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La Vie ChonChon
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10 février 2014

Un beau dimanche.

Un_beau_dimanche

Le fils deviendra-t-il un homme ?

Baptiste (Pierre Rochefort) est un solitaire. Instituteur dans le sud de la France, il ne reste jamais plus d’un trimestre dans le même poste, comme un "adulescent" nomade. A la veille d’un week-end, il hérite malgré lui de Mathias (Mathias Brézot), un de ses élèves, oublié à la sortie de l’école par Patrick (Olivier Loustau) son père négligent.

Mathias emmène alors Baptiste jusqu’à sa mère, Sandra (Louise Bourgoin). C’est une belle femme, qui après pas mal d’aventures, travaille dans un restaurant, dirigé par Balou (Jean-Pierre Martins) sur une plage près de Montpellier.

En une journée un charme opère entre Baptiste, Sandra et Mathias, comme l’ébauche d’une famille pour ceux qui n’en ont pas. Ça ne dure pas. Sandra doit de l’argent, on la menace, elle doit se résoudre à un nouveau départ, une nouvelle fuite.

Pour aider Sandra, Baptiste va devoir revenir aux origines de sa vie, à ce qu’il y a en lui de plus douloureux, de plus secret. Et c'est ainsi qu'il décide de retourner à Auch, dans sa richissime famille de la grande bougeoisie qu'il n'a pas vue depuis des années, pour demander les 50.000 € qui sortiront Sandra de cette sale affaire, mais aussi pour faire face à sa mère Liliane (Dominique Sanda), ses deux frères Gilles et Thomas (Éric Ruf et Benjamin Lavernhe), et sa jeune soeur Emmanuelle (Déborah François).

Solder le passé, solder la jeunesse, pour devenir un homme adulte capable de s'engager ?

Le cinéma de Nicole Garcia, très inégal selon moi, est toutefois intéressant, souvent centré sur la famille. "Un wek-end sur deux", "Le fils préféré" (superbe trio Lanvin-Giraudeau-Barr), "Place Vendôme" (mon préféré), "L'Adversaire" (sur le même sujet, très en deçà de "L'Emploi du Temps" de Laurent Cantet avec Aurélien Recoing), "Selon Charlie" et "Un balcon sur la mer". Mais ce qui m'a donné envie d'aller voir le film, et qui n'a rien à voir, c'est sa formidable prestation dans "Gare du Nord" de Claire Simon (2013) face au formidable Reda Kateb.

Tout le monde connaît ce qui a fait le "buzz" autour du film : d'une part on y (re)trouve Pierre Rochefort, le fils que Nicole Garcia a eu avec Jean Rochefort, d'autre part ce qui serait le plus beau rôle de Louise Bourgoin. 

Pierre_Rochefort___Un_beau_dimanche

Pierre Rochefort n'est pas un inconnu, puisqu'il a déjà eu de petits rôles au cinéma : dans "Rapt" de Lucas Belvaux (2009), "Les Adieux à la Reine" de Benoît Jacquot (2011), "38 Témoins" de Lucas Belvaux (2012) et un rôle récurrant dans l'intéressante série TV "Les Revenants". Quoi qu'il en soit, c'est effectivement une belle découverte dans un rôle de cette ampleur. Taiseux, charmant, blessé, refusant de "s'installer" et continuer sa vie d'errance, maintenant son statut d'homme jeune qui peine (ou qui refuse ?) d'entrer réellement dans une vie pleinement adulte, il est impeccable.
Mais j'ai été dérangé, tout au long du film, par la façon dont le filme Nicole Garcia, sa mère. En effet, alors que c'est le coeur du film, elle ne porte sur lui qu'un regard de mère qui ne voit qu'un éternel adolescent, chair de sa chair, lui refusant le scalpel qui lui permettrait de couper le cordon ombilical. Or, c'est très embêtant, car lorsqu'il tombe amoureux de la belle Sandra, lorsqu'il la touche, lorsqu'il l'embrasse, c'est tout juste s'il y met les mains !
J'ai toujours pensé, dit et écrit que Sigmund Freud avait tort en affirmant que "le fils doit tuer le père", parce qu'en réalité, pour se faire homme, "le fils doit tuer la mère". Et Freud ne peut pouvait pas se targuer d'avoir ignoré la Mythologie, la Bible, et "La Recherche" de Marcel Proust qu'il a pourtant pillées. Bref, l'approche de Nicole Garcia filman son fils est freudienne (et le père de Baptiste est mort, ce qui règle définitivement la problématique) et c'est une approche que je continue de contester.

Louise_Bourgoin___Un_beau_dimanche

Pour ce qui est de Louise Bourgoin, sans ambiguïté, Nicole Garcia lui offre son plus beau rôle. Un rôle pour lequel, si je regarde sa filmographie - qui compte des navets - et surtout les hommes à qui elle a donné la réplique, elle était prête. "La Fille de Monaco" de Anne Fontaine avec Fabrice Luchini et Roschdy Zem (2008) ; "Sweet Valentine" de Emma Luchini (2010) ; "Le Petit Nicolas" de Laurent Tirard (2010) ; "L'Autre Monde" de Gilles Marchand avec Grégoire Leprince-Ringuet - un film qui n'a pas connu le succès qu'il méritait - (2010) ; "Blanc comme Neige" de Christophe Blanc avec Olivier Gourmet (2010) ; "Adèle Blanc-Sec" de Luc Besson (2011) ; "Un heureux événement" de Rémi Bezançon avec Pio Marmai (2011) ; "L'Amour dure trois ans" de Frédéric Beigbeder (2011) ; "Tirez la langue, Mademoiseille" de Axelle Ropert avec Cédric Kahn. Luchini, Zem, Leprince-Ringuet, Gourmet, Kahn... autant de partenaires qui selon moi lui ont ouvert la porte vers des rôles plus consistants que celui de la belle fille. La concernant, force est de constater que Nicole Garcia gagne son pari haut la main, tandis que Louise Bourgoin endosse pleinement le rôle de Sandra, avec son allant, sa gouaille jamais caricaturale, son ardeur à affronter la vie, sa dose incroyable de résilience.

Le reste de la distribution est impeccable. Dans la première partie du film, on retrouve Jean-Pierre Martins, parfait dans le rôle de Balou, le patron de Sandra, à la fois débonnaire et râleur ; on retrouve aussi, dans le rôle de Patrick, l'homme avec lequel Sandra a eu son fils, l'acteur fétiche de Abdellatif Kechiche ("La faute à Voltaire", "L'esquive", "La Graine et le Mulet", "Vénus Noire"), l'excellent Olivier Loustau, un acteur que j'aime beaucoup. Je l'avais déjà remarqué dans "Capitaine Conan" de Bertrand Tavernier (1996), dans "Le Convoyeur" de Nicolas Boukhrief (2003) et dans "Andalucia" de Alain Gomis (2007) un film magnifique avec le génial Samir Guesmi. Ici, en père insouciant, aux airs de petit truand, qui sort avec une pétasse vulgaire, le temps de quelques petites scènes, il est très bon.

Dominique_Sanda___Un_beau_dimanche

Dans la seconde partie du film, la partie familiale où Baptiste va dans sa famille à Auch avec Sandra, on monte d'un cran. Tout de suite, alors que ce n'est pas forcément la partie la plus intéressante du film, avec une réplique de Dominique Sanda (la mère) et une réplique de Éric Ruf que j'aime et que j'admire (Gilles le frère aîné, Baptiste étant le deuxième de la fratrie) on est devant des interprétations de très haut vol. Ajoutez Benjamin Lavernhe dans le rôle de Thomas (le troisième fils) et la délicieuse Deborah François (le petite dernière de la fratrie), et vous êtes comblé. À propos de Beborah François, je m'étonne que les réalisateurs ne fassent pas davantage appel à ses talents, qu'elle a largement démontrés : "L'Enfant" des Frères Dardenne (2004, alors qu'elle n'avait que 16 ans) ; "La tourneuse de pages" de Denis Dercourt (2006) ; "Le premier jour du reste de ta vie" de Rémi Bezançon (2008) ; "Fais-moi plaisir !" de Emmanuel Mouret (2008) ; "My Queen Karo" de Dorothée van den Berghe avec Matthias Schoenaets (2009). Nous la retrouverons bientôt, et je m'en fais une joie, dans "Maestro" de Lea Frazer, donnant la réplique à Pio Marmai et Michael Lonsdale.

L'histoire de cet instituteur retournant dans sa famille huppée pour aider une jeune femme endettée est très intéressante, s'inspirant de Anton Tchekhov et évoquant la chronique sociale. Nicole Garcia filme une nouvelle fois la fragilité masculine dans un film attachant et servi par une belle distribution. C'est juste, concis, simple, toujours stimulé par la perspective d'une délivrance, d'une vie meilleure, en explorant avec justesse, deux milieux que tout oppose.

Pierre Rochefort peine un peu à se mettre à la hauteur d’un personnage assez difficile à interpréter, puisqu’il doit à la fois exprimer un détachement, une errance physique et psychologique, et incarner la force et la volonté qui se tapissent en lui, alors même que, comme je l'ai déjà dit, il est filmé par sa mère, qui de son côté, peine à voir l'homme derrière le fils. C'est là ma seule réserve.

Ce film avait tout pour me déplaire, trop de plans, trop de caméra portée, trop d’intrigue familiale, trop de ce que je n’aime pas en général. Pourtant, toutes ces prévenances se sont muées en qualités, grâce à une incontestable légèreté, comme inspirée par André Téchiné dans l'art de la mise en scène. Les qualités exceptionnelles de Dominique Sanda et d'Éric Ruf auront fait le reste, et je suis ressorti de la salle ému.

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