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La Vie ChonChon
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11 janvier 2014

Yves Saint Laurent

Yves Saint Laurent - Affiche

Aimer un génie...

Paris, 1957. Après une enfance et une adolescence passées à Oran en Algérie et couvées par sa mère Lucienne (Marianne Basler), être venu à Paris pour assister Christian Dior, à tout juste 21 ans, Yves Saint Laurent (Pierre Niney) est appelé à vite prendre en main les destinées de cette prestigieuse maison de haute couture fondée par Christian Dior, récemment décédé.

Lors de son premier défilé triomphal, salué par Jean Cocteau (Philippe Morier-Genoud), Karl Lagerfeld (Nikolaï Kinsky), Bernard Buffet (Jean-Édouard Bodziak), par le biais de son amie Marie-Louise Bousquet (Anne Alvaro) il fait la connaissance de Pierre Bergé (Guillaume Gallienne), rencontre qui va bouleverser sa vie.

Amants et partenaires en affaires, les deux hommes s’associent trois ans plus tard pour créer la société Yves Saint Laurent. Malgré ses obsessions et ses démons intérieurs, Yves Saint Laurent, un pied à Paris un pied à Marrakech, s’apprête à révolutionner le monde de la mode avec son approche moderne et iconoclaste, entouré de ses muses Victoire Doutreleau (Charlotte Le Bon), Loulou de la Falaise (Laura Smet), et Betty Catroux (Marie de Villepin), et des ses employées protectrices et dévouées, Yvonne (Astrid Whettnall) et Raymonde Zehnacker (Michèle Garcia).

Yves Saint Laurent est fragile et mélancolique, ce que la drogue transforme en dépression, s'entiche de l'amant de Karl Lagerfeld qui l'entraîne dans une vie nocture et dissolue, sans que jamais cela n'ébranle ni son génie (ses collections "Mondrian" et "Ballets Russes" furent des sommets inconstés de la Haute Couture) ni surtout son lien indestructible avec Pierre Bergé, l'amour de sa vie, sa forteresse...

Voilà, j'ai donc vu "le" film qu'il fallait, selon les media, aller absolument voir, si j'en crois la place promotionnelle qui lui a été accordée. J'avais des craintes, le style "biopic" ne réussissant que rarement au cinéma français, l'adoubement de Pierre Bergé pouvant dissimuler un film édulcoré, la sortie de "Philomena" de Stephen Frears m'apparaissant plus prometteuse... Toutefois, le sujet, les noms de Jalil Lespert, Pierre Niney et Guillaume Gallienne, le bouche-à-oreilles... tout ça devenant très convainquant. Le film est là, et c'est un très beau film, restant à définir ce qu'il y a de cinéma dedans.

YSL - Jalil Lespert

Jalil Lespert, dont j'ai vu les trois précédents longs métrages, "24 Mesures" en 2006, "Eastern" en 2008 et "Des Vents Contraires" (2011) a incontestablement réussi son pari. Voilà presque 20 ans qu'en qualité d'acteur, nous avons eu la preuve de la qualité de son travail, sur lequel il faut revenir : "Les Sanguinaires" de Laurent Cantet (1997), "Nos Vies Heureuses" de Jacques Maillot (1998), le parfait "Ressources Humaines" de Laurent Cantet (1999), "Bella Ciao" de Stéphane Giusti (2000), le très bon "Vivre me tue" de Jean-Pierre Sinapi (2002), "Pas sur la bouche" de Alain Resnais (2003), "L'ennemi intime" de Pierre-Erwan Guillaume avec le parfait Aurélien Recoing (2004), "Le Promeneur du Champ de Mars" de Robert Guédiguian avec le monstre sacré Michel Bouquet (2004), "Le Petit Lieutenant" de Xavier Beauvois (2004), "Lignes de Front" que j'aime beaucoup, de Jean-Christophe Klotz (2010), et "Landes" de François-Xavier Vives (2013) dessinent une belle carrière.

Nous le retrouverons prochainement dans "De Guerre Lasse" de Olivier Panchot, donnant la réplique à la grande Hiam Abbas, à Mhamed Arezki et à la jeune Sabrina Ouazani (25 ans) et qui compte déjà à son actif "L'esquive", "La Graine et le Mulet", "Fauteuils d'Orchestre", "Adieu Gary", "Tout ce qui brille", "Des Hommes et des Dieux", "Inch'Allah" et "Le Passé". J'ai hâte.

Armé d'un bon scénario qu'il a coécrit, Jalil Lespert dirige deux stradivarius, Pierre Niney et Guillaume Gallienne. Incontestablement, il le fait bien. Sa mise en scène est classique, et ne s'autorise guère d'audaces, même si j'ai pu constater qu'il avait su retenir le travail de certains réalisateurs pour lesquels il a travaillé : Laurent Cantet, Stéphane Giusti, Pierre-Erwan Guillaume notamment. Mais retenir un travail et le faire vraiment sien, ce sont deux choses différentes.

L'aval de Pierre Bergé est selon moi essentiel. Enthousiasmé par le projet de Jalil Lespert et surtout par le choix de Pierre Niney et Guillaume Gallienne, Pierre Bergé, le compagnon du défunt Yves Saint Laurent, a autorisé les équipes du film à tourner dans les lieux qui faisaient l’intimité du couple : l’appartement des deux hommes Avenue Marceau à Paris, l’atelier du styliste ou encore le Jardin Majorelle à Marrakech où Saint-Laurent imaginait ses collections. "Sans l’accord de Pierre, je n’aurais pas fait ce film. J’avais besoin de sentir la présence de Pierre, d’avoir accès à des informations précises que lui seul pouvait me donner", indique le réalisateur. Mieux encore, pour les besoins du tournage, Pierre Niney a eu l’honneur de porter plus qu’une copie des lunettes d’Yves Saint-Laurent : l’acteur a, en effet, chaussé la monture que le célèbre couturier portait de son vivant.

YSL - Robes Mondrian

Jalil Lespert a dû respecter certaines exigences de la part de la fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent. Cette dernière a ainsi interdit catégoriquement à la costumière du film (la très talentueuse Madeline Fontaine qui a travaillé sur "Le fabuleux destin d'Amélie Poulain", "Un long dimanche de fiançailles", "Séraphine", "Camille redouble", "Violette") de faire des copies des pièces imaginées par le couturier. En contrepartie, elle a mis à disposition les vêtements originaux dont certains n’auraient même pas pu être reproduits puisque les tissus n’existent plus. Avoir accès aux costumes originaux conservés par la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent fut un luxe et une contrainte considérable pour les équipes du film. Ces pièces étant fragiles, il était impossible de les utiliser toute la journée pour le tournage. "Les filles ne pouvaient porter les robes que deux heures d’affilée, puis elles devaient les enlever, à cause des problèmes liés au frottement ou à la transpiration", révèle le réalisateur. Les collections "Mondrian" et "Ballets Russes" restent merveilleuses.

YSL - Niney et Gallienne

YSL - Gallienne et Niney

YSL - Gallienne & Niney

Pierre Niney et Guillaume Gallienne sont parfaits. Tout y est, la gestuelle, le phrasé - surtout celui d'Yves Saint Laurent que Pierre Niney reprend à la perfection - les regards, les traits de caractère, fragilité pour l'un et force pour l'autre, etc...

Le choix de Pierre Niney pour camper Yves Saint Laurent n’est pas dû qu’à son physique proche du couturier. Sa trajectoire apparaît similaire. A 21 ans, l’un devient le plus jeune pensionnaire de la Comédie Française (et a déjà écrit sa première pièce de théâtre) quand l’autre devenait directeur artistique de Dior. L’année d’après, Niney recevait sa première nomination aux César. Au même âge, Saint Laurent présentait, lui, sa première collection "Trapèze". Un parallèle troublant entre deux hommes pressés.

Guillaume Gallienne assume à merveille son rôle de "pilier", de "forteresse", toujours là, prêt à soutenir, prêt à protéger Yves Saint Laurent, toujours fragile, souvent dépressif, en proie au doute quant à son talent. C'est presque un rôle à "contre-emploi", au moins au cinéma, puisqu'on ne peut pas dire qu'il incarne la force et la solidité. Et ici de confirmer, une fois encore, son admirable talent. Rarement un comédien aura su poser un regard si original sur ce que sont "essentiellement" la masculinité et la virilité, en contrepoint de la façon dont elles nous sont communément proposées, pour ne pas dire imposées. Son travail est passionnant.

YSL - Charlotte Le Bon

YSL - Laura Smet

YSL - Marie de Villepin & Niney

Les muses Victoire, Loulou et Betty ont aussi la part belle dans le film. Jalil Lespert offre un très beau rôle à Charlotte Le Bon (à gauche), qui s'échappe de Canal+ de la meilleure façon qu'elle pouvait espérer, incontestablement à force de travail, réinventant son port de tête, son allure, sa façon de bouger pour incarner une mannequin. Laura Smet (au mileu) est pleine de vie, pétillante, et c'est un plaisir de la revoir devant une caméra. Moins étoffé, le rôle de Loulou de la Falaise incombe à Marie de Villepin (à droite), évidemment parfaite en mannequin.

Au-delà des muses, je voudrais souligner deux rôles essentiels - peut-être pas au film, mais certainement à Yves Saint Laurent - ceux de ses deux principales collaboratrices, Yvonne et Raymonde, incarnées respectivement par Astrid Whettnall et Michèle Garcia. Ce qui m'amène à dire combien j'ai aimé toutes les scènes de dessin, de travail à l'atelier, de mise en forme des robes... tous ces moment où s'expriment le génie d'Yves Saint Laurent. Là, il me semble que Jalil Lespert a fait du très bon travail, la création étant particulièrement difficile à mettre en scène. Petite anecdote : le temps d'un plan, sous ses dessins de robes, Saint Laurent dessine les planches de sa BD "La Vilaine Petite Lulu", cette BD que j'aime tant. Ça m'a touché.

Le film est fluide et élégant comme un vêtement d'Yves Saint Laurent. On n'assiste pas au massacre biographique auquel nous avions été confrontés avec "La Môme" d'Olivier Dahan avec la très regrettable Marion Cotillard, et loin s'en faut, mais selon moi, le film n'est pas abouti.

Alors certes, il a le mérite de ne pas occulter le talent, la fragilité, et la déchéance d'Yves Saint Laurent, mais ça n'est pas suffisamment approfondi, et je pense que cela vient des faveurs accordées et des contraintes imposées par Pierre Bergé. C'est aussi pour cela que j'ai souligné que l'aval de Pierre Bergé est essentiel : il est à mon sens, et une bonne chose, et une "mauvaise" chose, restreignant la liberté du réalisateur. Oui YSL est talentueux, oui YSL déprime un peu, oui il mène une vie dissolue et se drogue un peu, oui il a quelques amants jusque dans des backrooms... mais il devrait être question de génie et de déchéance, avec tout ce que cela signifie en termes de mise en scène, de façon de filmer, de placement de caméra...

YSL - Pierre Niney

Le film repose donc essentiellement sur la double présence de Pierre Niney et de Guillaume Gallienne, qui font revivre de façon très touchante (la musique de Ibrahim Maalouf en fait quand même beaucoup côté violons !) la relation très complémentaire entre le génie et le roc. C'est un beau film, aus décors paradisiaques, plein d'amour, de talent, de robes sublimes, habité par deux acteurs d'exception soutenus par une remarquable distribution... mais à la facture trop lisse pour nous permettre d'approcher davantage Yves Saint Laurent et Pierre Bergé. Ce que j'entends par "trop lisse) tient moins à la forme qu'au fond, puisque j'ai ici ensencé "A Single Man" de Tom Ford (avec Colin Firth et Julianne Moore), formellement parfait, ce qui ne nuisait nullement à une approche "psychologique" très fouillée, plus retorse que ne le laissaient supposer les apparences.

J'attends donc ce que proposera Bertrand Bonello (avec Gaspard Ulliel, Jérémie Rénier et Louis Garrel), en espérant que ce sera un film "moins joli", avec peut-être des interprètes en-deça du niveau d'excellence de Niney et Gallienne, mais qui me placera devant un génie qui défaille réellement, et une sorte de pygmalion moins tendre.

"Yves Saint Laurent" de Jalil Lespert, en dépit de ses incontestables qualités, manque selon moi de crudité pour prétendre dresser les portraits de deux amants à la hauteur de leur complexité.

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