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26 août 2013

Valls / Taubira : un faux match surjoué.

Valls Taubira

Il faut accepter la complexité de la situation.

Il y a toujours eu une espèce de dilemme entre le Ministère de l'Intérieur et le Ministère de la Justice, et il est très hypocrite, de la part des media comme de celle des citoyens, de faire mine de le découvrir aujourd'hui. Chacun a lu qui était Georges Clémenceau (avec ses fameuses Brigades du Tigre), chacun se souvient de Jean-Pierre Chevènement, deux exemples d'hommes qui ont voulu asseoir la sécurité par l'autorité. C'est louable, quand ça n'est pas au détriment de la Justice.

Police et Justice sont les deux axes complémentaires de la sécurité, et il ne faut pas en faire deux instances antagonistes. "Il n'y a pas d'ordre sans justice, et il n'y a pas de justice sans ordre" dirait Ségolène Royal.

Aujourd'hui tout part d'un constat simple : la situation actuelle ne fonctionne pas, les prisons sont surpeuplées, on y passe de délinquant à caïd, et la loi Perben de 2004 comme la loi Sarkozy/Dati de 2009 permettent des sorties automatiques, ce qui stimule la récidive, ce qui estourbit l'opinion publique.

En premier lieu, et même si ça déplaît, il faut dessiner brièvement le contexte général : la population augmente et les délinquants avec (non, nous ne sommes plus 60 millions !) ; le contexte socio-économique, notamment le chômage de masse, est favorable à la délinquance ; les erreurs d'architecture urbaine des années 1960-1970 avec ses "barres" de HLM a des conséquences indéniables d'isolement et de relégation ; le déficit d'instruction dû notamment au recul des services publics dans certains quartiers "ghettoïsés" est loin d'être anodin ; le plafond de verre au-dessus de la tête de certains de nos concitoyens en raison de leurs origines (je n'invente pas la discrimination à l'embauche !) est une abomination ; le manque de lutte contre les grands trafics de drogues au profit de la traque aux petits dealers (la fameuse "politique du chiffre") est une erreur de braquet fatale ; depuis 2002 et l'affaire "Papy Voise" il ne se passe pas un jour ou presque sans que ne soit relaté avec force médiatique un fait divers violent, ce qui n'était pas le cas auparavant, pas à ce rythme, ce qui contribue de facto à imprimer le "conscient collectif" (on est au-delà de l'inconscient depuis des lustres) etc... Je n'excuse rien, je cherche à expliquer. Car ce n'est pas le doigt de Dieu ni un supposé "angélisme" qui a provoqué le contexte actuel.

Manuel Valls fait mine de penser que la solution est simple (et je suis persuadé qu'il sait les limites du "tout-carcéral"), qu'il faut emprisonner davantage et faire des discours musclés destinés à tous ceux qui voient en lui une virilité de substitution, un peu à la façon de Nicolas Sarkozy (toutes proportions gardées) parce que s'acheter une berline allemande pour prolongement de quéquette est désormais impossible dans le contexte socio-économique actuel.

Christiane Taubira, s'inspirant de méthodes venues d'ailleurs et qui fonctionnent (notamment des méthodes anglo-saxonnes, dont sont exclues la gestion privée des prisons), propose d'autres pistes, comme le bracelet électronique, l'accent porté à la réinsertion, les peines de probation, les obligations de soin, etc... Un chauffard retiendra plus d'un mois à faire le brancardier dans un service d'urgence à l'hôpital que d'un mois en prison ; un petit dealer primo-délinquant retiendra davantage d'un travail d'intérêt général dans un centre de désintoxication que de la fréquentation de gros trafiquants ; etc...

Il faut maintenant revenir ici sur ce que fut la "Conférence de Consensus", qui fort étrangement (ou fort opportunément, c'est selon), n'a pas connu un grand écho dans les media de masse. Cette "Conférence de Consensus" a duré quatre mois, et a tenu compte des avis d'un panel très large de spécialistes : élus locaux de droite comme de gauche ; experts en criminologie ; policiers ; avocats ; juges ; magistrats ; associations de victimes ; directeurs surveillants et médecins de prisons ; etc... Quatre mois au terme desquels un jury représentant toutes les tendances, à l'unanimité, adopte les 14 et 15 février 2013, ses conclusions et ses préconisations. Christiane Taubira présente donc un projet collectif qui respecte toutes les tendances, qui ne saurait être taxé de "laxisme", d' "angélisme" et autre "bisounourserie".

=> http://conference-consensus.justice.gouv.fr

Manuel Valls est hypocrite dans son discours (et "discours" est un bien grand mot), sachant pertinemment que continuer dans la voie du tout carcéral ne fera pas reculer la délinquance et la récidive, mais s'est mis en tête que faire le coq et invoquer la République lui permettront d'avoir la cote dans les sondages, (grâce à l'approbation de militants et sympathisants UMP et FN). Or, il ne fait rien, ne propose rien, et la cote dans les sondage ne résout aucun problème d'insécurité !

Christiane Taubira, elle, dresse un constat et propose. Les media oublient de rappeler que ses propositions (qu'il faudra probablement encore améliorer et compléter) sont le fruit du travail collectif consensuel que j'ai rappelé ci-dessus... et qui s'est aussi inspiré de ce qui existe et qui fonctionne, en Allemagne, aux USA, au Canada, etc...

Je constate qu'alors qu'il n'est question actuellement que d'un PROJET d'élaboration de lois, d'aucuns s'autorisent déjà à porter A PRIORI une opinion négative sur ce "projet de consensus", préférant les pales à faire du vent de Manuel Valls, en ne se souciant plus de la sécurité, mais uniquement de l'avenir de l'homme qui les flatte, qui caresse leur soif de vengeance plutôt que de Justice, qui incarne leur besoin de virilité de substitution.

Tous les ans la France est condamnée chèrement par l'UE pour son système carcéral qui ne respecte même pas les droits humains les plus élémentaires. Chacun reconnaît que sont en prison des personnes qui n'ont rien à y faire, comme des malades, des psychotiques, des toxicomanes, etc... qui représenteraient entre 15% et 20% de la population carcérale. Sur la base d'environ 70.000 prisonniers, chacun saura faire le calcul. Et la seule réponse ne saurait être la construction de toujours plus de prisons, car dupliquer à l'infini un système qui échoue systématiquement, je ne saisis pas l'intérêt. Construire des centres de désintoxication et des hôpitaux psychiatriques est aussi une partie de la solution.

Et ceux qui pensent qu'on réduit la délinquance comme on dératise se trompent. On les connaît ceux qui veulent mettre n'importe qui en prison, uniformément, sans tenir compte de son état ni de sa situation, ceux pour qui il y aurait beaucoup d' "indésirables" et de "nuisibles". On connaît cette rhétorique par coeur.

Cacher à la vue des citoyens tous ceux qu'ils ne veulent plus voir, en les empilant dans des prisons, fautes de structures appropriées, ça ne résout rien du tout. Et nous ne manquons pas d'exemples dans l'Histoire de systèmes qui ont empilé dans les prisons tous ceux qu'ils ne veulent plus voir, en argant du fait simpliste que la seule punition possible est la prison.

Cinéphile je suis, et cinéphile je reste. Alors pour conclure, je me demande si certains films - comment ne pas songer à "Un Prophète" de Jacques Audiard, et il y en a beaucoup d'autres - n'auraient pas quelques vertus pédagogiques auprès de l' "opinion publique", pour lui faire entrer dans la caboche que décidément non, le tout carcéral, pour tout le monde, pour chacun, indépendamment de ses actes et des circonstances, est un échec. Non, ces films n'ont aucune vertu pédagogique.

Alors ? Alors il n'y a pas le choix, il faut soutenir les travaux de la "Conférence de Consensus" qu'avance Christiane Taubira, avant que ne se décide à le faire Manuel Valls soi-même. Le gouvernement, le Premier Ministre, le Président de la République ne sauraient valider la perpétualité (pour ne pas dire la perpétuité) d'un échec qui dure depuis déjà bien trop longtemps, et qu'il faut arrêter dans les plus brefs délais. Quoi qu'il en coûte.

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