Almanya

Savoir d'où l'on vient.

"Suis-je allemand ou turc ?" C’est la question que se pose Cenk Yilmaz, 6 ans, lors d’un match de football, alors que ni ses camarades allemands ni ses camarades turcs ne veulent de lui dans leur équipe. Pour le consoler, sa cousine Canan lui raconte l’histoire de leur grand-père Hüseyin qui, à la fin des années 1960, a émigré en Allemagne avec femme et enfants pour y travailler. Le temps a passé et l’Almanya est devenu leur pays d’adoption. Mais le grand-père a acheté une maison en Turquie et souhaite y emmener toute la famille en vacances. Commence alors un voyage plein de souvenirs, de disputes et de surprises…

Les soeurs Nesrin et Yasemin Samdereli ont mis 7 ans à pouvoir réaliser "Almanya", d'une part parce qu'elles ont ajouté de nombreuses anecdotes et de souvenir à leur scénario au fil du temps afin de le parfaire, d'autre part parce qu'il le fut très difficile d'obtenir leur financement parce les films trans-culturels sont difficiles à mettre sur pied en Allemagne, contrairement par exemple à la Grande Bretagne. C'est grâce à une télévision allemande que le projet a pu voir le jour.

Ce film a été présenté publiquement la première fois à la Berlinale 2011 (hors compétition), et a reçu un très bon accueil tant critique que public. Il a en effet reçu aux Lola (équivalents de nos César), le Lola d'Argent, et le Lola du scénario, et a réalisé 2 millions d'entrées, se plaçant à la quatrième place du box-office allemand de 2011.

Il s'agit d'une comédie familiale (une famille assez fantasque), du portrait d'un déracinement, d'un conte sur le choc des cultures, et de la quête d'identité. Cette épopée de l'immigration turque en Allemagne est vue par trois générations d'une même famille. C'est volontairement léger et attachant, dans un style truffé de trouvailles anecdotiques, présentées avec tact et mesure, drôlerie et délicatesse. Et le film s'amuse aussi à dynamiter quelques clichés sur l'intégration et la xénophobie.

Pour que le film soit enjoué, il lui fallait une belle et dynamique distribution. Et là, le film fait mouche. Cenk, le petit fils, est incarné par le délicieux Rafael Koussouris, qui de ses grands yeux interroge ses parents et ses grands-parents pour connaître leur épopée de la Turquie vers l'Allemagne, que lui raconte Canan sa cousine (incarnée par Aylin Tezel). Denis Moschitto est Ali le père de Cenk (excellentet charmant, que j'avais déjà vu dans "Kebbab Connection" en 2006) marié à Petra Schmidt-Schaller (Gabi), Kaan Aydogdu (Muhamed), Siir Eloglu (Leyla), Aykut Kayacik (Veli) forment la génération des parents, et enfin Vedat Erincin et Lilay Huser sont respectivement Hüseyin et Fatma, les grands-parents (jeunes, ils sont incarnés par Fahri Ogun Yardim, excellent et très beau, et Demet Gül).

Il faut noter que Lilay Huser, qui incarne donc Fatma la grand-mère, dispose d'un abattage délicieux et de multiples mimiques, et qu'elle est à l'origine de bien des scènes cocasses, en parfait contrepoint de son époux, plus sérieux. Il faut la voir totalement réjouie de recevoir enfin prête à recevoir son passeport allemand, et choisir avec le plus grand soin le chemisier qu'elle portera pour l'occasion, ou son visage ébahi lorsqu'elle se retrouve devant l'officier de police qui va lui remettre ledit passeport ! Il faut voir la mine du grand-père Hüseyin lorsqu'il comprend que sa petite fille est enceinte sans être mariée, et que son fiancé n'est pas turc, ni même allemand (!), mais anglais !

Alors certes, les personnages sont suffisamment stéréotypés au point d'accentuer la "prévisibilité" des rebondissements, mais c'est toujours au service de l'humour et de la tendresse que les soeurs Samdereli ont voulu insuffler à leur film.

Un film à voir, parce que sa légèreté et sa délicatesse ne tombent jamais dans la mièvrerie, parce qu'il propose des scènes cocasses et des dialogues enjoués, toujours très bien servis.