Prince of Texas

La naissance d'une amitié.

Eté 1988, USA, Texas.

Alvin (Paul Rudd) et Lance (Emile Hirsch), le jeune frère de sa fiancée Madison, travaillent ensemble sur le marquage d’une route endommagée par un feu de forêt. Ils sont confrontés à la solitude, ne croisant pratiquement qu'une vieille dame (Joyce Payne) qui cherche son vieux livret de pilote dans les cendres de sa maison dévastée, et qu'un vieux conducteur de camion débonnaire et enjoué (Lance LeGault) qui leur offre de la bière à chaque fois qu'il les croise.

Tandis que l’un profite pleinement des joies de la nature et des grands espaces en songeant à la vie qu'il veut construire avec sa fiancée en mettant de côté l'argent qu'il gagne, l’autre ne pense qu’aux fêtes et aux filles qui l'attendent à en ville chaque week-end…

David Gordon Green, notamment connu pour avoir réalisé de nombreux épisodes de la série TV "Kenny West", ne compte pas à son actif une carière très intéressante, ayant essayé de s'aventurer sur les pas de Judd Apatow. Carrière d'une dizaine d'années, inégale donc, avec "George Washington", "All the real Girls", "L'autre rive", "Snow Angels", "Fraks of the Heartland", "Delire Express", "Votre Majesté", "Baby-sitter malgré lui", mais qui semble revenir avec "Prince of Texas" ("Prince Avalanche" en VO) à un cinéma plus "indépendant", loin des carcans "comiques" hollywoodiens. Et c'est une bonne nouvelle.

"Prince of Texas" est le remake de "Ether Way", un film islandais de Hafsteinn Gunnar Sigurdsson sorti en 2011 mais inédit en France. Le réalisateur David Gordon Green a été récompensé de l'Ours d'Argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin 2013. Le film a été présenté en avant-première mondiale au Festival de Sundance.

Le tournage du film s'est déroulé très rapidement : il n'a fallu que 16 jours pour le terminer. Une courte durée pour ce film indépendant que le réalisateur explique : "On a tout tourné dans l’ordre chronologique. Cette harmonie nous a permis de filmer différentes versions des scènes… Il fallait gérer les obstacles et profiter des opportunités : quand il pleuvait, nous devions incorporer la pluie dans le film pour ne pas perdre une journée.".

Le décor de "Prince of Texas" est particulier. Il s'agit d'une forêt américaine qui a été dévastée par un incendie peu avant le tournage. C'est sur les lieux mêmes que le réalisateur a rencontré Joyce Payne, qui incarne "La dame" dans le film, alors qu'elle cherchait quelque chose dans les cendres de sa maison ravagée par les flammes, dans une scène magnifique et émouvante.

Paul Rudd se voit offrir ici un très beau rôle, celui d'un homme qui imagine son avenir dans le cadre d'une vie familiale heureuse avec sa fiancée, rêve qui s'écroulera lorsqu'il lira la lettre de rupture de cette dernière, et remet en cause tous ses projets, et le laisse dans le désarroi. Même s'il compte à son actif les intéressants "L'oeuvre de Dieu, la part du diable" de Lasse Hallström (1999), "Fausses apparences" de Neil LaBute (2003) et surtout "Le Monde selon Charlie" de Stephen Chbosky (2012), il est surtout connu pour les nombreuses séries TV dans lesquelles il a joué, et pour ses rôles dans les films de Judd Apatow, "40 ans, toujours puceau" (2005), "En cloque, mode d'emploi" (2007) et "40 ans, mode d'emploi" (2012). Il n'est pas impossible qu'il se voit offrir, enfin, des rôles à la hauteur de sa palette de jeu. On le voit dans une scène superbe, campant un Alvin sous la pluie, où seul sur les décombres d'une maison dévastée par un incendie, il mime la vie familiale qu'il souhaite se construire en soliloquant.

Emile Hirsch a la chance de compter, dans sa jeune filmographie, des films très intéressants : révélé par "Le Club des Empereurs" de Michael Hoffman (2002), et "The Mudge Boy" de Michael Burke (2003), il a enchaîné avec le magnifique "Les Seigneurs de Dogtown" de Catherine Hardwicke (2004). Vinrent ensuite, notamment, "Alpha Dog" de Nick Cassavetes (2006), "The air I breathe" de Jieho Lee, la tornade "Into the Wild" de Sean Penn (2007), le parfait "Harvey Milk" de Gus Van Sant (2008), "Hotel Woodstock" de Ang Lee, et enfin le tonitruant "Killer Joe" de William Friedkin (2011). Ici, à 28 ans, il assume un rôle d'adolescent attardé, qui ne songe qu'à ses week-ends en ville destinés à "tremper le biscuit". Il est un Lance agaçant à souhait, et sa dizaine de kilos en plus lui permettent même d'assumer le ridicule et la vacuité de son personnage, qui ne prendra de la profondeur qu'avec l'amitié qu'il tisse peu à peu avec Alvin, l'ex-fiancé de sa soeur, qu'elle vient de larguer.

Le jeune cinéaste a amorcé ici un inespéré retour aux sources où son cinéma renoue avec un souffle que l’on lui croyait perdu. "Prince of Texas" rassemble les fils épars de son œuvre en un très gracieux écheveau de rêveries pastorales et de comédie douce-amère.

En transformant un paysage de désolation en vrai terrain de jeu comme en catalyseur d’amitié, David Gordon Green retrouve enfin, grâce à cette "yellow brick road" des forêts texanes, la voie de son inspiration qu’on avait craint envolée, et offre à Paul Rudd et Emile Hirsch de très beaux rôle d'hommes en quête d'eux-mêmes, chacun représentant peut-être une vision particulière du "way of life" étasunien.

Dialogues rares, mais parfaitement ciselés. Rythme contemplatif, permettant au réalisateur de s'autoriser des pauses, des digressions, parfois très poétiques, comme pour mieux protéger et chérir ses personnages vivant leur amitié naissante.

Un beau film sur l'amitié masculine, comme bouclier nécessaire aux tourments du monde et aux affres de l'amour.