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17 novembre 2013

Les Rencontres d'après minuit

Les Rencontres d'après munuit

Créer une famille...

Au cœur de la nuit, un jeune couple, Ali (Kate Moran) et Matthias (Niels Schneifer) et leur gouvernante travestie Udi (Nicolas Maury), dans leur grand appartement au décor froid, préparent une orgie.

Sont attendus La Chienne (Julie Brémond), La Star (Fabienne Babe) qui ne se remet pas de la mort de son fils (Louis Orfeo Marin), L’Adolescent (Alain-Fabien Delon) de 16 ans qui a fugué, et L'Étalon (Éric Cabtona) qui arrivera en retard parce qu'il est retenu par La Commissaire (Béatrice Dalle) et son Brigadier (Jean-Christophe Bouvet), excités par son énorme sexe.

Le juke box sensoriel, qui diffuse la musique de l'état d'esprit de l'instant de celui qui pose sa main dessus, révélera peut-être la personnalité de chacun...

Ces sept personnages parviendront-ils à former une famille ?

Avec Les Rencontres d’après minuit, Yann Gonzalez réalise son premier long-métrage, dans la veine de ses six moyens et courts métrages précédents : "Tous mes films forment une sorte de communauté. Et c’est précisément ce dont parlent "Les Rencontres d’après minuit" : d’une communauté sentimentale, d’une utopie de communauté."

Ce film est un mélange de multiples références chères au réalisateur, comme "Breakfast Club" de John Hughes (une véritable pépite à offrir à vos amis, et surtout à vos enfants adolescents !) ou ""La Belle Captive" d'Alain Robbe-Grillet. Mais on entrevoit aussi le travail de Jean Cocteau ("Orphée", "Le Testament d'Orphée"), de Paul Vecchiali ("Archipel des Amours" dans les série "Masculins Singuliers", par exemple), celui de Jacques Nolot (La chatte à deux têtes), celui de Christophe Honoré ("Homme au Bain"), plus lointain, celui de de John Cameron Mitchell (le chef d'oeuvre "Shortbus" en 2005)...

"Les Rencontres d'après-minuit" a fortement été influencé, jusqu’à son titre (à l’origine le film devait s’appeler "Juke-Box"), par le travail de l’écrivain Mireille Havet. Ouvertement homosexuelle, elle a fréquenté très tôt les milieux mondains où se réunissait l’élite littéraire des années 1920. Bien qu’elle fréquente des artistes de renom comme Jean Cocteau et Guillaume Apollinaire, un seul de ses romans sera publié. Abandonnée de tous, elle sombre dans la toxicomanie et décède d’une tuberculose à l’âge de 33 ans. Son journal intime est retrouvé dans les années 1990 et publié dans les années 2000, permettant enfin à cette artiste de sortir de l’ombre. Le cinéaste Yann Gonzalez revient sur le parcours de Mireille Havet : "Une vie complètement décadente, mais d’un romantisme absolu et effervescent. Cette puissance de la parole, du récit de soi intime et imagé, je crois que c’est dans ce journal que je l’ai puisée."

Kate Moran
Julie Brémond

Du fait que la quasi-globalité de l’action se déroule dans un même lieu et corresponde à la durée du film, "Les Rencontres d’après minuit" arbore une ossature proche de celle du théâtre. C’est d’ailleurs sur scène que le cinéaste a découvert son actrice fétiche Kate Moran (vue aussi dans "Nés en 68" de Ducastel et Martineau en 2008, "Homme au bain" de Christophe Honoré en 2010). Si les actrices Kate Moran (Ali) et Julie Brémond (La Chienne) signent leur quatrième collaboration avec le metteur en scène, elles ne se sont en réalité croisées qu’une fois sur le tournage de "Je vous hais petites filles" en 2008 : "Kate et Julie sont aux antipodes. Kate, c’est le feu sous la glace, une élégance de chaque instant, une grande technicienne aux sentiments vibrants. Julie est une actrice plus instinctive, tout en fêlures, et dont la beauté de baby doll tragique m’émeut au plus haut point. Je souhaitais vraiment réunir sur mon premier long ces énergies contraires et ces deux actrices si importantes pour moi." Il y a quelque chose de Romy Schneider dans le jeu de Kate Moran, qui semble s'être inspirée de "L'important c'est d'aimer".

Niels Schneider et Nicolas Maury
Nicolas Maury - Les Rencontres

Je ne vais pas revenir sur le parcours de Niels Schneider, qui, encore une fois, n'hésite pas s'aventurer du des sentiers hasardeux dans ce film "underground", fauché, très esthétique, campant un Matthias dévolu à l'amour de sa bien aimée Ali, dont il semble sentir qu'elle devra lui trouver un successeur, tant il se vit comme un Euridice qui va bientôt mourir. Je voudrais m'attarder sur le formidable Nicolas Maury, magnifique dans le rôle du domestique travelo Udo, véritable chef d'orchestre de cette nuit d'orgie. Tenant brillamment le premier rôle de "Let My People Go !", Ruben, de Michel Buch en 2010, il compte quelques films intéressants à son actif, dans des rôles secondaires : "Ceux qui m'aiment prendront le train" de Patrice Chéreau (1998), "Les Amans Réguliers" de Philippe Garrel (2005), le génial "La Question Humaine" de Nicolas Klotz (2010) entre les exceptionnels Michael Lonsdale et Mathieu Amalric, "Belle Épine" de Rebecca Zlotowski (2010), et le très beau "Je ne suis pas mort" de Mehdi Ben Attia (2012) face à l'excellent Mehdi Dehbi. Il est remarquable qu'un acteur si iconoclaste puisse encore trouver sa place dans un cinéma français ankylosé. Il est ici un travelo magnifique.

Alain-Fabien Delon
Eric Cantona et Fabienne Babe

C'est la première fois qu'apparaît à l'écran le jeune Alain-Fabien Delon (fils d'Alain), et il est évident que son choix, son rôle de L'Adolescent, sa prestation n'ont pas pu plaire à son père, ainsi qu'il l'a déclaré. On retrouve la trop rare Fabienne Babe, bouleversante dans le rôle de La Star, d'abord très "capricieuse", exigeant l'obscurité, mais se révélant très humaine. Éric Cantona came l'Étalon, dont la qualité première serait son énorme sexe, alors que lui aussi cache des fêlures, une bonté et une solitude insoupçonnables.

Évidemment, c'est toujours pour moi un plaisir de retrouver Béatrice Dalle et Jean-Christophe Bouvet.

La musique du film, assez envoûtante est composée par le groupe électro M83, dont le leader est Anthony Gonzalez, le frère du metteur en scène.

Je ne peux pas dissimuler le fait que ce n'est pas un film très difficile à conseiller. Il est fauché, très esthétique, comprenant de très nombreuses références cinématographiques et littéraires, appartenant à une "catégorie" peu appréciée du grans public que je qualifierais volontiers de cinéma "interlope", où l'on s'attend presque à croiser Patrick Mimouni, Arielle Dombasle, Nini Crépon... Un cinéma que j'adore.

Yann Gonzalez retrouve toute l’étrangeté du cinéma onirique et surréaliste français des années 1970. Des maladresses, mais un discours touchant qui dénote une vraie approche personnelle dans laquelle on aime se lover. Fable sur l’indomptabilité sexuelle, beau film de troupe, film-trip en forme de comédie saturnienne, ces "Rencontres d'après minuit" sont bien cela et c’est déjà beaucoup, mais peu de films offrent au final un tel cadeau : permettre à chacun de se projeter sans effroi dans son propre carnaval intime.

D’un lyrisme et d’une poésie poussés à leur paroxysme, "Les Rencontres d’après minuit" octroient, certes, une part belle au champ sexuel, mais le sordide y est banni et chaque plan sert magnifiquement à défendre l’argument. Yann Gonzalez impose une voie singulière, celle d'une artificialité et d'une superficialité assumées d'où naît une émotion terrassante.

Les Rencontres - casting

Avec ce premier long métrage, Yann Gonzalez modèle sa propre patte, façonne un cinéma transgenre, hybride, qu’il recouvre pourtant d’un vernis très lisse, qu'il maquille de paillettes désespérées. Il invente une harmonie de la dureté, une esthétique saillante, géométrique, qui scultpe autant les corps que les espaces. L’imbrication entre plaisir et souffrance, la recherche effrénée d’une "famille", d’un cocon idéal où les morts-vivants viendraient se blottir après la débauche.

La force du film - car c'est un film fort - tient à sa manière astucieuse de tordre la mécanique du récit par des incursions poético-fantastiques (par le bias du juke-box sensoriel, par le biais aussi de flash-backs), ou des scènes de pure comédie qui mélangent, avec une fluidité bluffante, grivoiserie, ironie sourde et émotion pure. Il aura donc fallu un petit film français sélectionné à la Semaine de la Critique cannoise pour réanimer un thème clé du cinéma : le lien humain qui reste à tisser après que les corps se sont entrechoqués.

Si j'ai trouvé ces "rencontres" sont aussi passionnantes, c'est qu'elles comblent avant tout mon impérieux désir de cinéma(s). Et parce qu'elles évoquent "ma" famille, celle bouleversante de crudité et d'auto-dérision, qui ira se regarder les yeux dans les yeux, dans une salle obscure de cinéma.

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