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La Vie ChonChon
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25 août 2013

Mort à Vendre

Mort à vendre

Une jeunesse qui meurt...

Dans la ville de Tetouan, au Maroc, Malik qui est chômeur (Fehd Benchemsi), Soufiane qui est déscolarisé (Fouad Labied), et Allal qui sort juste de prison (Mouhcine Malzi), trois amis de toujours, inséparables, habitués aux petits délits, qualifiés de "voleurs de poules" par les caïds, décident de devenir des barons de la drogue.

 

Malik vit au sein d'une famille brisée, chez son oncle alcoolique et violent, avec sa mère veuve et sa soeur Aouatif (Nezha Rahil, comédienne d'exception) qui entretient une difficile relation sentimentale avec un homme marié.

La rencontre des trois amis avec Dounia (Imane Elmechrafi, superbe et presque diabolique), une prostituée du club "La Passarella", va venir perturber leurs plans et les forcer à choisir entre l'amitié ou l'amour, l'honneur ou la trahison, le vice ou la raison...

Chacun des trois tombera dans son propre piège, l'amour raté et la trahison pour Malik, l'islam radical pour Soufiane, la soif d'argent mal acquis pour Allal...

Mort à Vendre - Faouzi Bensaïdi

"Mort à Vendre" est le troisième long-métrage de Faouzi Bersaïdi, à qui l'on doit "Mille Mois" en 2002 (qui a obtenu à Cannes en 2003 le Prix "Le Premier Regard" dans le cadre de la sélection "Un Certain Regard"), puis "WWW : What a Wonderful World" en 2006. Il a été choisi par le Centre Cinématographique Marocain pour représenter le pays dans la catégorie de l’Oscar du meilleur film étranger. S'il n'a pas été retenu par l’Académie, cela ne l’a pas empêché d’être projeté dans de nombreux festivals. Il a notamment reçu le "Prix Panorama" à la Berlinale et le "Prix du Jury" au Festival de Tanger. Faouzi Bensaïdi a d'autres cartes dans son jeu (si j'ose dire) puisqu'il est le scénariste de "Loin" réalisé par André Téchiné, et qu'il a joué dans "Mektoub" de Nabil Ayouch en 1997, dans "Loin", dans "Le Cheval de Vent" de Daoud Aoulad Syad en 2001, dans "Goodbye Morocco" de Nadir Moknèche en 2011.

Ici, dans "Mort à Vendre", il s'est réservé le rôle de l'Inspecteur Debbaz (voir photo ci-dessus), celui qui contraindra Malik à trahir ses amis, en devenant indic, en prétextant éviter la prison à Dounia. Comme vous pouvez le voir, il a une "vraie gueule de cinéma".

Tetouan - Malik Soufiane Allal

"Mort à Vendre" a été tourné à Tétouan dans le nord du Maroc. Faouzi Bensaïdi connaît bien la ville pour y avoir passé ses vacances étant enfant. Le cinéaste avait d’abord prévu de filmer à Tanger. Mais au moment d’écrire le scénario, il s’est rendu à Tétouan et a ressenti une telle émotion qu’il a décidé d’y tourner son nouveau long-métrage. Dans le générique, un remerciement est même adressé à la plage de Tétouan (photo ci-contre) en référence à la première fois où il a vu la mer en 1973.

Faouzi Bensaïdi reconnaît filmer les lieux presque comme il filme ses comédiens : "Il ne s’agit jamais d’une simple toile de fond, je cherche ce moment miraculeux où quelque chose de fort arrive entre les acteurs, la situation, l’émotion, la lumière et l’espace. L’obligation "contractuelle" des films à raconter une histoire a appauvri le cinéma alors qu’il peut être aussi fort, sinon plus, que la photographie ou la peinture qui, elles, s’emparent d’un lieu, d’un élément : une rue, un arbre, un ciel, une montagne et en font des merveilles."

 

Mort à Vendre - Labied Malzi Benchemsi

 

Mort à Vendre - Malik Allal Soufiane

Le casting du film a été particulièrement long. Non seulement le réalisateur recherchait trois bons jeunes comédiens, mais il désirait également que le trio fonctionne très bien ensemble. Afin de créer cette complicité amicale, le réalisateur n’a pas fait répéter les trois acteurs choisis mais leur a simplement demandé d’aller se promener tous les trois, certains soirs, dans les rues de Tétouan. Une tactique qui a parfaitement fonctionné puisqu’ils ont ainsi partagé des expériences communes et leur amitié est devenue tout à fait crédible à l'écran. Ci-contre, sur la première photographie, de gauche à droite, Fouad Labied / Soufiane ; Moucine Malzi / Allal ; Fehd Benchemsi / Malik.

Richard Horowitz signe la bande-originale de "Mort à Vendre". Le compositeur a reçu un Golden Globe pour "Un Thé au Sahara" en 1991. Il avait utilisé de la musique marocaine afin de recréer l’ambiance du désert. Pour son troisième film, le réalisateur voulait une musique partant de sonorités marocaines pour trouver ensuite une dimension plus orchestrale et lyrique. C’est pourquoi il a fait appel à Richard Horowitz. Selon le réalisateur, ses créations conviennent parfaitement au romanesque de l’histoire. Et il n'a pas eu tord, la musique du film étant parfois aussi lancinante que la vie des ces trois jeunes qui se perdent.

Il faut en venir à la distribution du film. Commençons par les femmes. Imane Elmechrafi (Dounia) incarne une prostituée crédible, aux faux airs vénéneux de Ronit Elkabetz, et reste subtile de bout en bout, entre l'amour pour Malik qu'elle affiche, et le souhait permanent d'échapper à son destin grâce à l'argent. Nezha Rahil (Aouatif), comme je l'ai souligné, est une comédienne d'exception, qui sans rien faire vous emporte avec elle : et ici, dans son amour  impossible avec un homme marié, avec le rrisque du "déshonneur" qu'elle pourrait générer pour sa famille, elle prend aux tripes. C'est sa troisième collaboration avec Faouzi Bensaïdi. Elle a par ailleurs joué dans "Adieu Forain" de Daoud Aoulad Syad en 1999, et dans "Number One" de Zakia Tahiri en 2009.

Mort à Vendre - Fouad Labied

Mouhcine Malzi, ce facétieux Allal qui sort de prison, avec son optimisme et ses plans sur la comète, sait insuffler toute l'énergie et l'entrain qui servent son personnage dans sa course vers l'argent qui ne peut finir que tragiquement. Soufiane, le jeune déscolarisé, qui en passera par le joug de l'islam radical, est incarné par Fouad Labied. Il figurait au générique de "Mille Mois". C'est le plus jeune et le plus fragile des trois amis. Vous ne pourrez pas rester indifférent devant "ses" scènes absolument sublimes, la première où il se fait tabasser et où il finit dans un simulâcre de pendaison (c'est là qu'il est sauvé par des islamistes radicaux qui le recruteront), et surtout dans la scène où, totalement nu, en pleine nuit, il brûle un arbre et prie devant. C'est d'une force presque insoutenable.

Mort à Vendre - Fehd Benchemsi

Mort à Vendre - Benchemsi et Elmechrafi

Enfin, dans le rôle de Malik, on retrouve Fedh Benchemsi (ci-contre avec Imane Elmechrafi) avec son beau et grand regard noir, et à qui est offert ici toute une palette de jeu. On le "retrouve", puisqu'il figurait aux génériquex de "L'Amante du Rif" de Narjiss Nejjar en 2011, puis de "Né quelque part" de Mohamed Hamidi en 2012, aux côtés de Jamel Debbouze. Ami fidèle, amoureux transi, frère aimant, fils attristé, indic pour la police, traître... il parvient à tout jouer. À lui seul, il tient (presque) tous les espoirs, tous les dilemmes, tous les questionnements. Et pour lui comme pour Fouad Labied, ce ne serait que justice de voir se dessiner les perspectives d'une belle carrière.

"Mort à Vendre" est un film à la réalisation parfaite, à la photographie superbe, aux cadrages dignes des plus grands, qui embrasse plusieurs genres pour conter le quotidien de trois jeunes Marocains privés d’avenir. C'est une plongée anxiogène dans le quotidien de jeunes Marocains marginaux, portée par une mise en scène qui oscille entre rage instinctive et renonciation lucide, qui épouse au plus près la fébrilité de ses héros. Le spectateur est constamment à côté d'eux, et ne peut que ressentir une profonde empathie dans une sorte de tiraillement qui va grandissant, la fin du film étant inscrite dans son titre.

Mort à Vendre - les trois amis

Faouzi Bensaïdi emprunte une trame de film noir, et c'est un choix pertinent. Ainsi son scénario, tout en destins croisés, lui permet de balayer un large panoramique de problèmes (amitié, amour, délinquance, argent, trafic de drogue, chômage, famille, amour, trahison...) sans tomber dans le démonstratif. Tout en dessinant des personnages à la forte crédibilité tragique, très bien servi par des comédiens épatants, malgré la difficulté que suggère la crudité des rôles et de leur destin.

C’est un film de genre qui englobe le réel, les à-côtés triviaux, la famille, très loin de la mécanique à l'américaine. C'est un film noir social. C'est formellement magnifique. C'est, selon moi, un exemple à suivre, un peu dans la lignée du superbe "Les Apaches" sorti la semaine dernière.

Je ne peux que vivement recommander "Mort à Vendre".

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