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13 octobre 2013

La vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2

La vie d'Adèle

Les amour adolescentes sont essentielles et existensielles,

À 15 ans, Adèle (Adèle Exarchopoulos) ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Ainsi a-t-elle un petit copain, Thomas (Jérémie Laheurte), dans une relation amoureuse telle qu'on en a à cet âge, maladroite.

Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma (Léa Seydoux), une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir, le plaisir, la passion et lui permettra de s’affirmer en tant que femme et adulte.

Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve...

En préambule, je voudrais dire que pour regarder ce film tel qu'il le mérite et pour comprendre sa "Palme d'Or", il faut faire fi des polémiques à son propos (qu'elles soient justifiées ou non, c'est un autre problème, et je me propose de n'y revenir qu'en fin de chronique), il faut passer outre les trois longues scènes sexuelles homosexuelles, il faut comprendre que le film comprend 3 parties (et non pas "2 chapitres"), il est nécessaire de le considérer comme "international" et non pas "franco-français" (cf son interdiction aux moins de 17 ans aux USA, voire même son interdiction, comme dans l'Idaho).

Il faut considérer aussi qu'Abdellatif Kéchiche met face à face une artiste et une institutrice, et qu'il a le courage de "prendre parti" pour la seconde. On se souvient que "Elephant" de Gus Van Sant (dont Kéchiche a retenu la magistrale leçon à la toute fin du film, suivant Adèle, en la filmant... de dos) a obtenu la Palme d'Or en 2003, que "Entre les Murs" de Laurent Cantet et François Bégaudeau (dont Kéchiche s'inspire beaucoup dans la première partie du film) a obtenu la Palme d'Or en 2006, que "La Journée de la jupe" a valu 4 Prix d'Interprétation à Isabelle Adjani... ce qui n'aura pas échappé au réalisateur...

"La vie d'Adèle", c'est sa vie AVANT Emma, puis AVEC Emma, enfin APRÈS Emma.

Selon moi, ces trois parties s'articulent autour de quelques scènes majeures : la rencontre entre Adèle et Emma dans un bar lesbien, une scène absolument magnifique en tous points, qui à elle seule démontre tous les talents possibles du réalisateur (dialogues, mise en scène, cadrages, direction d'acteurs) ; celle, entre adolescents au lycée, où il est reproché à Adèle d'être lesbienne et de l'avoir tu après qu'Emma est venue la chercher à la sortie ; celle où Adèle et Emma reçoivent des amis chez elles, et où Kéchiche renvoie Adèle à sa domesticité (elle passe son temps à préparer le dîner, puis à servir les "artistes" amis d'Emma), un type de scène qu'effectionne le réalisateur, et qu'il a éprouvé dans "La Graine et le Mulet" ; celle où Emma et Adèle se disputent, au prétexte de la probable relation adultère d'Adèle avec Antoine, son collègue instituteur, dans une "scène de ménage" d'anthologie avec un dialogue particulièrement vif, percutant et cruel ; celle enfin où la rupture passée, Adèle et Emma se retrouvent au café, où c'est l'institutrice qui s'est réellement émancipée, tandis qu'Emma s'est plutôt "rangée".

Rappelons que nous devons notamment à Abdellatif Kéchiche, "La faute à Voltaire" en 2000, "L'esquive" en 2003, "La Graine et le Mulet" en 2007, "Vénus Noire" en 2009. Les deux premiers étant selon moi les deux meilleurs.

"La vie d'Adèle" est librement adapté de la bande dessinée, plus exactement du roman graphique, "Le bleu est une couleur chaude", de Julie Maroh. L'album, qui a été publié en 2010, a remporté le Prix du Public lors du 38ème Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, en 2011. Abdelatif Kechiche a finalement changé le titre de son film, ayant décidé de donner le prénom de son actrice principale à son héroïne. Le fait demeure que la couleur bleue est omniprésente (cheveux, vêtements, draps, tableaux...) sans que Kechiche ne sache l'expliquer, comme dans le roman graphique de Julie Maroh, sinon le temps d'une courte scène à la fin du film, lors du vernissage de l'exposition des tableaux d'Emma.

Le film comporte d'importantes scènes de sexe, souvent assez crues, mais très esthétisées. Le metteur en scène explique comment il a tenu à aborder ces séquences : "Nous avons donc tourné ces scènes comme des tableaux, des sculptures. On a passé beaucoup de temps à les éclairer pour qu’elles soient vraiment belles, après, la chorégraphie de la gestuelle amoureuse se fait toute seule, avec le naturel de la vie. Il fallait les rendre belles visuellement donc, mais tout en gardant la dimension charnelle. On a beaucoup discuté, mais les discussions finalement ne servaient à rien parce que tout ce qu’on dit est très intellectualisé, mais la réalité est plus intuitive." Force est de constater que Kéchiche sait fimer, que comme d'autres réalisateurs il sait aller au plus près de la peau (on songe à Larry Clark), mais selon moi, seules deux scènes étaient nécessaires : la première, hétérosexuelle, entre Adèle et Thomas, la seconde, entre Adèle et Emma.

"La vie d'Adèle" a permis au réalisateur de conjuguer plusieurs désirs ; l'envie de montrer le parcours d'une jeune institutrice, qu'il nourrit depuis "L'Esquive" et n'a jamais pu faire aboutir, et l'histoire d'amour passionnée racontée dans la bande dessinée de JUlie Maroh : "Ce qui m’intéressait c’était de développer un personnage de femme qui voulait transmettre, et qui accomplissait son travail avec passion", raconte Kechiche.

A propos du choix de ses actrices, le cinéaste indique avoir d'abord rencontré Léa Seydoux (rappelons que le rôle devait originellement échoir à Sara Forestier ou Mélanie Thierry) : "Je trouvais qu’il y avait en Léa quelque chose qui est de l’ordre de ce qu’on pourrait appeler « l’arabité », quelque chose de l’âme arabe. Elle m’a appris plus tard qu’elle avait des demi-frères arabes. Léa a une façon de traverser la vie, pleinement consciente que tout passe. C’est une façon aussi d’accepter les vicissitudes de la vie. Cela a à voir alors avec le nomadisme, l’errance, quelque chose qui est de l’ordre de la mélancolie, ce qu’on appelle le « mektoub »", oberve Kechiche. Adèle Exarchopoulos a quant à elle été choisie lors du casting, puis le réalisateur l'a invitée dans une brasserie : "Elle a commandé une tarte au citron, et à sa façon de la manger, je me suis dit : « c’est elle ». Elle est « dans les sens », sa façon de bouger sa bouche, de mâcher... La bouche a été un élément très important pour ce film (...)", précise-t-il. Ce qui renvoie à ce que j'appelle la "domesticité féminine" à laquelle le réalisateur, probablement par "féminisme", renvoie Adèle lors de la superbe scène du repas citée plus haut.

"Ça parle d'une histoire d'amour, ce n'est pas important que ce soit deux femmes, et on l'oublie", déclara a juste titre Adèle Exarchopoulos en conférence de presse à Cannes. Même s'il traite d'une histoire d'amour homosexuelle, le film n'adopte pas un ton militant. "J’avais plus le sentiment de traiter, de raconter l’histoire d’un couple, du couple. La problématique de l’homosexualité, je ne voyais pas pour quelles raisons je l’aborderais spécialement, car la meilleure façon, si je devais avoir un discours sur ce sujet, ce serait de ne pas en avoir, de filmer cela comme n’importe quelle histoire d’amour, avec toute la beauté que cela comprend", révèle Abellatif Kechiche, qui, porteur de la double nationalité franco-tunisienne, souligne toutefois qu'il espère que son film fera "du bien à la jeunesse tunisienne", évocant la nécessité d'une Révolution sexuelle en Tunisie. (Il devrait s'intéresser au travail de Ludovic-Mohamed Zahed dans le cadre de sa thèse, comme dans le cadre de son soutien à l'ouverture d'une mosquée "gay-friendly").

Adèle - Adèle Exarchopoulos

Adèle - Léa Seydoux

Il n'y a rien à redire d'Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, elles sont magnifiques, et la Palme d'Or qui leur a été remise conjointement au film est amplement méritée. Il y a chez elles un "don de soi" remarquable, et on ne peut que regretter que cela ne se soit pas passé dans des circonstances plus sereines. D'évidence, Abdellatif Kéchiche tient à affirmer une filiation avec Maurice Pialat, et il ne m'appartient pas de dire si cette filiation doit s'envisager devant ET derrière la caméra. Il ne m'appartient pas non plus de constater que des actrices comme Isabelle Adjani et Isabelle Huppert ont fait face à des rôles autrement plus difficiles que ceux d'Adèle et d'Emma avec la grâce du silence post-tournage...

Adèle - Aurélien Recoing

 

Il faut aussi citer le reste de la distribution. Les parents d'Adèle sont incarnés par Catherine Salée et l'immense Aurélien Recoing (voir photographie ci-contre), dont je ne cesserai pas de dire qu'il est à mettre presque au rang d'Olivier Gourmet, toujours aussi magnifique que dans "13 Tzameti", "Les Fragments d'Antonin", "L'Ennemi Intime", "Un Fils", etc.... Et je ne comprendrai jamais que chacun semble lui avoir préféré Daniel Auteuil ("le plus frand comédien français avec François Cluzet"...) dans "L'Adversaire" de Nicole Garcia en 2002, alors qu'il était bien meilleur que lui et au firmament dans "L'emploi du temps" de Laurent Cantet en 2001. Passons...

 

 

Adèle - Salim Kechiouche

Adèle - Benjamin Siksou

Citons aussi celui qui sera peut-être à l'origine du Chapitre 3 de "La vie d'Adèle", Salim Kéchiouche, qui, même dans le rôle de Samir essayant de séduire Adèle, forcément plus en retrait, parce qu'il n'est qu'une issue possible à la passion amoureuse d'Adèle pour Emma, est toujours aussi bien. Quant à Benjamin Siskou (découvert dans "La vie au ranch" de Sophie Letourneur et dans "Toi, moi, les autres" d'Audrey Estrougo, qui incarne Antoine le collègue institeur d'Adèle, il se voit offrir une des rares scènes non pas bleue, mais orangée, très belle, scène de dans dans la rue, qui pourrait lui aussi participer de ce possible Chapitre 3, probablement plus comme ami qu'amant. Mais je ne saurais dire, en lieu et place d'Abdellatif Kechiche ce que pourraient être les contours d'un éventuel "Chapitre 3" (voire davantage, comme François Truffaut avec son Antoine Doisnel), ni surtout miser sur la gent masculine, que le réalisateur peine à filmer.

Adèle - Jérémie Laheurte

Adèle - Sandor Funtek

Adèle - Fanny Maurin

Adèle - Alma Jodorowsky

Il y a aussi les adolescents, sur lesquels Abdellatif Kechiche sait porter son regard si affûté et si tendre aussi, comme ce fut le cas dans "L'Esquive", autour de la littérature, ici Marivaux encore avec "La Vie de Marianne". Jérémie Laheurte (dans le rôle de Thomas, le premier petit copain d'Adèle, photo de gauche) a une incroyable présence, rappelant celle de Yann Trégouët. Lui aussi a du faire face à la nudité devant la caméra de Kechiche, sans que personne ne se demande si c'est aussi difficile pour un garçon que pour une fille. Il est remarquable. Vient ensuite, dans le rôle de Valentin, le copain homosexuel d'Adèle, Sandor Funtek (découvert dans "Mourir d'aimer", avec un rôle casse-gueule d'adolescent de 16 ans vivant une histoire d'amour avec sa prof de 50 ans incarnée par Muriel Robin) qui sert en quelque sorte de trait d'union, de lien, entre la vie hétérosexuelle et la vie homosexuelle d'Adèle (deuxième photo). Il est parfait. Viennent enfin les copains de lycée Fanny Maurin (pétulente et un peu vache, qui sait ciseler ses réplique à merveille, troisième photo), Alma Jodorowsky (quatrième photo), très belle, qui sur une "lubie passagère", embrassera fougueusement Adèle, jetant le trouble dans son esprit (et dans son corps ?), Benoît Pilot dans le rôle de Voncent, et j'en oublie...

Les presque trois heures de "La Vie d'Adèle" passent sans qu'on y prenne garde, qui décrivent et retracent l'amour de deux jeunes femmes, l'une artiste, l'autre institutrice.Kechiche signe ici une mise en scène d'une limpidité virtuose au service d'un récit charnel et poétique, d'une sublime histoire d'amour.

Avec cette histoire d’amour belle, cruelle et foudroyante, Abdellatif Kechiche parvient à une forme de quintessence dans sa recherche de vérité. Il prouve avec maestria que ce qui l’intéresse ne réside pas dans l’histoire mais dans la façon dont ses personnages la vivent. Il étudie, avec la même capacité de profondeur et de vertige que les plus puissants télescopes et microscopes, les mystères insondés du corps et du visage humains.

La caméra du réalisateur capte avec malice et acuité les atermoiements des deux jeunes femmes, leurs doutes, leurs rêves et leurs sentiments, en une danse romantique et romanesque aussi vibrante que passionnée, les deux rôles principaux étant dévolues à deux comédiennes d'une exceptionnelle générosité, celle d'Adèle Exarchopoulos allant jusqu'à l'engagement, le risque, l'incarnation, l'abandon de soi.

Le cinéma de Kechiche, flamboyant et radical raisonné et exalté, est sans pareil aujourd'hui parce qu'il sait faire une synthèse intelligente des travaux de réalisateurs très importants, tels Wong Kar Waï (celui des débuts), Larry Clark, Gus Van Sant, Alexandre Sokourov... qu'il sait puiser aussi chez Giannoli, Lifshitz et Morel, sans plagier quiconque.

 

Maintenant, je voudrais revenir à la polémique autour du film, ou plutôt LES polémiques :

- Je comprends que les techniciens aient pu avoir la vie dure pendant le tournage, qu'ils s'en soient plaints, et que le fait qu'ils ne figurent pas tous au générique du film puisse être relaté et réprouvé.

- Quant aux remarques cruelles de Léa Seydoux vis-à-vis d'Abdellatif Kechiche, je le trouve inopportunes. D'abord, Léa Seydoux s'est renseigné auprès des précédentes actrices du réalisateur, et c'est elle qui a insisté pour obtenir le rôle, au détriment de Sara Forestier ou Mélanie Thierry. À deux reprises, au bout d'une semaine, puis qu bout de trois semaines de tournage, Kechiche lui a proposé de quitter le tournage parce qu'elle ne répondait pas à ses attentes, parce que selon lui elle n'est pas une comédienne, en la rémunérant toutefois conformément à ce qui était prévu dans son contrat. Léa Seydoux, dont on sait qu'elle est presque intouchable par héritage, se garde bien de rappeler ces faits lors de ses interventions.

- J'ai peu de difficultés à croire que le tournage du film a eu trois mois de retard précisément à cause des difficultés d'interprétation de Léa Seydoux. Elle est aussi actrice que Marion Cotillard : un chapelet de mimiques, de poses, de regards et de soupirs, qui n'a rien à voir avec le fait de ressentir, de jouer, d'incarner.  Elle est très bien dans certains rôles, moins exigeants, où la profondeur des attitudes, des actes et des sentiments sont de moindre importance. J'imagine sans peine les difficultés qu'à eues Abdellatif Kechiche à obtenir d'elle ce qu'il voulait, en termes de réalisme, d'engagement et même d'abandon lors des scènes de sexe lesbien (vous le verrez et l'entendrez), ce qui explique peut-être le fait qu'il y en ait trois.

- Enfin, je voudrais dire que je ne pense pas qu'Abdélatif Kechiche puisse se prévaloir de l' "universalité" de son histoire d'amour. À mon sens, il le fait parce qu'il le croit sincèrement, mais à tort. C'est une histoire d'amour différente de beaucoup, pour des raisons sociales d'abord (les deux jeunes femmes sont de milieux sociaux différents) ce qui n'a rien de très original puisque le cinéma regorge de ce type de situation, pour des raisons de sexualité, d'homo-sexualité précisément ensuite. Qu'il le veuille ou non, l'acte sexuel à l'adolescence participe d'un parcours initiatique ordinaire, l'acte homo-sexuel à l'adolescence est aussi une transgression de la norme, un acte politique, un risque de rejet qui nécessite une forme de courage même si les choses ont évolué depuis 30 ans.

 

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