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17 mars 2013

"Les Criminels", de Ferdinand Bruckner

Criminels affiche

Dénoncer, juger, punir... dans une société en perdition où le pire se profile.

Fin février, je suis allé voir "Les Criminels" de Ferdinand Bruckner avec "mon" cher Hebus au Théâtre de La Colline à Paris, avant qu'il ne parte donner quelques cours en Égypte à l'Université du Caire. Non pas que je ne voulais pas en proposer une critique, mais le temps a passé, et elle ne se joue plus depuis deux semaines. Mais, puisque la pièce me trotte encore dans la tête, probablement parce que je me demande toujours s'il y a dans le passé des similitudes avec l'actualité, et aussi parce que nous en avons reparlé ce week-end, j'ai décidé d'y revenir.

Décidément, en termes de loisirs, que ce soit en lecture, au cinéma, au théâtre... j'ai bien des difficultés à m'orienter vers des activités distrayantes, amusantes, "qui changent les idées". Sans doute est-ce parce que je n'ai pas, ni le besoin, ni surtout l'envie de me "changer" les idées. C'est déjà tellement difficile de se construire, au-delà des media les plus écrasants et les plus abrutissants, les "idées" qui forment une pensée, qu'en changer, comme on m'y intime, m'apparaît de l'ordre de la propagande, et donc très dangereux.

Comédie dramatique d'après la pièce éponyme de Ferdinand Bruckner, mise en scène Richard Brunel, avec Cécile Bournay, Angélique Clairand, Clément Clavel, Murielle Colvez, Claude Duparfait, François Font, Mathieu Genet, Marie Kauffmann, Martin Kipfer, Valérie Larroque, Sava Lolov, Claire Rappin, Laurence Roy et Thibault Vinçon.

À l’époque de l’Allemagne de Weimar, Ferdinand Bruckner (de son vrai nom Théodore Tagger) a été un auteur de théâtre plus célèbre que Brecht.

En découvrant l’une des ses pièces les plus ambitieuses, "Les Criminels", on comprend cet engouement, notamment dans un premier acte qui tente une écriture polyphonique suivant simultanément plusieurs intrigues qui s’interpénètrent parmi les habitants d’un même immeuble, miné par les conséquences sociales et psychologiques de la violente crise économique allemande du début des années 1920. Dans un étonnant jeu de simultanéité, se découvrent des “crimes” en tous genres : un maître chanteur menace de dénoncer un jeune homosexuel, une étudiante désargentée porte un enfant qu’elle donnera à une autre femme... 

Criminels 1

Dans les différents appartements et étages d’un immeuble dont la façade serait devenue transparente, cohabite une kyrielle de personnages obnubilés par l’argent (qui manque) et le sexe (qui est prohibé). Une bourgeoise ruinée vend les bijoux que son beau-frère lui a confiés pour assurer les études de ses enfants ; suite au naufrage de la substitution de leur futur nouveau-né, un couple d’étudiants sans le sou passe à l’infanticide ; une cuisinière jalouse tue la maîtresse de son mari et, pour se venger, laisse les soupçons s’abattre sur lui ; craignant que son homosexualité soit dévoilée, un jeune homme se livre à un faux témoignage sous la pression d’un maître-chanteur. Par un procédé très cinématographique, où le collage-montage de brefs duos nous fait voyager de la chambre de bonne à l’étage des nantis, puis aux commerçants du rez-de-chaussée et retour, est dessinée de manière très factuelle une société jadis hiérarchisée dont la crise aurait aplati les écarts, les faisant sombrer dans la perte de tout repère.

Criminels 4

Sans doute, est-on aujourd’hui moins concerné par le deuxième acte, qui reprend le même principe de l’unité de lieu associé à une pluralité d’actions, mais qui se déroule dans un endroit qui rend toujours redondante la théâtralité : le prétoire d’un tribunal.

On retrouvera dans le troisième acte l’immeuble du premier, mais pour y découvrir avec une tension plus vive ce que sont devenus les principaux accusés qui viennent d’être jugés "criminels" ou exonérés de toute responsabilité.

Il est indéniable que Richard Brunel et ses quinze comédiens ont fourni un travail de titans pour coordonner cette pluralité d’actions et de personnages et les animer sur le plateau d’un théâtre. Richard Brunel a choisi une scène circulaire dans laquelle on peut voir évoluer les différents protagonistes, le "manège" tournant sur une action pour repartir très vite vers une autre.

Criminels 2

En presque trois heures, Richard Brunel retranscrit ainsi l’univers de Ferdinand Bruckner, le fait mieux comprendre et en montre indirectement les limites. Car la vision du monde de Bruckner paraît plus datée que celle de Brecht en confrontant frontalement les individus aux institutions, en ne leur promettant aucune forme de transcendance, ni en exaltant le combat social et la lutte contre les puissants.

Le héros de Bruckner est seul face à son destin, seul face à son oppresseur immédiat et n’est à la recherche d’aucune solidarité organisée.

Au final, on retiendra de cette "superproduction" l’astucieuse scénographie d’Anouk Dell’Aiera qui se sort de ce dispositif circulaire en multipliant et en variant bien les effets qu’il induit, bien aidée en outre par les très beaux contrastes entre les ombres et les lumières concoctées par David Dubrinay.

Criminels 3

On répétera que l’ensemble aurait pris plus de relief en élaguant dans ce second acte trop didactique, trop académique et très difficile à redynamiser. On soulignera enfin l’ambition louable de Richard Brunel qui a cherché à monter une pièce qui paraissait sur le papier impossible à monter dans les conditions de production actuelle. Incontestablement, il y a réussi.

Je pense que cette résurrection des "Criminels" de Ferdinand Bruckner était une ardente nécessité. Parce que les affres de l'argent et de l'amour, surtout dans la période de crise que nous vivons aujourd'hui, sont universelles. Et aussi parce que, même si je suis plutôt courageux, voire téméraire, je reconnais avoir peur de la propension qu'ont certains à dénoncer leurs contemporains. Non pas que je craigne pour moi-même, mais parce que je sais que la délation et la dénonciation sont parties intégrantes des bases des pires régimes politiques. 

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