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15 août 2013

Michael Kohlhaas

Michael Kolhaas

Qu'est-ce qu'une injustice ? Qu'est-ce qu'être dans son bon droit ? Quel est le prix de la justice ?

Au XVIème siècle dans les Cévennes, le marchand de chevaux Michael Kohlhaas (Mads Mikkelsen, hiératique et sublime), protestant, mène une vie familiale prospère et heureuse, aux côtés de sa femme Judith (Delphine Guillaut), sa fille Lisbeth (Mélusine Mayance, époustouflante), son contramaître César (David Bennent, excellent), son apprenti Jérémie (Paul Bartel, tout en présence silencieuse, prsque charnelle) et leur Prédicant (David Kross, tout en empathie chaleureuse).

Victime de l'injustice du Baron local (Swann Arlaud) qui a pris en ôtage et gravement blessé deux de ses chevaux, Baron protégé par une Abbesse (Amira Casar), il demande justice par la voie légale par l'entremise du Gouverneur (Bruno Ganz) et de l'Avocat (Jacques Nolot), justice qui lui sera refusée pour "procédure abusive", cet homme pieux et intègre lève une petite armée et met la région à feu et à sang.

MK - Duran

Lors de son périple qui doit le mener jusqu'à la bienveillante Princesse de Navarre, soeur du Roi (Roxanne Duran, diaphane, presque inquiétante, photo ci-contre), qui peut le rétablir dans son droit et réparer l'injustice dont il a été victime, il croise des hommes qui voudront le rejoindre dans sa lutte, Géant (Guillaume Delaunay), Manchot (Sergi Lopez), les Jumeaux (Richard et Nicolas Capelle)... et même Luther (Denis Lavant, parfait, comme toujours) qui lui conseillera avec ferveur de pardonner.

Le prix de son bon droit et du rétablissement de la justice ne sera-t-il pas exorbitant ?

Il faut le dire tout de suite, "Michael Kohlhaas" est une sorte de western féodal très "théorique", tant du point de vue du fond puisqu'il pose des questions d'ordre philosophique, que de celui de la forme, ce qui en déroutera plus d'un.

MK - Mikkelsen et Guillaut

L'origine du film est une nouvelle écrite par Heinrich von Kleist en 1810, a déjà fait l'objet d'un film, réalisé en 1969 en Allemagne de l'Ouest par Volker Schlöndorff, qu'Arnaud des Paillières a transposé dans les Cévennes du début de la Renaissance, et a également souhaité développer des personnages secondaires, afin d'étoffer le film et éviter d'isoler le héros. Le réalisateur nourrissait depuis 25 ans l'envie d'adapter "Michael Kohlhaas" au cinéma, sans jamais oser se lancer véritablement : "J’étais jeune, un tel film risquait d’être cher, complexe à mettre en oeuvre", explique-t-il. "Je pensais donc devoir attendre une sagesse et une maîtrise… qui ne sont jamais venues. Et j’ai fini par me dire, 25 ans plus tard, que si j’attendais je ne sais quel don du ciel, je pourrais bien ne jamais faire ce film. Et que quelqu’un allait finir par le faire à ma place…"

MK - Kross et Mikkelsen et Mayance

MK - Mayance et Mikkelsen

Pour les scènes à l'extérieur, Arnaud des Pallières a donc planté le décor dans les Cévennes et le Vercors. Les montagnes permettaient d'offrir un environnement familier à la vue du spectateur, et reflétaient surtout le caractère et le physique du héros : "Si Kohlhaas était un paysage, il serait des montagnes. Austères. Magnifiques. Comme le visage de Mads Mikkelsen." Je dois ajouter que le soleil, les nuages, le son du vent... sont des personnages du film. C'est essentiellement dû à Jeanne Lapoirie, la chef opératrice de André Téchiné (qui adore s'en remettre aux hasard des tournages en extérieurs, et c'est un maître en la matière) depuis "Les Roseaux Sauvages" ainsi que celle de Valérie Bruni-Tedeschi, et qui prépare actuellement sa nouvelle collaboration, avec les passionnants Ronit et Schlomi Elkabetz.

Les amateurs d'action ne sont pas laissés de côté : l’attaque du château à l’arquebuse, en silence et à l’aube, est d’une efficacité aussi sombre qu'exceptionnelle. C'est magistralement réalisé.

MK - Mads Mikkelsen

Il n'y a rien à dire de nouveau sur Mads Mikkelsen, il est parfait. Il faut souligner la présence à peine croyable de la très jeune Mélusine Mayance dans le rôle de sa fille. Son jeu est tout en présence, en regards, et reste, jusqu'au bout, celle qui nous interroge, nous les spectateurs, celle qui pourrait convaincre Michael Kolhhaas que le prix de la justice est trop élevé, puisqu'àprès ses chevaux, son exploitation, son épouse, son ami César, elle en sera le dernier sacrifice. Elle ira jusqu'à le défier, à la fin du film, en venant assister à son jugement. Rien à dire de nouveau non plus de Bruno Ganz, de Denis Lavant, de Jacques Nolot, de Roxanne Duran : ce sont des grands.

MK - David Bennent

MK - David Kross

MK - Paul Bartel II

Comme à mon habitude, je voudrais signaler des acteurs qui, selon moi, devraient pouvoir faire parler d'eux. Tout d'abord, dans le rôle de César, contremaître et ami de Kohlhass, David Bennent (vous vous souvenez, l'enfant inoubliable dans "Le Tambour", c'était lui !). Visage de moineau mouillé, corps fluet dont il fait don à la caméra comme rarement un acteur accepte de la faire. (photo de gauche)
Ensuite, le jeune David Kross (qui figure au générique de quelques films allemands et quelques grosses productions étasuniennes) dans le rôle du Prédicant (photo du milieu), dont le visage (avec aussi celui de Roxanne Duran) concentre presque tout l'humanisme et toute la bienveillance. Il est presque le seul personnage du film qui essaie de se soustraire au dilemme justice/prix de la justice pour se consacrer à l'observation du tiraillement qui anime l'homme bafoué. Et il s'acquitte merveilleusement de son jeu très intériorisé.
Enfin, dans le rôle de Jérémie, l'apprenti de Michael Kohlhaas, le jeune Paul Bartel (photo de droite). Il a joué dans deux excellents téléfilms qui reposaient beaucoup sur ses épaules, "Fracture" de Alain Tasma en 2010 (aux côtés de Anaïs Demoustier, Sami Seghir, Leïla Bekhti, Ariane Ascaride, Laurent Stocker)  et "Punk" de Jean-Stéphane Sauvaire en 2012 (aux côtés de Béatrice Dalle et Jérémie Laheurte, que j'attends de pied ferme dans "La Vie d'Adèle"), deux téléfilms que j'aurais dû chroniquer, tandis qu'au cinéma il a porté le très beau "Les Géants" de Bouli Lanners en 2011 puis "Les Petits Princes" de Vianney Lebasque aux côté de Reda Kateb et Eddy Mitchel. Il est ici un peu "l'observateur" novice, qui n'envisage aucun jugement, comme le seul élément de pureté. Et il est admirable. Je ne doute pas de son avenir.

Valhalla Rising - Mads Mikkelsen

 

 

Le film est un peu inspiré, dans sa forme, par "Valhalla Rising - Le Guerrier Silencieux" (photo ci-contre), chef d'oeuvre du génial Nicolas Winding Refn (avec le sublime Mads Mikkelsen, filmé comme jamais). "Michael Kohlhass" est étayé par un rapport puissant, plastique, dreyerien, à la matière, tout cela soutenu par une composition musicale subtile et obsédante. Le casting est remarquable. Le propos tire de ce récit d'époque une question pour aujourd'hui, celle de la justice sociale.

 

L’adéquation entre la forme et le fond est parfaite. Arnaud des Pallières m'aura passionné pour une question morale à laquelle le monde contemporain se trouve toujours confronté.

"Michael Kohlhaas" est une oeuvre particulièrement marquante sur le fond, éblouissante sur la forme.

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