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21 octobre 2013

Haewon et les hommes

Haewon et les hommes

Les affres de l'amour...

Haewon (Eun-chae Jeong), une jeune et belle étudiante, veut mettre fin à la liaison qu’elle entretient avec son professeur Seongjun (Lee Seon-gyoon).

Se sentant déprimée par le départ de sa mère Jinju (Kim Ja-ok, exceptionnelle) qui part s’installer au Canada avec qui elle passe la journée, elle le contacte à nouveau. Ce jour-là, ils rencontrent des étudiants dans un restaurant et leur relation tenue secrète est enfin révélée.

Haewon est de plus en plus perturbée et Seongjun émet l’idée qu’ils partent ailleurs tous les deux…

Elle est très perturbée par cette nouvelle donne dans leur difficile relation amoureuse, d'autant qu'elle a fait la rencontre de Jungwon (Kim Hee-seong), un amusant professeur sud-coréen qui enseigne aux USA qui travaille avec Martin Scorsese et qui lui plaît beaucoup, et se confie alors à son amie Yeonju (Ye Ji-won) elle-même en proie à sa difficile relation avec Yungshik (Yoo Joon-sang).

J'aime le cinéma de Hong Sang-soo, le génial Éric Rohmer sud-coréen, dont j'ai vu, je crois, tous les films. Je l'ai découvert dès 1996 avec MisterNo, avec "Le jour où le cochon est tombé dans le puits", puis s'ensuivirent "Le pouvoir de la province de Kangwoo", "La Vierge mise à nu par ses prétendants", "Turning Gate", "La Femme est l'Avenir de l'Homme", "Conte de Cinéma", "Night and Day", "Les Femmes de mes amis", "Oki's Movie", "Ha Ha Ha", "The Day He Arrives - Matins calmes à Séoul" et "In Another Country" avec Isabelle Huppert.

Les films de Hong Sang-soo (HSS) sont comme de précieux rendez-vous cinématographiques réguliers qui décortiquent l'âme humaine, un peu comme ceux de Claude Chabrol qui décortiquaient la société française. J'aime ces rendez-vous, j'aime ce cinéma de dialogues, de plans longs.

En plus de sa carrière de cinéaste, Hong Sang-soo enseigne la discipline cinéma à l’université de Konkuk (Séoul) depuis 2008. Cette surcharge de travail ne l’empêche pas de tourner en moyenne trois films tous les deux ans : "Si je ne tourne qu’un film par an, ça me laisse trop de temps de repos. Deux fois par an, c’est un peu trop chargé pour m’occuper de la post-production et de la sortie en salle. J’enseigne à la fac pour des raisons matérielles. Il y a une sorte de conflit entre "faire un film" et "enseigner le cinéma"."

Le réalisateur a voulu donner comme titre à son film un prénom qui correspondait à la personnalité de son héroïne au caractère fort mais également très fragile : "Haewon est un prénom féminin usuel en Corée, j’ai seulement changé la calligraphie. J’ai remplacé le caractère chinois "Hae", qu’on utilise habituellement, par un autre caractère suggérant plus de force. Quant à "won", cela veut dire "qui a eu une vie choyée". C’est pour ça qu’elle est un peu enfermée dans son propre monde, en dehors de la réalité. Elle est comme une jeune fille dans un jardin, protégée par une très haute muraille. En même temps grâce à sa politesse, elle possède certaines facilités pour établir des liens sociaux avec les gens. En mélangeant toutes ces impressions, j’ai créé son prénom."

Yoo Joon-sang

Hong Sang-soo a pour habitude d’introduire des éléments de ses précédents films dans ses nouveaux. Dans "Haewon et les hommes" il s’agit du journal intime, déjà présent dans "Nignt and Day" (2008) et "Matins calmes à Séoul" (2011), un accessoire qui joue un rôle primordial dans la structure narrative : "J’utilise parfois des éléments venant de mes films précédents mais je ne le fais pas toujours consciemment. Bien sûr, je sais que mon nouveau film sera aussi vu par des spectateurs connaissant mes films précédents. Cette fois-ci, j’ai un peu hésité à faire apparaître Ye Ji-won et Yu Junsang - qui s'écrit aussi Yoo Joon-sang ! un comédien que j'aime beaucoup, voir photo -  (les rôles de Yeonju et Yungshik, la meilleure amie de Haewon et son petit ami) avec les mêmes noms et situation que dans "Ha Ha Ha". Finalement, l’idée m’a semblé pas mal."

Hong Sang-soo a tourné une partie du film à Seochon, à l’ouest de Séoul. C’est en 2011, lors du tournage de son précédent film "Matins calmes à Séoul", que le cinéaste a découvert les environs de Seochon dont il est tombé sous le charme : "J’ai bien aimé le parc Sajik qui préservait quelque chose de l’ancien temps. Même la statue énorme dans le parc me plaisait. En marchant dans les ruelles de ce quartier, j’avais l’impression de me retrouver dans les années 70 et 80. (…) Même si on représente le passé comme quelque chose de grandiose, aussi imposant que cette statue, il est peuplé de gens comme Haewon aussi incertains de leur avenir."

Haewon - Jane Birkin

A la surprise générale, Jane Birkin fait un "caméo" (une apparition) dans "Haewon et les hommes". Cette rencontre entre elle et le réalisateur a été le fruit du hasard, puisque la chanteuse a rencontré le réalisateur à l’issu du concert qu’elle donnait à Séoul en 2012 :  était une grande fan de Charlotte Gainsbourg [la fille de Jane Birkin]. C’est vrai qu’il y a aussi une certaine ressemblance physique entre Jeong Eun-chae et Charlotte. A partir de là, j’ai créé la rencontre avec Jane. L’allure exotique de Jeong Eun-chae et son personnage aspirant à aller à l’étranger collaient bien avec cette Et vous verrez, il y a dans cette scène, qui intervient au début du film, est très réussie, tendre et drôle à la fois.

Hong Sang-soo arpente ses terres bien connues de l'indécision sentimentale, dans une mise en scène libre et rigoureuse, porté par l'énergie de son héroïne, la parfaite Eun-chae Jeong. Par touches successives, se dessine le portrait d'une femme en quête d'une place, tissé de moments mélancoliques, bouleversants. Connue mais toujours renouvelée, une partition proche de la perfection.

Sa façon de recomposer un territoire intime à partir de petits riens du quotidien de la ville, de tricoter une cartographie sentimentale d’une prodigieuse minutie à partir d’un fouillis de lieux historiques et de lieux familiers, font de HSS le plus proustien des cinéastes contemporains. C’est donc à juste titre que le cinéaste considère qu’en explorant inlassablement son petit monde il réalise des films de voyage. Celui-ci en est un, des plus aventureux et exaltants.

Façonné comme à l’accoutumée de peu de décors et de situations, aux inépuisables ressources sans cesse malicieusement modulées, déclinées et reformulées par la seule grâce d’un changement de cadre ou de lumière, le film travaille ainsi la différence et les répétitions, les contingences et l’arbitraire qui composent un territoire enchevêtré et versifié de fictions chimériques. Le film à pas légers s’achemine vers la mélancolie. Hong Sang-soo est bien un maître du "je ne sais quoi" ou du "presque rien" déchirants sans quoi le cinéma n’est qu’un vain passe-temps.

C’est comme si le monde tel que Hong Sang-soo le représente de film en film était arrivé au bord de la crise de nerfs, comme si un voile de subtilité reposant sur cette représentation avait fini par se fissurer, laissant poindre comme une plaie ouverte la violence qu’elle laissait deviner.

C'est magnifique.

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