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17 juin 2013

L'Inconnu du Lac

L'Inconnu du Lac

Un lac, sous le soleil et le vent, du zénith au crépuscule...

Dans ce lieu unique, au bord d'une plage, des hommes, nus, s'étendent, se saluent, se rencontrent, et s'aiment dans le bois juste derrière.

Franck (Pierre Deladonchamps) un jeune homme très sociable vient discuter avec un autre, Henri (Patrick D'Assumçao, remarquable) plus âgé, qui se tient à l'écart et qui observe. Mais il se sent irrémédiablement attiré par un troisième, Michel (Christophe Paou) : un bel apollon au comportement inquiétant. Franck sera le témoin nocturne du meurtre commis par Michel, mais se taira, par amour...

Lequel des trois est "l'inconnu" ? Et si c'était le lac même ?

Chef d'oeuvre !

Deladonchamps et D'Assumçao

Voilà longtemps déjà que j'embête le monde avec ce que je considère comme le génie d'Alain Guiraudie, et je ne suis pas mécontent de la sortie de "L"Inconnu du Lac", qui grâce au Prix de la Mise en Scène, dans section Un Certain Regard, obtenu à Cannes, pourrait lui valoir un public et une notoriété plus amples.
Ses courts métrages : "Les héros sont immortes", "Tout droit jusqu'au matin", "La force des choses" ;
Ses moyens métrages : "Ce vieux rêve qui bouge", "Du soleil pour les gueux" ;
Ses longs métrages : "Pas de repos pour les braves", "Voici venu le temps", "Le roi de l'évasion" ;
toute son oeuvre, selon moi, fut annonciatrice pui démonstration que j'étais face à un cinéaste majeur.

Paou et Deladonchamps

La question de la sexualité est primordiale dans le travail d'Alain Guiraudie. Pour "L'Inconnu du Lac", le cinéaste s'est rendu compte que le sujet avait de nombreux points communs avec la pensée de l'écrivain Georges Bataille : "La fameuse phrase "l’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort" m’avait énormément frappé quand je l’avais lue il y a longtemps. Je l’avais oubliée, et puis on en a reparlé en préparant le tournage et je me suis dit que ça avait travaillé souterrainement."

Vis-à-vis de son précédent film, "Le Roi de l'Évasion"il a décidé ici de changer ou plutôt de faire évoluer son rapport à la sexualité : "Il était peut-être temps pour moi d’en venir aux choses sérieuses. De représenter les choses de l’amour… Pas l’amour pour rigoler, l’amour amitié comme je l’ai souvent fait… Mais l’amour passion. Je voulais m’y confronter réellement, d’une manière différente, en faisant se côtoyer, au sein de mêmes séquences, à la fois l’émotion amoureuse et l’obscénité du sexe, sans opposer, comme on le fait souvent, la noblesse des sentiments d’un côté, et le fonctionnement trivial des organes de l’autre", explique le cinéaste. Un nouveau cap qu'il perçoit comme une forme de maturité avec ce film qui traite de l'homosexualité.

Certaines scènes de sexe très crues ont été coupées au montage, même si des doubleurs avaient été engagés pour les plans "non simulés" : "Au montage nous n’avons gardé que ce qui était nécessaire. Même si nous avions une heure d’incroyables couchers de soleil, nous n’allions pas tous les utiliser pour autant ! C’est pareil pour le sexe. Je voulais qu’il soit présent sans ostentation", commente le réalisateur. Son but n'était pas de faire de la pornographie mais d'inscrire le sexe dans une démarche d'amour.

Pierre Deladonchamps

Les personnages attendent la tombée de la nuit, moment chargé d'émotion dans le film mais qui a nécessité quelques arrangements dans l'écriture du scénario : "Dès l’écriture, j’ai commencé à être obsédé par des indications du type « fin d’après-midi », « début de crépuscule », « milieu de crépuscule », « fin de crépuscule », qui sont de vrais jalons et de sacrés casse-têtes en terme de plan de travail", explique Guiraudie. Mais le "casse-tête" ne s'est pas arrêté là puisque le cinéaste souhaitait une lumière naturelle. Il fallait donc capter et tourner au bon moment : "On a tout mis en oeuvre pour faire exister ces durées et ces lumières fugitives dans le film. On attendait parfois plus d’une heure, sans rien pouvoir faire, le moment propice pour tourner. Quand nous avions besoin d’ombre, il faisait plein soleil et puis c’était le contraire", poursuit-il. Claire Mathon, en charge de l'image, en profitait pour filmer les transformations du lac qui allaient ensuite nourrir le montage.

"L'Inconnu du Lac" se concentre sur trois personnages principaux. Trois personnages qui selon le réalisateur pourraient former la personnalité d'une seule et même personne : "Le frivole « cool » (Frank), le dragueur puissant (Michel), dès qu’il ne désire plus, il se débarrasse de sa proie… Et l’homme qui en a un peu marre de tout ça (Henri). L’autre question, c’est : jusqu’où je vais pour vivre mon désir ?", un concept récurrent chez le cinéaste. Et en filigrane, bien sûr, une critique acérée du capitalisme et du consumérisme à tout crin. 

NB : L'affiche du film, montrant deux hommes qui s’embrassent avec, en arrière-plan, la suggestion d’une fellation, a poussé les mairies de Versailles et Saint-Cloud à interdire l'affichage du film dans leurs rues... Voilà où nous en sommes encore dans certaines locatités !

Alain Guiraudie réussit un film rayonnant. Un film ouvert aux beautés de la nature et accueillant au regards des hétérosexuels, grâce à son art de filmer la sexualité homosexuelle avec naturel. Grâce aussi à l'intrigue de ce "thriller pervers" qui prend peu à peu corps, dans l'éclat du jour, et embarque le spectateur au-delà des moeurs singulières d'un lieu de drague gay et nudiste...

Christophe Paou et Pierre Deladonchamps

"L’Inconnu du lac" n’est pas un film réaliste. C'est un thriller fantastique, dans tous les sens du terme. Le film relève du polar hitchcockien, on l’a lu dans de nombreux articles publiés après la projection cannoise, certes, mais il porte aussi en lui, comme un palimpseste tour à tour comique et grandiose, la trace d’une épopée flibustière. Un conte de fées lumineux et sidérant, avec un joli Poucet et un loup qui sort du bois la nuit tombée. C'est peut-être le plus beau film d’Alain Guiraudie. Le cinéaste n’avait jamais atteint une telle science du découpage. Le film s’élève au-dessus de toute caractérisation de l’époque pour atteindre à la dimension du mythe. Le superbe titre anglais du film, "Stranger by the Lake", y insiste malgré lui, qui sonne comme une production RKO. Son sens poétique de l'économie, son harmonie parfaite entre comique, inquiétude, et sentiments, font de "L'inconnu du lac" une oeuvre sublime et sublimée.

Unité de lieu, soleil méditerranéen, amour passion qui poignarde comme la mort : Alain Guiraudie sait emprunter à la tragédie antique pour restituer au plus près la part d'ombre et de feu de l'érotisme.

La maîtrise du cinéaste est impressionnante, le talent de ses interprètes et le don qu'ils font d'eux-mêmes sont dignes des plus beaux éloges. Dans le huis clos de la tragédie, déminée de sourires, Alain Guiraudie filme avec une magnifique sensualité les étreintes de la passion dans un "thriller sexuel " dans lequel la nature elle-même s’abandonne au mystère.

Trois fois rien sur le papier : à l'arrivée, un diamant de film qui brasse avec humour et gravité la vie, l'amour, la mort. Chef-d'oeuvre !

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