Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Vie ChonChon
La Vie ChonChon
Derniers commentaires
Archives
24 avril 2012

Le temps dure longtemps.

Le temps dure longtempsToutes nos mémoires.

La jeune et belle Sumru prépare un master d’ethnomusicologie à l’Université d’Istanbul. Elle s’installe dans le sud-est de la Turquie pour quelques mois afin d’y étudier les élégies (les poèmes chantés) anatoliennes et leur histoire.
A Diyarbakır, elle rencontre Ahmet, vendeur de DVD pirates ayant filmé des témoignages de survivants kurdes. Sumru est hantée par le souvenir douloureux de son premier amour, un Kurde mystérieusement disparu.
Aux côtés d’Ahmet, dans le contexte tragique de cette guerre non reconnue à ce jour, elle va devoir affronter son passé et l’histoire de son pays.

Ozcan Alper nos propose son second long métrage de cinéma (une co-production turco-germano-française) après "Sonbahar" en 2008, qui était déjà un film politique, très engagé, sur le sort d'un jeune étudiant prisonnier politique. Il a aussi participé au film collectif "Kars Öyküleri" en 2010, et réalisé deux documentaires.

La traduction exacte du titre, "Gelecek Uzun Sürer" est "Le futur dure longtemps/éternellement". C'est dire à quel point nos mémoires s'inscrivent dans un temps long, et qu'elles sont nécessaires à l'analyse du présent et à l'appréhension clairvoyante de l'avenir.

En suivant Sumrun, le réalisateur s'intéresse aux traditions et à l'Histoire de la Turquie à travers les élégies, pour mieux évoquer un conflit tabou, la guerre menée contre les Kurdes ces 30 dernières années, au cours de laquelle 17.500 assassinats politiques ont été perpétrés. En parallèle, on perçoit le trouble de Sumrun dès qu'elle se rappelle Harun, son premier amour. Sa mémoire personnelle touche la mémoire collective du peuple kurde.

Ce "travail de mémoire" qu'exerce Sumrun, aidé par Ahmet comme par les témoignages de Antranik (un vieil homme qui se rappelle gardant une très ancienne maison elle-même porteuse de souvenirs), est mis en valeur par une mise en scène épurée et frontale, qui s'attache à nous montrer le délicat travail de recherche, à travers des lieux, des enregistrements, des photographies, des élégies. Le film montre clairement la différence qu'il y a entre ce "travail de mémoire" honnête et rigoureux, et l'instrumentalisation qui est faite du "devoir de mémoire" par les politiques.

Les paysages sont somptueux, qu'ils soient ensoleillés ou brumeux ; les témoignages sont filmés avec beaucoup de respect et d'empathie, voire de tendresse ; certaines scènes sont magnifiques, dans l'obscurité, où les propos sont chuchotés, soulignant la pudeur dans laquelle chemine le film.

Gaye GurselTrès belle interprétation. Gaye Gürsel (Sumrun) reste légère et souriante pour faire contrepoint à son travail et à sa douleur personnelle ; Durukan Ordu (Ahmet) apporte sa fantaisie, jouant de ses regards malicieux sans perdre de vue la gravité du propos du film ; Sarkis Seropyan (Antranik) joue tout en pudeur ; Osman Karadoç (Harun), malgré un rôle bref, dans une très belle scène d'ouverture dans un train, parvient à distiller tout son charme.

Voilà un film lucide et courageux qui porte une grade force politique. Sa mise en scène mélodique et mélancolique met en valeur une "triple mémoire" : celle d'un cinéma poétique et politique ; celle de l'âme et de la culture dont la tragédie est toujours niée ; celle plus personnelle d'un premier amour dont il faut faire le deuil.

Facile de comprendre que ce film ait été salué par Atom Egoyan, qu'il ait été reçu avec chaleur au Festival de Toronto, et qu'il se soit vu attribuer des prix prestigieux en Turquie. Le travail du scénariste-réalisateur-monteur Ozcan Alper est à suivre de très près.

Publicité
Commentaires
La Vie ChonChon
Publicité
Publicité