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1 décembre 2013

Les Interdits

Les Interdits

De l'autre côté du mur.

1979. Carole (Stéphanie Sokolinsli, surnommée "Soko") et Jérôme (Jérémie Lippmann) ont 20 ans et partent en voyage organisé à Odessa, derrière le rideau de fer. Ils sont cousins et se prétendent fiancés.

Le jour, simples touristes, ils visitent monuments et musées. Le soir, ils faussent compagnie au groupe et rencontrent clandestinement des refuzniks, Juifs harcelés par le régime soviétique pour avoir voulu quitter le pays. Ils découvrent un monde inconnu, brutal et absurde. Ils passent beaucoup de temps avec le vieux Viktor (Vladimir Friedman), témoin qui a noté toute sa vie dans un petit carnet qu'il aimerait faire passer en Israël.

Si Carole est animée par l’engagement et le goût du risque, pour Jérôme, la motivation initiale de ce voyage, c’est Carole et l'amour qu'elle lui inspire.

Pourtant, Carole rencontre David (Alexandre Chacon) ce qui a t'endance à l'éloigner de son engagement politique, et Jérémie rencontre Véra (Enia Bukstein), ce qui au contraire l'amène à s'engager davantage. Tout ça sous les yeux du jeune Léon (Martin Nissen), qui observe les uns et les autres, qui semble deviner ce qu'il se trame, et surtout comprendre les liens qui se nouent...

L'amour de Jérémie pour Carole résistera-t-il à ce voyage ?

Malgré quelques courts métrages, Anne Weil et Philippe Koltarski étaient à la base monteurs. Elle a travaillé, comme scénariste et monteuse, sur "La Terre outragée" (sur Tchernobyl) de Michale Boganim (2011), et comme monteuse uniquement sur "Actices" de Valéria Bruni-Tedeschi (2006), "Nulle part, terre promise" d'Emmanuel Finkiel (2008), "Mères et Filles" de Julie Lopes-Curval (2009). Il a été le chef monteur de "Une Aventure" de Xavier Giannoli (2005) et "Julia" d'Éric Zonca (2008). Ensemble, ils réalisent avec "Les Interdits" leur premier long-métrage.

Après un séjour en Israël, la réalisatrice Anne Weil a décidé de s’inscrire avec une amie à un cours d’hébreu. C’est ainsi qu’elles ont fait la rencontre de Shlomo, organisateur de rencontres avec des refuzniks (terme désignant majoritairement des Juifs soviétiques à qui le visa d'émigration était refusé par les autorités de l'Union soviétique) :"Nous lui avons expliqué que nous n’étions pas militantes, que nous n’allions pas adopter un discours imposé. Cela n’avait aucune importance, tout ce qui comptait, c’était que des volontaires partent régulièrement voir ces Juifs très isolés afin de maintenir un contact régulier avec eux, leur montrer que le monde ne les oubliait pas. Il nous a donné des directives à suivre, notamment celle de coudre de fausses poches à l’intérieur des vêtements pour y cacher livres et journaux interdits. Les Russes étant très pudiques, les douaniers ne nous palperaient pas. Nous sommes parties, angoissées et excitées à la fois. La journée, c’était visites guidées à la gloire du régime, le soir, une plongée brutale dans le monde soviétique. J’ai compris là-bas que j’étais libre par le simple hasard de ma naissance. J’ai trouvé cela absurde et injuste. J’avais 18 ans et tout cela m’a profondément bouleversée."

Restituer les décors et l’univers des pays de l’Est dans les années 1970 alors qu’ils n’existent plus s’est avéré être un véritable challenge. Sauf exception, la majorité des films soviétiques étaient rarement objectifs et l’équipe de "Les Interdits" ne pouvait donc pas puiser dedans. Par chance, le chef décorateur Bruno Margery a pu s’inspirer de photos prises ou glanées par Anne Weil lors de son voyage ainsi que de décors trouvés en ex-Allemagne de l’Est.

La religion juive repose sur la transmission des savoirs et des traditions, d’où cette volonté de se marier entre juifs afin d’empêcher cette culture de disparaitre. Or, le personnage de Jérôme, pourtant de confession juive, ne se sent pas spécialement rattaché à sa communauté. Mais il est curieusement amoureux d’une Juive, qui n’est autre que sa cousine Carole. "Les Interdits" n’est donc pas seulement un drame explorant l’appartenance à une communauté. Il s’agit également d’une histoire d’amour, secrète et interdite.

 

Les Interdits - Sokolinski et Lippmann

Les Interdits - Stéphanie Sokolinski

Il me faut ici souligner la qualité de l'interprétation de Stéphanie Sokolinski et Jérémie Lippmann. Elle est trop rare au cinéma, malgré ses jolis rôles dans "À l'origine" de Xavier Giannoli (2008), "Bye Bye Blondie" de Virginie Despentes (2012), puis surtout "Augustine" d'Alice Winacour (2012) dont elle portait brillamment le rôle titre. Je ne doute pas un instant qu'elle parviennent à s'installer intelligemment et durablement dans le cinéma français, tant elle recèle de qualités d'interprétation, toujours entre glace et feu.

 

Les Interdits - Jérémie Lippmann

Il a beaucoup joué pour la télévision (notamment dans "Nora", "Deux Femmes à Paris", "Le Bon Fils"), et pour le cinéma dans "Éloge de l'Amour" de Jean-Luc Godard, "La Repentie" de Laetitia Masson, le très beau "Tout contre Léo" de Christophe Honoré, "Les mains vides" de Marc Recha, "Nos vies rêvées" de Fabrice Cazeneuve, "Rendez-vous avec un ange" de Yves Thomas et Sophie de Daruvar. Avec son air de jeune Éric Elmosnino, la finesse de son jeu plutôt intériorisé, certains cinéastes gagneraient à mieux observer son travail, car, comme on dit, il semble "en avoir sous le pied" et pourrait tenir de très beaux rôles, comme il le démontre ici.

 

Martin Nissen

J'ai noté la présence du jeune Martin Nissen, excellent dans son rôle de Léon, continuant son bonhomme de chemin après "Un ange à la mer" de Frédéric Dumont (2008), "Oscar et la Dame Rose" d'Éric-Emmanuel Schmitt (2009) et le sublime "Les Géants" de Bouli Lanners (2011). Cet adolescent à un "je ne sais quoi" dans la moue et le regard, à la façon d'Émile Berling, qui pourrait lui valoir d'être un bel espoir du cinéma.

"Les Interdits" est un premier film maîtrisé, qui navigue habilement entre les genres et bénéficie d'une interprétation remarquable. Il a pour lui de contenir divers sujets : le désir, l'amour, le régime de l'ex-URSS, la particularité des refuzniks harcelés par le régime, la rencontre entre ceux qui vivent de part et d'autre du mur... sans que rien ne soit, ni survolé, ni alourdi, dans un très bel équilibre.

C’est une reconstitution sidérante de réalisme pour qui a fréquenté l’URSS des années 1970, selon les divers témoignages que j'ai pu (re)lire à l'occasion de la sortie du film. Cette belle partition quasi documentaire, est enrichie par une histoire d'amour en forme d'interdit, magnifiquement interprétée par Stéphanie Sokolinski et Jérémie Lippmann.

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