaient enseigné ses parents à propos de la guerre de 1939-1945), celui de ma mère s'est construit, au départ, autour des travaux de Hannah Arendt, des féministes telles Monique Wittig et Gisèle Halimi notamment. Il s'agissait donc aussi pour moi de revenir sur ce qui constitue une part des racines de mes propres engagements.

Hannah Arendt (1906-1975), était une philosophe juive allemande, qui a notamment eu pour professeurs Edmund Husserl et Martin Heidegger. Suite aux événements du début des années 1940, elle a émigré vers les États-Unis. Sa pensée philosophique se décline autour de problématiques telles que la révolution, le totalitarisme, la culture ou la modernité, éléments qui régissent le fonctionnement en société. Elle est notamment connue pour son étude sur ce qu'elle a elle-même qualifié de "banalité du mal", concept qui ressort de son rapport sur le procès du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann. Le procès, qui s'est déroulé en 1961, est par ailleurs le moment sur lequel se focalise le film : "Le film se concentre sur les quatre années tumultueuses pendant lesquelles les vies d’Hannah Arendt et d’Adolf Eichmann se sont croisées, l’impact historique et les répercussions émotionnelles de cette expérience", précise la réalisatrice Margarethe Von Trotta.

La "banalité du mal" est un concept inventé et développé par Hannah Arendt dans le rapport qu'elle a réalisé à partir du procès Eichmann, auquel elle a assisté en 1961 à Jérusalem. Cette notion, à l'époque, a créé la polémique, certains analystes l'ayant interprétée comme une justification des atrocités commises par l'officier nazi. Or, ce que la philosophe a voulu exprimer par cette idée, c'est que Eichmann était un homme terriblement banal, qui a commis toutes ces atrocités par devoir et obéissance envers le régime nazi, sans se poser de questions. En rien, cette approche ne cherche à excuser l'abomination de ces actes : "chercher à comprendre ne signifie par pardonner".

L'un des enjeux notables du film tient du fait que sa protagoniste, la célèbre philosophe, se caractérise par quelque chose d'insaisissable à l'image : la pensée. "Je voulais me confronter aux problématiques liées à la réalisation d’un film sur une philosophe. Comment regarder, filmer une femme dont l’activité principale est la pensée ?", indique Margarethe Von Trotta.

Heinrich Blücher (interprété brillamment par Axel Milberg) est, si l'on excepte son premier amour Martin Heidegger, l'homme de la vie d'Hannah Arendt. Ils se sont rencontrés à Paris, et ont ensuite fui le régime nazi, à travers l'Europe puis à New York. Ils se sont mariés assez rapidement et ont vécu ensemble pendant près de 35 ans, jusqu'au décès de Blücher. Alors qu'elle était attaquée pour son rapport sur le procès Eichmann, Hannah Arendt a reçu un soutien très appuyé de la féministe et écrivaine étasunienne Mary McCarthy (interprétée avec brio par Janet McTeer). La correspondance entre les deux femmes a par ailleurs été publiée. A la mort d'Hannah Arendt, en 1975, c'est son amie qui a terminé son dernier ouvrage inachevé "La vie de l’Esprit".

Barbara Sukowa

"Hannah Arendt" marque la quatrième collaboration au cinéma entre la réalisatrice Margarethe Von Trotta et l'actrice Barbara Sukowa. Auparavant, la première a dirigé la seconde sur trois films : "Les Années de plomb" en 1981, "Rosa Luxemburg" en 1986, et "Vision - Aus dem Leben der Hildegard Von Bingen" en 2009. Égérie du Nouveau cinéma allemandBarbara Sukowa a également travaillé avec Rainer Werner Fassbinder et Volker Schlöndorff, deux chefs de file du courant.

De l'avis de la réalisatrice, "on ne peut montrer la vraie « banalité du mal » qu’en observant le vrai Eichmann. Un acteur ne peut que déformer l’image". Aussi, cette dernière a-t-elle décidé d'utiliser les images d'archives, en noir et blanc, lorsqu'il s'agit de le représenter. Ces images proviennent du procès qui s'est déroulé à Jérusalem en 1961. A noter qu'après Nuremberg, en 1945-46, le procès d'Adolf Eichmann est le second grand procès au cours duquel la présence de caméras a été autorisée. Pour intégrer les images d'archives au récit, Margarethe Von Trotta a choisi de filmer les scènes de la salle d'audience depuis la salle de presse où elles étaient retransmises, et où il semblait crédible que se trouve Hannah Arendt, qui était une grande fumeuse. Pour l'unique séquence qui se déroule dans la salle d’audience, l'acteur qui incarne Eichmann n'est montré que de dos.

Il faut se réjouir qu'une aussi belle leçon de philosophie soit portée à l'écran. Je n'ai aucun reproche à faire à ce film, puisqu'on y voit dans les détails le cheminement de la pensée jusqu'au-boutiste de Hannah Arendt ; qu'on y comprend bien que de la philosophie au journalisme, déjà à l'époque, existe un fossé ; qu'on y apprécie le travail au ciseau de Barbara Sukowa comme des autres interprètes ; et qu'on comprend clairement le positionnement de Margarethe Von Trotta, fidèle à elle-même, prenant le parti de la philosophe.

Et je vais encore plus loin, puisque, même si c'est un peu ardu et qu'il vaut mieux travailler un peu le sujet en lisant avant d'aller voir le film, je le conseille vivement, pour sa description rigoureuse du cheminement d'une pensée brillante qui se défie de tout consensus pour demeurer "essentielle", au risque de déplaire.

Privilégiant le portrait sur la biographie, c'est à travers les multiples regards qui se posent sur la célèbre philosophe que la réalisatrice restitue la personnalité fascinante d'Hannah Arendt. Margarethe Von Trotta réalise une prouesse. Elle reconstitue avec beaucoup de justesse la stupeur éprouvée par Hannah Arendt face au bureaucrate nazi. On comprend alors, en images, que penser librement est l’un des plus beaux risques que puisse prendre l’être humain. 

Et cette réplique au couteau, "je ne peux aimer un peuple, je ne peux aimer que mes amis" de cheminer longtemps dans les esprits, et peut-être les consciences.

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