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La Vie ChonChon
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12 novembre 2011

Toutes nos envies

Toutes_nos_enviesTumeur du corps, tumeur de l'économie.

Claire est mariée à Christophe, ils ont deux enfants, et ils sont heureux en famille. Elle est une jeune juge au tribunal de Lyon, et rencontre Stéphane, juge chevronné et désenchanté, qu'elle entraîne dans son combat contre le surendettement et les sociétés de crédit qui en sont à l'origine, lorsqu'elle se retrouve devant le cas de Céline, une mère de famille qu'elle a rencontrée à l'école où sont leurs enfants. Quelque chose naît entre Claire et Stéphane, où se mêlent la révolte et les sentiments, et surtout l'urgence de les vivre. Claire pourra-t-elle mener son combat à terme alors qu'une tumeur au cerveau incurable (contre laquelle elle refuse chimiothérapie et radiothérapie qui ne lui accorderaient que quelques mois de vie supplémentaires) ampute son espérance de vie ?

Philippe Lioret, après avoir été ingénieur du son pour Mocky, Deville, Altman, Serreau, Beauvois s'est lancé dans la réalisation dès 1994, et s'est toujours attaché à proposer des films décrivant des réalités sociales : "Tombés du cienl" (1994), "Tenue correcte exigée" (1997), "Mademoiselle" (2001), "L'équipier" (2004) excellent film où les prestations de Sandrine Bonnaire, Philippe Torreton et Grégori Derangère forçaient le respect, "Je vais bien, ne t'en fais pas" (2006), et évidemment "Welcome" (2009) film sur les sans-papiers qui avait à juste titre suscité l'intérêt du public, et connu un très beau et mérité succès populaire.

Dans "Toutes nos envies" (librement inspiré de "D'autres vies que la mienne", roman d'Emmanuel Carrère), construit comme un mélodrame, il pointe le doigt sur les mécaniques mortifères du surendettement que provoquent certaines société de crédit, à cause de publicité mensongères qui profitent de la précarité de personnes ayant subi un "accident de vie", licenciement, divorce, maladie... Sa mise en scène est sobre, refusant les grosses ficelles du pathos facile. Il ancre son film dans une réalité sociale très bien décrite, une réalité éprouvante, violente, cruelle.

Philippe Loret parvient à rester sur le fil très ténu de l'émotion, en essayant toujours de ne pas verser dans une surcharge de sentimentalisme. Pour cela, reprenant un peu Aristophane, il considère que seul on est incomplet tandis qu'à deux on peut accomplir un miracle, le duo constitué permettant ainsi de mieux répondre à notre impératif de fraternité.

L'interprétation est d'une justesse renversante, d'une vérité aussi saisissante que poignante. En premier lieu, il y a Vincent Lindon, qui depuis 20 ans s'est inscrit dans ce genre de cinéma "social", cinéma dans lequel on le sent sincèrement engagé. Dès 1992, il jouait dans "La Crise" de Coline Serreau avec qui il tourna à trois reprises, en 1995 dans "La Haine" de Mathieu Kassovitz, en 1999 dans "Ma petite entreprise" de Pierre Jolivet avec lequel il tourna aussi à plusieurs reprises. Ces dernières années, après les rôles exigeants que lui a offerts Benoît Jacquot, il a joué dans "Ceux qui restent" de Anne Le Ny en 2007, "Welcome" de Philippe Lioret en 2009, et dans l'excellent "Pater" de Alain Cavalier en 2011. Il parvient, dans ses rôles comme aussi dans sa vie, à porter des "combats" avec beaucoup de conviction, et surtout un jeu d'acteur très intelligent et très subtil, alors que sa carrière, au départ, ne s'annonçait sous de tels auspices. Une fois encore, il est remarquable.

Deux seconds rôles sont ici magnifiquement dessinés et interprétés. Il s'agit du personnage de Céline, la victime de surendettement, assumé par Amandine Dewasme, et du personnage de Christophe, l'époux de Claire, assumé par Yannick Rénier. Chacun des deux a reçu le Prix du Jury au "Festival Jean Carmet des seconds rôles 2011", Amandine Dewasme ayant reçu, en plus, le Prix du Public. 

D'abord, le personnage de Céline auquel Amandine Dewasme apporte une très belle fragilité, assumant son sort avec beaucoup de résignation, sans se départir de son sourire triste. Elle tient son rôle comme s'il s'agissait d'une fatalité, mais il offre une espèce de poésie qui sort complètement de l'ordinaire. Jusqu'ici elle n'avait joué que dans quelques téléfilms, et n'avait obtenu que des rôles très modestes, dans "L'arnacoeur" de Pascal Chaumeil en 2010, dans "Qui a envie d'être aimé ?" de Anne Giafferi en 2011. J'espère que ce rôle lui ouvrira des portes.

Ensuite, le personnage de Christophe, l'époux de Claire. Yannick Rénier endosse se rôle extrêmement difficile avec un réel talent. Christophe, qui rêve d'intégrer la brigade d'un grand restaurant, est un époux aimant, un père très présent, que son épouse laisse "en retrait" : en retrait de son combat de juge sur le surendettement, en retrait de sa tumeur au cerveau qu'elle lui cache, en retrait de ses sentiments pour Stéphane, le juge chevronné avec lequel elle mène son combat contre le surendettement, en retrant surtout de sa prochaine femme qui ne sera autre Céline que Claire lui a choisie pour après sa mort. Faire exister un rôle "en retrait", c'est le défi que relève habilement Yannick Rénier, qui même s'il n'a pas l'éblouissante filmographie de son frère Jérémie, ne cesse de s'imposer sur les écrans depuis 4 ans : "Nue propriété" de Joachim Lafosse, "Les Chansons d'Amour" de Christophe Honoré", "Coupable" de Laetitia Masson, "Nés en 68" de Ducastel et Martineau, "Elève libre" de Joachim Lafosse, "Plein Sud" de Sébastien Lifshitz, "Welcome" de Philippe Lioret, "L'arbre et la forêt" de Ducastel & Martineau, "Une petite zone de turbulence" de Alfred Lot, "Pauline et François" de Renaud Fely, "Je n'ai rien oublié" de Bruno Chiche, "De bon matin" de Jean-Marc Moutout. En 4 ans, pas un faux pas, en trimballant sa beauté et son jeu délicat dans des films bien choisis.

Pour clore la distribution, on retrouve Pascale Arbillot dans le rôle de Marthe, qui était dans "Les meilleurs amis du monde" de Julien Rambaldi en 2010, "Les petits mouchoirs" de Guillaume Canet en 2010, "Je n'ai rien oublié" de Bruno Chiche en 2011. Isabelle Renauld est une excellente actrice de théâtre formée notamment à l'Ecole des Amandiers par Patrice Chéreau, qui a beaucoup joué pour la télévision, mais aussi pour le cinéma sous la direction de Patrice Chéreau, Jacques Doillon, Claire Devers, Catherine Breillat, Théo Agelopoulos, Nikita Mikhalkov, François Dupeyron, Jean-Pierre Denis, Patrick Bouchitey... Après avoir déjà joué avec Philippe Lioret dans "Je vais bien, ne t'en fais pas" elle incarne ici le Docteur Hadji, celle qui suit Claire dans le cadre de son incurable tumeur. Enfin Laure Duthilleul est la mère de Claire, elle-même très endettée. Sa carrière est surtout à la télévision, mais je l'avais remarquée dans le très réussi "Les fragments d'Antonin" (2006) de Gabriel Le Bomin, puis dans "La Brindille" de Emmanuel Millet, sorti en septembre 2011.

Le rôle "principal" est évidemment celui de Claire, dévolu à Marie Gillain. Certes, elle ne démérite pas, mais selon moi, même si je comprends qu'une actrice veuille assumer ce rôle, surtout sous la houlette de Philippe Lioret, elle est trop "légère". Il lui manque une ténacité, une force de combat, une énergie pour enrober entièrement le rôle. Une actrice comme Anne Consigny ou Julie Depardieu, par exemple, aurait mieux pu assumer : à la fois le combat de la juge contre les sociétés de crédit, avec ferveur ; à la fois la mort qui se rapproche avec fragilité. Il est certain néanmoins que ce rôle va relancer la carrière de Marie Gillain, et on comprend, parce que c'est légitime, qu'elle ait bataillé pour l'avoir.

D'où le reproche que je fais au film, qui semble hésiter entre le combat juridique contre les sociétés de crédit à la consommation qui assoment les gens de leurs crédits revolving en sachant que cela peut conduire au drame du surendettement, et la résignation devant l'irrémédiable maladie.

Pour autant, "Toutes nos envies" reste un film de résistance, qui parvient à mettre en avant les petits combattants du quotidien. On en sort meilleur et regonflé, mais sans l'incroyable force qu'offrait, par exemple, "Welcome". L'esprit de révolte m'a terriblement manqué. Et malgré cette réserve, c'est un film que je conseille, parce que ce type de cinéma est nécessaire.

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