Impardonnables

Les failles du coeur.

Francis arrive à Venise pour écrire son prochain roman. Il cherche à louer un endroit pour travailler. Il rencontre Judith, un agent immobilier. Elle insiste pour qu’il visite une maison isolée dans l’Ile de Sant Erasmo. Francis lui propose comme on se jette a l’eau : "Si on habite ici tous les deux … je signe tout de suite…". Ils se lancent alors dans une vie de couple. 
Mais quand Francis est amoureux, il ne parvient pas à écrire. L’été suivant, sa fille Alice débarque dans sa retraite pour passer des vacances. Et puis brusquement elle disparaît… A partir de là Francis est mis en danger…

André Téchiné a choisi d'adapter à l'écran "Impardonnables" de Philippe Djian, le transposant de la frontière franco-espagnole à Venise. C'est une riche idée, la ville devenant un des personnages du films, et le réalisateur la filmant merveilleusement, loin des vues de Canaletto.

Ici, l'intrigue est très étrange, restant toujours sur le fil du polar, mais en convoquant autant les règles du thriller que celles du mélodrame. Le réalisateur français, qui reste le metteur en scène des errements de la vie et des souffrances de l'amour, nous livre un film à la fois crépusculaire et lumineux.

André Téchiné, bientôt 70 ans, s'est toujours attaché à décrire les souffrances humaines, et compte une des plus belles filmographies françaises, avec notamment "Barocco" en 1976, "Hôtel des Amériques" en 1981, "Rendez-vous" de 1984, "J'embrasse pas" en 1991, "Les roseaux sauvages" en 1994, "Les Voleurs" en 1996, "Loin" en 2001, "Les Temps qui changent" en 2004, "Les Témoins" en 2007.

Entrent dans son univers André Dussolier (Francis) et Carole Bouquet (Judith), tous deux excellents. Rarement l'actrice n'aura été aussi rayonnante, parvenant à se calquer sur les saisons qui passent dans le film. Dussolier est impérial dès que le soupçon et la jalousie l'assaillent.

Pour les seconder, Mélanie Thierry (Alice, la fille de Francis), le trop rare Alexis Loret (Roger, le gendre de Francis), Adriana Asti (l'ex-amante de Judith), Mauro Conte (le fils d'Adriana) sont au diapason. Ils génèrent des entrelacs dans les relations familiales qui leur permettent de parcourir la gamme des relations amoureuses, qu'elles soient sentimentales à proprement parler, familiales, amicales, quitte à nous perdre un peu.

Adriana Asti est une très grande comédienne, qui commença sa carrière devant les caméra de Luchino Visconti ("Rocco et ses Frères" en 1960), et de Pier Paolo Pasolini ("Accatone" en 1961), et qui fut aussi dirigée par Luis Bunuel, Bolognoni, Bertolucci, Claire Devers, Marco Tulio Giordana, Mathieu Amalric... Elle incarne une Anna Maria particulièrement touchante, car elle dispose de la gamme de sentiment la plus riche : familiales devant son fils Jeremie insaisissable, son ex-amante Judith, et son nouvel ami Francis. Ici, au seuil de la vie, toujours avec sa cigarette aux lèvres et vodka-tomate à la main, elle est parfaite.

Comme souvent, André Téchiné nous gratifie de la présence d'un jeune acteur plein de talent, ici Mauro Conte. Véritable chat sauvage écorché, qui peine beucoup, après son séjour en prison, à trouver une place et une voie qui lui correspondent. Nous devrions le revoir.

La musique du film est très réussie. Nous la devons à Max Richter, désormais connu et reconnu pour avoir composé la bande originale de "Valse avec Bachir" d'Ari Folman sorti sur les écrans en 2008.

"Impardonnables" ne comptera pas parmi les meilleurs films du réalisateur, ne parvenant pas à se hisser au niveau de "Les Temps qui changent" et "Les Témoins" - pour ne citer que les plus récents - parce qu'il s'aventure sur de nombreuses pistes narratives, optant pour la prolifération romanesque, menées à un rythme trépidant.

Pourtant, André Téchiné continue de travailler admirablement sur le ténu, sur le fil des rapports entre les corps, investissant intelligemment l'espace des attractions et des répulsions. Et à ce titre, le film mérite d'être vu, en attendant son prochain opus.