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La Vie ChonChon
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1 avril 2012

Week-End

Week_EndUne rencontre éphémère, pour toute la vie.

Un vendredi soir, après une soirée arrosée chez ses amis, Russell décide de sortir dans un club gay. Juste avant la fermeture, il rencontre Glen et finit par rentrer avec lui. Mais ce qu'il avait pensé n'être qu'une aventure d'un soir va finalement se transformer en toute autre chose. Lors de ce week-end rythmé par les excès, les confidences et le sexe, les deux hommes vont peu à peu apprendre à se connaître. Une brève rencontre qui résonnera toute leur vie...

Voici enfin pour le grand public un film que j'avais vu au Festival "Chéries-Chéris" (en même temps que "Bullhead"), qui m'avait beaucoup touché, et à qui je souhaite un vif succès.

Andrew Haigh a été monteur pour Ridley Scott sur "Le chute du faucon noir" et "Gladiator", et nous propose ici son premier long métrage. Il en est le scénariste, le réalisateur, le monteur. Il rappelle dans une interview qu'il souhaitait clairement, dès le départ, réaliser un film gay, et c'est la raison pour laquelle il a tenu à ce que la scène de réveil au lit des deux amants éphémères, et la première scène de sexe arrivent rapidement, afin d'essayer d'étendre son propos vers davantage d'universalité.

Le film a été tourné en grande Bretagne, à Nottingham, en 17 jours seulement, et en respectant strictement la chronologie des événements. C'est ce qui a permis aux comédiens d'être incroyables de justesse et de technicité, et à ce petit film fragile à l'écriture d'une grande subtilité, de revêtir tous les atours de grand cinéma indépendant. 

Andrew Haigh nous propose un mélodrame bouleversant. Pour le construire, il a tenu à le réaliser avec réalisme, par petites touches. Une brève rencontre, une approche pragmatique de l'anecdote, le tempo de la découverte de l'autre, de purs moments de grâce, quelques écarts avec les règles de la romance traditionnelle : tout cela offre un film qui signe un poignant cosntat d'impuissance et d'amertume. Chacun peut y ressentir les luttes internes des sentiments auxquels il est confronté, indépendamment de sa sexualité.

Les dialogues sont percutants bien que leur style soit épuré : c'est toute la finesse du cinéma britannique qui se retrouve dans cette romance universelle que n'auraient pas renié le Stephen Frears de "My Beautiful Laundrette", ni même la Hettie MacDonald de "Beautiful Thing".

J'aime le rythme du film avec ses scènes itératives : les deux bains de Russel, les dialogues intimes dans le salon ou la cuisine, les deux sorties dans les bars, les promenades dans la rue, les au revoir sur le pas de la porte, les apparition de Russel chez Jamie, les départs de Glen que Russel regarde de sa fenêtre du quatorzième étage. Beaucoup de tendresse et de mélancolie se dégagent de ce rythme superbe, comme de la "petite phrase de Vinteuil" si chère à Marcel Proust.

Tom_CullenCes dialogues sont brillamment servis par les comédiens. Tom Cullen (cf photographie) incarne un Russel qui trimbale son désir, sa mélancolie avec une élégance rare de taiseux expressif. Il a tant de charme qu'il en est beau. Face à lui, plus volubile mais tout aussi sensible, c'est Chris New qui incarne un Glen plus pétillant, certes, mais aussi grave, aussi mélancolique. Ils donnent corps et coeur aux dialogues de façon brillante, et c'est là qu'on sent l'expérience de la scène des deux comédiens.

Russel a un meilleur ami, presque un frère, Jamie, proche et compréhensif, incarné par Jonathan Race qui, même si le rôle est plus en retrait, sait distiller sa tendresse amicale avec beaucoup de tact.

Chris New avait jusqu'ici fait une apparition dans la série TV "Affaires non classées", tandis que Tom Cullen est apparu dans la série TV "Black Mirror" (2011), et a obtenu un rôle récurrent dans la série TV "World Without End" (2012).  Je ne serai nullement surpris, et je serai même enchanté, de les revoir prochainement sur grand écran. 

Andrew Haigh revendique clairement ses influences : "Samedi soir et dimanche matin" de Karel Reisz, et c'est ce film qui lui a donné envie de tourner à Nottingham ; les jeunes réalisateurs indépendants Ramin Bahrani à qui l'on doit "Man Push Cart", "Chop Shop", et "Goddbye Solo", et surtout l'excellente Kelly Reichhardt à qui l'on doit les superbes "Old Boy", "Wendy et Lucy", et "La dernière piste".

"Week-End" a brillé dans de nombreux festivals : "Chéries-Chéris" à Paris que j'ai évoqué plus haut ; les Festival du Film Britannique de Dinard où il a obtenu le "Prix Coup de Coeur" ; le "London Critics' Circle" où il a obtenu le "Prix du Meilleur Premier Film" ; le Festival de Nashville d'où il est reparti avec le "Grand Prix du Jury", et le "Prix du Meilleur Acteur" pour Tom Cullen ; le Festival Outfest de Los Angeles qui l'a couronné de son "Grand Prix" ; etc... Et tous ces prix sont justifiés.

Sensuel et déchirant, attentif et viscéral, le film observe, analyse, et bénit ses amants éphémères avec une puissance inversement proportionnelle à la modestie de sa facture. Son écho résonne bien après le mot "fin". Probablement parce que les scènes d'adieu sur les quais de gare sont toujours trop mièvres, mais pas dans "Week-End".

Depuis le début de l'année, je place "Week-End" à côté de "Louise Wimmer" et de "Bullhead".

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